Visions cosmiques en webdiffusion : Un concert sidéral et mystique, ancré dans l’humain

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La Société de musique contemporaine (SMCQ) adapte sa programmation aux exigences sanitaires sous la forme du récital. Il en fut ainsi du concert Visions cosmiques, en webdiffusion ce dimanche 25 octobre. C’est donc devant une salle complètement vide de son public que le duo talentueux des pianistes solistes Brigitte Poulin et Jean Marchand ont recréé Les Visions de l’Amen, une œuvre magistrale et importante dans la carrière du compositeur français Olivier Messiaen.

Au programme de ce concert virtuel diffusé sur YouTube et Facebook Live, les deux artistes ont interprété Andante Sostenuto, une œuvre de Denis Gougeon (2013) et le 1er mouvement Serein et méditatif de la Sonate pour piano no. 3, op 67 du compositeur libanais Bechara El-Khoury (2005).

« Le répertoire pour deux pianos, (réservé) à la réduction d’œuvres orchestrales (…) pour les répétitions, s’est développée à la demande des pianistes qui en appréciaient l’étendue des possibilités », précisait Walter Boudreau, directeur artistique de la SMCQ en annonçant le concert.

Première œuvre du concert, Bechara El-Khoury a composé la Sonate pour piano no 3 «Jésus, l’enfant du soleil» pour piano solo. Or les pianistes se sont répartis différentes sections afin de créer un dialogue, « un échange d’états d’âmes », explique Brigitte Poulin, en hommage aux victimes de la récente explosion de Beyrouth. Une composition ciselée où chaque note, comme autant de victimes, voudrait se faire entendre, voire faire revivre l’univers de chacun.

Cette œuvre interprétée ainsi instaurait peu à peu l’aspect universel et poétique, empreint d’une recherche de paix et de luminosité avec une mélodie qui se brise par instants, mais nous laisse cette douceur étrange qui cache une réelle et telle douleur qu’elle ne veut, ne peut, plus rien dire. A-t-on encore assez de larmes devant l’injustice d’une telle catastrophe ? Un magnifique moment d’émotions.

Crédit photo : Jerome Bertrand

Une œuvre de poésie

En présentant l’Andante Sostenuto de Denis Gougeon, Jean Marchand avance l’idée d’un chant intérieur qui accompagne comme en suspens une lente progression du propos peu à peu orageux, tumultueux même, qui se résorbe avec toutes ces petites notes qui apparaissent comme autant d’étoiles de l’espoir. Inspirée d’un poème de Fernand Ouellette dont Jean Marchand nous a fait la lecture, cette composition de Denis Gougeon propose des dissonances bien architecturées qui se jouent les unes des autres d’un piano à l’autre aussi bien dans les graves que les aigus. Un jeu créatif qui discrètement amène une gravité à l’ensemble comme un tonnerre qui gronde, un volcan sourd mais présent. Un vrai beau moment de sensations.

Visions de l’Amen

Les Visions de l’Amen (1943) s’inspirent des grands cycles théologiques à l’orgue. À la charnière de sa carrière, cette œuvre monumentale d’Olivier Messiaen a été présentée presque jour pour jour 50 ans après que le compositeur les ait interprétées lui-même à Montréal avec son épouse la pianiste Yvonne Loriod à l’invitation de la SMCQ, le 13 novembre 1970 à la salle Claude-Champagne. Jean Marchand était alors dans la salle.

Complices, les interprètes Brigitte Poulin et Jean Marchand se sont partagés une partition très orchestrée, presque machiste du compositeur, qui avait volontairement sérié les lignes de chaque piano : « Au premier piano, les difficultés rythmiques, les grappes d’accords : vélocité, charme et qualité de son. Au second piano la mélodie principale, les éléments thématiques : émotion et puissance. » mentionnait Messiaen.

Le stress d’un public invisible

En répondant aux questions du public à l’issue du concert, Brigitte Poulin et Jean Marchand ont reconnu que « jouer sans public, c’est énervant, mais heureusement que vous étiez là, les techniciens, les tourneurs de pages, etc. pour vibrer avec nous à ces interprétations. Merci également à Walter Boudreau de nous avoir invités à relever ce défi dans l’œuvre et la disposition particulière de ce concert… »

La qualité interprétative des deux artistes, la délicatesse de leurs mains et la puissance contenue, retenue par instants et totalement libérée, explosive du jeu était un spectacle merveilleux, fascinant… vivant !

Il faut bien admettre que le confinement des concerts via le web offre au public virtuel des prises de vues vraiment intéressantes sur les claviers, les mains des pianistes et leurs partitions et permet à tout un chacun d’assister, entre leurs doigts et doigté, à la naissance d’une composition.

Le concert est encore disponible en webdiffusion différé : https://youtu.be/L7PfAW-ngeI

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