Les Chœurs de l’Armée Rouge à Montréal : un spectacle de haut professionnalisme et d’émotion

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Du 26 au 30 décembre, dans le cadre d’une tournée internationale de célébration de leur 90e anniversaire, les Choeurs de l’Armée rouge, sous la direction de leur directeur artistique Gennadiy Sachenyuk, ont offert sept représentations à la Maison  symphonique de Montréal.

Pendant un peu plus de deux heures, les 75 choristes et musiciens, auxquels s’est jointe la chanteuse québécoise Isabelle Boulay pour l’interprétation de quatre chansons, ont offert un programme fait principalement de chansons traditionnelles russes et d’airs de Noël. Dans un  beau geste de haute signification, Isabelle Boulay a interprété en fin de spectacle l’Hymne à la beauté du monde, de Luc Plamondon, popularisé par Diane Dufresne, et les Choeurs et un soliste ont interprété Mon pays de Gilles Vigneault. Les sept représentations ont été jouées presque à guichet fermé et au dernier concert, auquel j’ai assisté, l’audience était formée de gens de tous âges, dont de nombreuses familles visiblement ravies de venir apprécier l’extraordinaire talent de cet ensemble qui n’a cessé d’être actif depuis sa fondation en 1928.

Les Choeurs de l’Armée rouge, dont le nom officiel est l’Ensemble académique Alexandrov de chant et de danse de l’armée russe, ont été mis sur pied pour appuyer la nouvelle société issue de la Révolution d’Octobre de 1917. Parmi leurs hauts faits, on compte leurs performances au front lors de la lutte patriotique de l’Union soviétique contre l’invasion nazie et sa marche vers Berlin, de concert avec les alliés dont le Canada, pour vaincre le nazisme. L’ensemble a poursuivi ses activités pendant la période de la guerre froide jusqu’au démantèlement de l’Union soviétique et les poursuit aujourd’hui au sein de la Fédération de Russie. Il a aussi survécu à une effroyable tragédie le 25 décembre 2016 lorsque 64 membres dont son chef artistique ont trouvé la mort dans un écrasement d’avion en Russie. Les concerts du groupe partout dans le monde et l’amour du public ont joué un grand rôle pour lui permettre de surmonter cette épreuve. Cet ensemble fait partie du patrimoine universel de la culture mondiale.

Lors de la première partie du spectacle, on a pu apprécier la puissance et le raffinement qui se dégagent de l’ensemble choeur-solistes-orchestre dans l’interprétation de pièces traditionnelles russes. Bien qu’il y ait une forte dose d’harmonisation de la ligne vocale dans l’interprétation du choeur, ce qui est d’abord recherché c’est l’unisson des voix, la communication de la mélodie principale qui est évidemment chère au choeur et à l’orchestre et qui émeut l’auditoire. L’orchestre offre lui aussi une prestation sobre et élégante, qui est au service de la mélodie et qui délimite bien les rythmes. Ce n’est pas un ensemble qui recherche le spectaculaire mais la communication avec le public. Et on voit donc l’auditoire taper des mains et même fredonner les mélodies quand il les reconnaît.

Un moment sublime a été l’interprétation a capella du chant Ma vaste steppe par le choeur, une évocation de la Russie profonde où le choeur réussit à dégager une image de puissance et de grands espaces tout en chantant pianissimo. C’est le rêve de tout ensemble vocal de produire de la puissance sans la faire reposer sur le seul volume, mais sur l’équilibre parfait entre les tessitures, dans ce cas-ci, les ténors, les barytons et les basses. Ce fut un moment d’une intense émotion, accueilli par un silence ému puis par de forts applaudissements.

On peut dire la même chose de l’interprétation de Plaine, ma plaine, avec un accompagnement discret de percussions et de trompettes bouchées qui crée l’atmosphère pour l’interprétation très feutrée du choeur.

On doit saluer le talent des solistes, notamment Valery Gavva, Maksim Maklakov et Alexander Kruze. Le premier est une basse célèbre qui est membre du choeur depuis environ 30 ans. C’est la basse profonde typique à la voix grave et puissante dont la Russie semble avoir le secret. Il a chanté entre autres le célèbre Otchi tchornye (Les Yeux noirs, Dark Eyes en anglais) avec cette voix qui vous saisit et avec beaucoup d’expression et de rythme. Il est aussi très sympathique et très engageant avec le public, ce qui est un trait de la formation dans son ensemble. Maksim Maklakov est un jeune baryton à la voix riche qui pourrait aussi être un excellent chanteur d’opéra et Alexander Kruze est un ténor lyrique à la voix juste, bien placée et au timbre plaisant. On voit que les Choeurs de l’Armée rouge ont une variété de talents dans les divers registres de voix d’hommes.

L’orchestre est lui-même excellent, alerte, visant toujours à appuyer de manière sobre et poétique l’interprétation vocale. De toute évidence, les membres de l’orchestre sont eux-mêmes des virtuoses. On en a eu un exemple avec la performance, comme soliste accompagné de l’orchestre, du joueur de balalaïka, Mikhaïl Nikiforov, qui a donné une interprétation pleine de virtuosité et d’humour de Kamarinskaïa.

Après l’interprétation par le choeur des classiques de Noël Jingle Bells et Sainte nuit, Isabelle Boulay s’est jointe au groupe pour interpréter d’une voix magnifique Les trois cloches qu’Édith Piaf a immortalisé jadis avec les Compagnons de la Chanson. Elle s’est dite très honorée de chanter avec les Choeurs de l’Armée rouge, dont elle a vanté la « beauté, la dignité et la droiture ». Elle a poursuivi avec White Christmas et avec L’enfant au tambour, interprété en parfaite symbiose avec le choeur, avec solennité et émotion.

En plus de l’interprétation d’autres classiques russes dont Kalinka et Katiouchka, la fin du spectacle a été marquée par l’interprétation de deux classiques de la chanson québécoise, l’Hymne à la beauté du monde et Mon pays.

L’émotion a montré d’un autre cran dans la salle parce que le choix de ces chansons n’était pas fortuit, je pense. C’était une référence directe au contexte dans lequel les êtres humains vivent en ce moment, inquiets et à la recherche de solutions qui favorisent la planète et l’être humain.

L’Hymne à la beauté du monde, ce classique de Luc Plamondon qu’on associe à la voix de Diane Dufresne, dit, entre autres:

Ne tuons pas la beauté du monde
Ne tuons pas la beauté du monde

Ne tuons pas la beauté du monde
Chaque fleur chaque arbre que l’on tue
Revient nous tuer à son tour
[…]

Ne tuons pas la beauté du monde
Faisons de la terre un grand jardin
Pour ceux qui viendront après nous
Après nous

Isabelle l’a chantée avec solennité, avec une voix qui projette et est l’instrument parfait pour un hymne.

Puis, dans un bon français, un soliste, accompagné par le choeur, a interprété Mon Pays, de Gilles Vigneault, qui nous dit:

De ce grand pays solitaire
Je crie avant que de me taire
À tous les hommes de la terre
Ma maison, c’est votre maison
Entre ses quatre murs de glace
Je mets mon temps et mon espace
À préparer le feu, la place
Pour les humains de l’horizon
Et les humains sont de ma race

Quel beau couronnement de ce spectacle, marqué par la communication avec le public.

Quand tous les participants sont venus saluer, les applaudissements étaient tumultueux et émus à la fois.

Bravo aux Choeurs de l’Armée rouge, bravo à une culture de haute qualité qui rapproche les êtres humains que nous sommes.

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