Grands barytons et basses d’ici

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Dans ce bref article sur les barytons et les basses, je commence par notre doyen Joseph Rouleau, né à Matane en 1929, aujourd’hui âgé de 88 ans.

Joseph Rouleau, Photo Cavouk

Joseph Rouleau a marqué l’art lyrique à la fois par son grand talent et sa personnalité d’artiste et par son dévouement pour l’apprentissage de la musique classique, notamment la formation des jeunes, comme le montrent ses 25 années passées à la tête des Jeunesses musicales du Canada.

Il a connu une grande carrière internationale. Parmi ses réalisations internationales, on compte ses plus de 20 années au Royal Opera House de Covent Garden, à Londres, comme basse principale, et ses tournées en Union soviétique dans les années 1960. Son association avec des chanteurs comme Joan Sutherland et Luciano Pavarotti a marqué les grandes soirées du bel canto italien et du chant verdien, où les voix rivalisant de puissance, dans des mises en scène de grand faste, étaient considérées comme la norme de qualité. En Union soviétique, il a notamment interprété à nombre de reprises le rôle-titre de Boris Godounov de Moussorgski, un geste audacieux dans un pays qui a produit de grands Boris et pour lequel la critique l’a comparé aux plus grands.

La voix de Joseph Rouleau est une voix de basse authentique, sonore, grave, jamais plus à l’aise que dans la tragédie. Elle n’est pas intimiste mais grandiose. La stature de l’artiste en scène était elle-même impressionnante, noble, avec une gestuelle sobre qui correspondait bien à la voix. De tous les rôles qu’il a marqués, on retiendra surtout, je crois, en plus de Boris, Philippe II du Don Carlos de Verdi, Don Quichotte de l’opéra du même nom de Massenet et Méphisto du Faust de Gounod. Ceci dit, il a aussi interprété avec beaucoup de panache des rôles bouffes comme l’Osmin de l’Enlèvement au sérail de Mozart. Tout au long de sa carrière, Joseph Rouleau s’est intéressé à la vie musicale ici au Québec et au Canada et il a participé à la création de l’opéra Louis Riel du compositeur canadien Harry Somers en 1967.

Quand on pense à un baryton canadien, on pense à Louis Quilico, né à Montréal en 1925 et décédé à Toronto

Louis Quilico

en 2000. C’est notre plus célèbre baryton verdien, lui aussi riche d’une grande carrière internationale. Le baryton verdien est une catégorie rare tant le registre est étendu, surtout vers l’aigu où la difficulté, mis à part l’atteinte des notes, est le legato et le souffle qui doivent exister sur l’étendue du registre, accompagnés de puissance. Peu de barytons verdiens se sont illustrés au cours du 20e siècle et Louis Quilico a été de ceux-là. Il a maintenu sa capacité d’interpréter ces rôles jusqu’à la fin de sa carrière. Sa voix était d’une grande puissance, l’aigu était claironnant, aussi ferme et donné avec autant d’aplomb que le registre médian, en continuité avec lui. Son chant était noble, dramatique certes, mais jamais avec des effets vocaux faciles pour exprimer le drame. Il avait lui aussi une forte présence scénique. Il a marqué de sa personnalité les principaux rôles de baryton dans des opéras de Verdi comme Rigoletto, La Traviata, Un Bal masqué, Falstaff et bien d’autres. Il s’est aussi illustré dans des opéras d’autres compositeurs, entre autres dans Tosca de Puccini, Lucia di Lamermoor de Donizetti et Les pêcheurs de perles de Bizet. Lui aussi, comme Joseph Rouleau, a fait les belles soirées des grandes maisons d’opéra, notamment au Metropolitan Opera de New York où il a côtoyé les plus grands chanteurs de l’époque.

Pierre Mollet

Dans un style totalement différent, on retrouve le baryton Pierre Mollet, né à Neuchâtel en Suisse en 1920 et mort à Montréal en 2007. Pierre Mollet s’est établi au Québec dans les années 1960 et est devenu citoyen canadien en 1974. Mollet était baryton léger, une voix qu’on appelle parfois baryton Martin, c’est-à-dire un baryton très agile, mais pas très puissant, qui a une facilité à l’aigu. La voix parfaite pour la mélodie et la musique d’opéra de langue française et c’est dans cette musique que Mollet a fait sa marque, de Berlioz, à Gounod, Fauré, Debussy, Ravel, Honegger, Frank Martin et d’autres.

