La fureur de ce que je pense : l’effroi demeure

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Dans La fureur de ce que je pense, sept comédiennes viscérales nous mènent à travers les grands thèmes de l’œuvre de Nelly Arcan et la reprise de cette œuvre créée par Marie Brassard en 2013 est nécessaire. Jusqu’au 3 décembre, à ESPACE GO et du 8 au 10 décembre au DIAMANT

Lors de sa deuxième année de résidence d’artiste à ESPACE GO, la comédienne Sophie Cadieux explorait l’œuvre douloureuse et brulante de Nelly Arcan, désirant faire connaitre la pensée de l’auteure autrement que par le prisme redondant de la sexualité spectacle. Pour donner corps à son idée et honorer les mots de l’autrice québecoise trop tôt disparue, elle faisait appel à Marie Brassard et leur projet commun frappait les esprits, s’auréolant bientôt de succès critiques mais aussi des faveurs des publics internationaux (La fureur de ce que je pense a voyagé en Europe, Marie Brassard a monté la pièce au Japon avec une distribution nippone).

Encore meilleur cette fois-ci

La livraison des textes de La fureur de ce que je pense, collage issu des textes Putain et Folle, de Nelly Arcan (Éditions du Seuil) de même que de L’enfant dans le miroir de Nelly Arcan (Marchand de Feuille) donne l’impression d’être encore plus (res)sentie à la reprise. Les mots semblent jaillir des entrailles des sept sirènes qui clament, une après l’autre, leur effroi de vivre dans des chairs de femme. La cruauté de leur réalité s’est déposée dans le corps des comédiennes, elle s’y est ancrée. La féminité épidermique et florissante est devenue sensibilité exacerbée – et le texte n’en est que plus percutant.

Le temps nous a-t-il rendu.es plus réceptives et réceptifs à la prose de l’autrice de La burqa de chair ? Ou est-ce le souffle de # Me too qui nous porte à projeter sur l’intolérable souffrance de Nelly Arcan celle de toutes les femmes?

Les neuf cases de l’échiquier de la formidable scénographie d’Antonin Sorel occupent l’ensemble du mur du fond et les deux tiers de la scène de Espace Go, laissant vide l’avant-scène où certaines interprètes viendront, une fois échappées de leurs habitacles de verre. Ces vitrines évoquent celles du Red Light d’Amsterdam. Christine Beaulieu, Sophie Cadieux, Evelyne de la Chenelière, Johanne Haberlin, Julie Le Breton, Anne Thériault reprennent des rôles qu’elles maitrisent à la perfection. La comédienne Larissa Corriveau, qui interprète de façon magistrale le Chant des serpents, succède à Monia Chokri. L’accent est mis sur le texte, pour que chaque spectateur capte et analyse la moindre parole, tout comme Nelly Arcan analysait tout sans répit, dans l’implacable partie qu’elle jouait avec elle-même.

 

Dans La fureur de ce que je pense, Christine Beaulieu livre le Chant occulte, où il est question de destinée et de confusion des genres. Avec Anne Thériault. Crédit photo : Antoine Raymond

La représentation de La fureur de ce que je pense est exigeante physiquement pour les interprètes mais il faut aussi en souligner l’aspect quasi-symbiotique car la plus part du temps, les comédiennes ne se voient pas les unes les autres, chacune retenue dans sa case. Le spectacle est extrêmement bien rodé, il n’y a aucune faiblesse, aucun temps mort. Bravo aux éclairages de Mikko Hynninen, ils mettent en valeur les humeurs fantasques des comédiennes.

En terminant, un mot sur l’environnement sonore. Le concepteur que de nombreux metteurs en scène s’arrachent ces temps-ci, Frédéric Auger, fait résonner de façon angoissante la musique de l’excellent Alexander Macsween, un collaborateur de longue date de Marie Brassard. C’est organique, inquiétant et un peu névrotique, cela va comme un gant à La fureur de ce que je pense. Frédéric Auger s’est associé aux créations de Philippe Cyr, François Girard, Robert Lepage et Claude Poissant; il aussi enseigne la sonorisation appliquée à la conception sonore à l’École nationale de théâtre du Canada.

La fureur de ce que je pense est une production parfaite. De la mise en scène, à l’interprétation, aux costumes (Catherine Chagnon) aux coiffures réalistes (Patrick G. Nadeau) aux maquillages très actuels (Jacques-Lee Pelletier), l’ensemble de la production converge vers un remarquable unique objectif: respecter la crédibilité, l’intelligence du propos de Nelly Arcan et faire découvrir la profondeur de son œuvre littéraire, encore malheureusement méconnue. À voir ou à revoir, absolument.

La fureur de ce que je pense, jusqu’au 3 décembre, à ESPACE GO et du 8 au 10 décembre au DIAMANT

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