Les fées ont encore soif ! : l’emblématique brûlot féministe revisité

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Les fées ont soif ! Le titre du célèbre texte de Denise Boucher vous dit quelque chose ? La comédienne Sophie Clément souligne les quarante ans du brûlot féministe avec une mise en scène qui ouvre la première saison exclusivement féminine du Rideau Vert. Pile dans l’air du temps !

Mais revenons en arrière. Présentée pour la première fois en 1978 au Théâtre du Nouveau Monde, la pièce Les fées ont soif ! suscite les passions, et ce, bien avant la première. L’auteure y questionne l’obsession des hommes au sujet de la virginité féminine, véritable fixation dans plusieurs religions. Et c’est le scandale : le Conseil des arts de Montréal menace de couper les vivres au TNM si la pièce n’est pas immédiatement retirée. De leur côté, des membres du regroupement des Jeunes Canadiens pour une civilisation chrétienne, vêtus de capes noires et masqués, lancent des médailles bénies sur les comédiens et achètent des billets pour réciter le rosaire pendant les spectacles. Selon eux, la pièce est blasphématoire puisqu’elle met en scène une statue de la Vierge Marie; ils manifestent donc pour qu’elle ne soit pas jouée et déposent même une demande d’injonction pour en interdire les représentations et la publication. Après un long processus judiciaire marquant une page de l’histoire du théâtre québécois, l’auteure Denise Boucher, les comédiennes Michèle Magny, Sophie Clément et Louisette Dussault ainsi que le directeur artistique du TNM ont gain de cause et la pièce est enfin jouée et publiée, sans censure, faisant même l’objet d’une tournée québécoise.

Pourquoi en sommes-nous encore là ?

Aussi, quand Denise Filiatrault et Denise Boucher proposent à Sophie Clément de prendre les rênes d’une nouvelle mouture du spectacle, celle-ci accepte illico. Avec les mouvements #Moi aussi et Time’s Up, il fallait ressortir ce texte qui a été repris dans le monde entier mais très peu ici, commente d’emblée la comédienne metteure en scène. À ceux qui questionnent la pertinence de cette relecture, Sophie Clément lance qu’il est surtout affligeant qu’un tel texte soit encore aussi nécessaire : « La culture du viol, ce répugnant mouvement masculiniste, le harcèlement des femmes dans les rues… Pourquoi en sommes-nous encore là ? Il est capital d’aborder ces sujets et de questionner les femmes sur elles-mêmes, qu’elles soient mères, filles ou putains, comme le dit Denise Boucher. » À l’époque de la création, l’équipe avait été la cible de menaces de toutes sortes : « Ce n’était pas la qualité du spectacle qui était en cause, mais notre message que les ultra-catholiques n’ont pas supporté. » Sophie Clément fait, songeuse : « Comment vous dire ? Nous étions dans le général et aujourd’hui, avec quarante ans de plus, j’ai une autre vision de la vie et des choses. Et je suis dans le particulier. »

Si Sophie Clément ne vit pas le même stress que celui que la troupe a connu à la création, elle a une autre pression sur les épaules. C’est la pièce qui est la vedette et le scandale qu’elle a jadis provoqué a tant marqué l’imaginaire qu’il faut absolument, dès l’ouverture, ramener le public à la hauteur de la qualité du texte. « Nous avons de la chance d’être capables d’aller aussi loin, de réfléchir au texte et à sa portée… Nous nous donnons des permissions que nous ne nous donnions pas en 1978. Nous étions si inquiètes, nous avions, d’une certaine façon, un petit côté poli que le trio actuel n’a pas, elles n’ont pas de limites ! » C’est une improvisation sur les archétypes féminins – Marie et Madeleine – qui est à l’origine du texte. Celui-ci parvenait donc aux comédiennes au fil de son écriture, par bribes. Commencer les répétitions avec un texte que les comédiennes possèdent ne relève donc pas du même procédé. « J’ai choisi des comédiennes qui ont le ton juste et sincère et Bénédicte Décary, Caroline Lavigne et Pascale Montreuil se sont installées dans leurs rôles respectifs; elles les portent avec toutes les nuances et leurs émotions qui colorent chaque jour différemment leurs interprétations se contaminent les unes les autres », rapporte avec affection Sophie Clément.

Égales de nos égaux

Y a-t-il un peu de nostalgie dans l’air ? Non, regarder évoluer ses comédiennes est un cadeau dont la metteure en scène ne se lasse pas ; entendre ce texte lui fait du bien. Mais elle s’interroge : « Je lis parfois sur les réseaux sociaux des commentaires complètement rétrogrades, écrits par des femmes, et cela me rappelle quand, dans les années 1960 et 70, certaines déclaraient que l’instruction était superflue chez les femmes ! » Ces dames sont souvent conditionnées à porter des jugements masculins sur leurs sœurs; elles répètent ce qu’on leur a inculqué et n’envisagent même pas d’être un jour égales aux hommes, constate Sophie Clément. Les personnages de la pièce sont des archétypes qui existent encore : la pute, une femme généreuse à la sexualité bizarre et peu sensuelle, la mère qui se demande où aller pour jouir, la vierge qui tombera encore plus bas que ses sœurs. « Nous ne savons pas encore comment arriver à une autre façon d’être hommes et femmes ensemble, mais il faut continuer à chercher et à imaginer ce que le monde pourrait être si nous étions égales et égaux… Nous ne voulons pas de scandale, nous voulons être entendues et aimées pour notre message. »

Les fées ont soif !, avec Bénédicte Décary, Caroline Lavigne et Pascale Montreuil. Musiciennes : Patricia Deslauriers, Nadine Turbide. Un texte de Denise Boucher, mis en scène par Sophie Clément et porté par une équipe majoritairement féminine. Présenté au Rideau Vert, du 22 septembre au 10 novembre 2018. www.rideauvert.qc.ca

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