Voyage d’hiver : quelques grands enregistrements

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On évalue à environ 200 le nombre total d’enregistrements du Voyage d’hiver de Franz Schubert, ce cycle de 24 lieder pour voix et piano composé en 1827 sur des poèmes de Wilhelm Müller, qui décrit l’errance d’un homme qui souffre d’un amour non partagé. Le cycle ne raconte pas tant une histoire que des états d’âme, l’homme qui retrouve l’image de sa solitude dans les paysages d’hiver, dans les quelques individus qu’il croise, jusqu’à ce joueur de vielle à roue errant lui aussi à qui il demande s’il peut l’accompagner. Le Voyage d’hiver, un des plus grands chefs-d’œuvre du romantisme musical, représente un équilibre extraordinaire entre le plus grand raffinement musical et le chant populaire qu’il évoque constamment. Voici quelques enregistrements marquants d’interprètes masculins de cette grande œuvre.

Une des interprétations les plus marquantes est celle du grand baryton-basse Hans Hotter, en particulier celle enregistrée en 1954 avec Gerald Moore au piano. Hans Hotter était un tragédien. Il ne recherche pas l’accentuation du mot ou la variété de l’expression. Il crée une impression de grandeur et de solennité, utilisant son grave extraordinaire pour créer l’état d’âme et, à cette époque, son registre médium et aigu étaient encore stables. Il modère la force de sa grande voix d’opéra pour épouser l’atmosphère de la confidence. Son interprétation produit un effet cumulatif qui culmine dans les deux derniers lieder où il laisse sa voix se briser dans le silence. La chimie entre lui et Moore est complète.

L’autre interprétation la plus marquante du Voyage d’hiver est celle de Dietrich Fischer-Dieskau, le plus célèbre de tous les interprètes des lieder de Schubert, qui a enregistré ce cycle un nombre incalculable de fois. J’en retiens surtout ses enregistrements de 1962 et de 1971 avec Gerald Moore. Fischer-Dieskau était un baryton à la voix légère, souple et fruitée, très à l’aise dans le registre médian et aigu, et son approche, à la différence de celle de Hotter, était une approche dramatique. Tout en mettant en lumière la ligne vocale lyrique et d’inspiration populaire de Schubert, il mettait l’accent sur le mot, sur la variété de l’expression, sur le drame. On lui a reproché souvent d’avoir adopté plus tard un style parlé, avec des éclats de voix qui pouvaient briser la ligne mélodique. En 1971 la voix et le style étaient encore très mélodiques et un style dramatique convient très bien à cette œuvre. Encore une fois, l’accompagnement de Gerald Moore est magistral. Il épouse bien l’approche de Fischer-Dieskau en adoptant des tempi plus rapides qu’avec Hotter, plus de légèreté, plus d’élan.

Le Voyage d’hiver a été écrit pour ténor et les enregistrements les plus marquants par un ténor sont, je crois, ceux de Peter Schreier et d’Ian Bostridge. En ce qui concerne Schreier, on retient sa version en public avec Sviatoslav Richter de 1985 et son enregistrement en studio avec András Schiff qui date de 1991. Dans les deux cas, la voix est d’une extraordinaire égalité dans tout le registre, depuis le grave jusqu’à l’aigu, et le pianissimo à l’aigu est bien soutenu, livré d’une voix pleine. Et Schreier réalise cela en public en 1985, avec une concentration et une maîtrise vocale qui ne se relâchent jamais. Son interprétation est lyrique et intime et c’est en épousant la beauté de la ligne mélodique qu’il trouve l’expression. Son duo avec Richter est fascinant. Richter varie les tempi, accentue l’expression, il semble vouloir donner une atmosphère particulière à chaque trait musical. L’approche est différente mais la chimie opère. L’enregistrement de Schreier avec Schiff est plus simple, il a plus d’allant, il est plus vivace, plus à l’image d’une musique qui prend sa source dans la mélodie populaire. Les deux interprétations sont magnifiques.

L’approche d’Ian Bostridge avec Leif Ove Andsnes au piano dans son enregistrement de 2004 nous emmène dans un monde entièrement différent, alors que l’accent est mis résolument sur le mot, sur le drame, sur la psychologie du personnage. C’est un chant staccato, syncopé, en notes détachées, à des lieues de l’élégance lyrique de Schreier. Un style parlé presque. Si vous recherchez la pureté de la ligne vocale, mélodique, cette interprétation va vous surprendre et peut-être vous déplaire, mais il n’y a pas de doute qu’elle est marquante et Bostridge est l’interprète contemporain le plus réputé du Voyage d’hiver tant son interprétation est intense dramatiquement.

D’autres interprètes contemporains ont laissé leur marque sur l’interprétation sur disque du Voyage d’hiver. Parmi les ténors, on peut compter Christoph Prégardien dans une magnifique interprétation lyrique avec Andreas Staier au pianoforte en 1996 et plus récemment, le ténor dramatique allemand Jonas Kaufmann dans un enregistrement de 2014 avec Helmut Deutsch où le célèbre ténor réussit à contrôler la puissance de sa voix d’opéra pour créer l’atmosphère d’intimité requise par le lied. Chez les barytons, le plus réputé aujourd’hui est Matthias Goerne, et son enregistrement le plus prisé est celui de 1996 avec Graham Johnson au piano, dans lequel se marient la beauté de la ligne mélodique et la forte expression dramatique.

De grandes cantatrices ont aussi enregistré le cycle de Schubert. L’enregistrement le plus célèbre d’une interprète féminine est de loin celui de la mezzo Brigitte Fassbaender avec Aribert Reimann en 1988. Il est célèbre mais controversé, car l’interprétation n’est pas parfaite vocalement et on a d’ailleurs l’impression que la chanteuse ne recherche pas la perfection vocale. Son interprétation est très dramatique, avec des éclats de voix, des tensions qui sont voulues pour dépeindre la souffrance du personnage comme la souffrance d’un être en chair et en os. J’aime beaucoup personnellement l’enregistrement de la contralto Nathalie Stutzmann avec Inger Södergren au piano qui date de 2004. La voix est très riche, très juste, et l’expression passe avant tout par la beauté vocale et la noblesse de l’interprétation.

Comme tous les grands chefs-d’œuvre de la musique, le Voyage d’hiver inspire des interprétations diverses qui mettent en valeur ses diverses facettes. Composé il y a près de 200 ans, le cycle n’a pas fini de nous émouvoir.

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