Boules d’amour à partager: Rencontre avec Jasmine Dubé

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Entre éveil poétique et désir de transmission, Jasmine Dubé et son Théâtre Bouches Décousues nous incitent à prendre soin d’autrui dans Ma petite boule d’amour.

Jasmine Dubé ne s’ennuie pas ces jours-ci. Elle partage son temps entre une nouvelle création intitulée Minuit de Marie-Hélène Larose-Truchon (à Montréal en février prochain au Théâtre Denise-Pelletier), dans laquelle elle joue, et les œuvres scéniques en tournée ou en préparation du Théâtre Bouches Décousues. Cofondée par elle et Marc Pache en 1986, la compagnie dédiée au jeune public s’illustre depuis trente ans au Québec et à l’étranger.

Directrice de compagnie, auteure, metteure en scène, actrice et scénariste à la télévision, la femme de théâtre parle de Ma petite boule d’amour, présentée à la Maison Théâtre à Montréal jusqu’au 7 janvier. Avec des illustrations de Jean-Luc Trudel, un conte du même nom signé de sa plume est d’abord paru en 2013 aux Éditions de la Bagnole. « Je n’avais pas l’idée d’en faire une pièce de théâtre, mais j’avais des chansons en tête. J’entendais l’ours chanter », confie Jasmine Dubé d’une voix douce et chaleureuse dans un café à deux pas du métro Jean-Talon et des bureaux des Bouches Décousues. L’adaptation théâtrale s’est amorcée au Festival Petits bonheurs le printemps dernier. Initialement pour un public de trois à six ans, la pièce raconte le destin d’un gros ours mal léché seul et triste dans sa tanière depuis le départ de sa compagne. Dans un rêve, il entend la voix d’un ourson en quête d’un papa pour s’occuper de lui. En compagnie d’une nouvelle amie, la mouche Tsé Tsé, il part à sa recherche. Jasmine Dubé est la narratrice. Sur scène, elle est accompagnée du musicien Christophe Papadimitriou, avec lequel elle a composé les musiques du spectacle.

©Michel Pinault

La mise en scène a été élaborée en collaboration avec Jean-François Guilbault. « J’avais le désir d’une rencontre avec une autre génération. Le Conseil des arts de Montréal avait organisé des jumelages sous le titre “Petits nouveaux vieux snoros” . J’ai été très touchée par notre première rencontre. Pour une fois, le texte était déjà là. Quand j’écris des pièces, je change des mots, des scènes, je déroge. C’est fatigant, une auteure qui joue », lance Jasmine Dubé dans un grand éclat de rire.

Avec ce récit fantaisiste, celle-ci cherchait à exposer une réalité qui l’interpellait déjà en 1992 dans Petit monstre. « J’avais une histoire en tête depuis un bon bout de temps sur la paternité. » Ce thème est aussi revenu sous d’autres couleurs récemment avec le père-poule de Papoul, qu’elle a écrit et dirigé. Ma petite boule d’amour lui permet donc de voir « où nous en sommes aujourd’hui avec des papas qui promènent des poussettes ».

La scénographie comme un « livre qui s’ouvre » réalisée par Cassandre Chatonnier s’inspire de l’inoubliable Franfreluche diffusée sur les ondes de Radio-Canada entre 1968 et 1971. « Quand l’histoire lui déplaisait, la poupée interprétée par Kim Yaroshevskaya entrait dans son grand livre pour changer le cours des choses. J’ai donné le surnom affectueux de l’Enfanfreluche à Ma petite boule d’amour en hommage à l’héroïne de mon enfance. Kim et moi avons joué ensemble plus tard dans Baby blues de Carole Fréchette », ajoute l’artiste originaire d’Amqui, ville de Gaspésie dont la bibliothèque de la polyvalente porte désormais son nom.

Dès la fin de ses études à l’École nationale de théâtre en 1978, Jasmine Dubé plonge dans le monde de la petite enfance. « J’ai participé au premier spectacle officiel du Théâtre Petit à Petit (devenu depuis le PÀP), une adaptation du Cercle de craie caucasien de Bertolt Brecht, Tout ça pour des guenilles, dans une mise en scène de Claude Poissant. » Cette première incursion fut un coup de cœur. « Avec les enfants, nous le savons tout de suite si nous ne sommes pas bons, si nous ne sommes pas à notre affaire. » Très tôt, Jasmine Dubé cofonde la troupe Pince-Farine dans l’esprit du retour à la terre et de la vie en communauté à la fin des années 1970. S’est manifesté le désir de traiter d’enjeux plus graves dans la pièce qui a donné son nom à la compagnie, Bouches Décousues. « Je parlais des abus sexuels. C’était l’éclatement d’un tabou. J’ai reçu des menaces quand je passais dans des émissions. Pourtant, avec les jeunes spectateurs, nous pouvons aborder tous les sujets. »

Pour sensibiliser davantage son auditoire, Jasmine Dubé insère des références à des contes célèbres comme Les trois petits cochons dans Le Bain (une production grandement appréciée et souvent reprise depuis deux décennies). Elle préconise également des échanges entre les disciplines artistiques. « J’aime beaucoup réaliser des métissages, entre autres avec les arts visuels pour La Couturière (parcours déambulatoire d’une grande sensibilité), la danse pour Les Flaques (avec le chorégraphe Pierre-Paul Savoie), la chanson avec Dubé du bout du Bic (avec la trop rare Marie-Claire Séguin parmi les collaboratrices) et le conte ici avec Ma petite boule d’amour. Pour cette création, des mélodies me sont venues comme un bouquet de fleurs sauvages. Je les ai enregistrées avec un magnétophone. J’ai pensé à du blues pour l’ours, à des airs manouches pour la mouche Tsé Tsé, mais aussi à des berceuses pour les autres personnages. »

Par ailleurs, les séquences chantées révéleraient à ses yeux tout le ludisme et la puissance de l’art. « C’est un procédé fascinant de faire un arrêt sur un personnage pour voir ce qui se passe dans sa tête et aller plus loin dans l’indicible, le secret. Nous sommes vraiment au théâtre et non dans la vraie vie. » Cette exploration de l’imaginaire s’accompagne surtout d’une volonté initiatique ferme « de ne pas rater mon coup et de faire aimer le théâtre sans faire peur ». Car le jeune public demeure même pour une créatrice chevronnée comme Jasmine Dubé le plus intransigeant. « Faire rire un enfant, c’est facile. Avoir un silence ou son attention, c’est autre chose. Si tu enfonces le clou, tu vas le sentir, et c’est impitoyable. »

Pour les dates et lieux des représentations, voir le site du Théâtre Bouches Décousues www.theatrebouchesdecousues.com

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