Le plus grand rôle de Mollet a été Pelléas du Pelléas et Mélisande de Debussy, dont il a laissé un enregistrement inoubliable sous la direction d’Ernest Ansermet en 1952. Toutes les qualités de Mollet y sont présentes, la diction impeccable et le phrasé élégant qui sont la marque des barytons français, avec cependant en plus une ardeur et un enthousiasme juvéniles qui sont hors du commun et font merveille. Mollet, dans ses interprétations, est toujours très près du texte, jeune homme amoureux ardent dans Pelléas, intimiste dans les mélodies de Fauré, sarcastique à souhait dans le petit rôle de Brander dans la Damnation de Faust de Berlioz. Il y a chez lui une attention très forte au texte, sans briser la ligne vocale et l’élégance de la musique, un enthousiasme qu’on ne retrouve pas toujours chez les interprètes français. Je me souviens de cet enthousiasme communicatif lorsqu’il passait à la radio et parlait de son métier de professeur au Conservatoire de musique de Montréal et de son chœur d’hommes, l’ensemble Arioso.

Gino Quilico, Photo Andréanne Gauthier

Gino Quilico maintenant, fils de Louis, né à New York en 1955. Un timbre de baryton lyrique absolument magnifique, une diction impeccable, autant acteur que chanteur. Lui aussi a connu une carrière internationale sur les grandes scènes d’opéras, dont il s’est retiré maintenant pour se consacrer au récital et à la comédie musicale. Il a chanté Monteverdi, Berlioz, Massenet, Bizet, Mozart, Puccini, toujours avec cette voix lyrique très souple et ce sens de la scène qui est différent de celui des chanteurs des périodes précédentes.

Gino Quilico fait partie de cette génération de chanteurs et chanteuses des années 1990-2000 qui ont mûri leur technique en conjonction avec une mise en scène d’opéra devenue plus théâtrale, moins lourde, plus mobile. Aujourd’hui, on s’attend à ce que les chanteurs bougent sur scène, ressemblent au personnage qu’ils jouent. On ne s’attend plus à ce qu’ils se tiennent sur scène en regardant le chef d’orchestre, de façon statique, pour suivre ses indications, mais à ce qu’ils interagissent entre eux, comme au théâtre. Gino Quilico représentait très bien cette nouvelle esthétique, cette voix plus souple, qui chante quand même en mesure parce que l’identification à la situation dramatique est aussi un facteur de précision musicale pour le chanteur.

Ce qui m’amène à mon cinquième choix, Gerald Finley, né à Montréal en 1960. C’est un baryton lyrique ayant une voix très chaude, veloutée, égale sur tout le registre. Le son est toujours soutenu et ne manque jamais de coffre. Dans son chant, il s’appuie sur la beauté de la ligne vocale, sur la justesse de l’intonation. Il ne colore pas ou ne dramatise pas chaque phrase. Il est célèbre pour ses interprétations des rôles de baryton des opéras de Mozart. Il n’a pas une voix particulièrement puissante, mais elle l’est suffisamment pour qu’il aborde certains

Gerald Finley, photo Sim Canetty-Clarke

rôles verdiens et wagnériens. Avec cette voix lyrique très mélodieuse et très juste, il est aussi à l’aise dans l’opéra que dans la mélodie et il poursuit une carrière en parallèle dans ces deux formes artistiques. Lui aussi a chanté sur les grandes scènes d’opéra et dans les grandes salles de concert dans plusieurs pays du monde.

Surtout, comme Gino Quilico, il est un chanteur-acteur, capable de bouger sur scène, de personnifier le rôle dramatiquement tout en chantant avec justesse et avec une voix pleine. On en a un exemple, disponible sur YouTube, avec son interprétation du rôle de Papageno dans la Flûte enchantée de Mozart dans une représentation en direct sous la direction de John Eliot Gardiner. La scène a été aménagée devant l’orchestre, de sorte que celui-ci n’est plus dans la fosse. Les chanteurs ont le dos tourné au chef d’orchestre et pourtant tous chantent avec précision et un beau timbre. C’est une interprétation extrêmement vivante de l’œuvre de Mozart.

Ainsi s’achève cette minisérie d’articles sur nos chanteurs lyriques. Le talent est immense et c’est sans doute l’expression du grand amour de la musique classique dans un pays pourtant jeune comparativement à ceux qui ont produit toutes ces œuvres au fil des siècles. Ces artistes méritent d’être mieux connus et aimés. Les générations continueront de les découvrir et d’apprécier cette grande variété de types de voix et de styles.

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