Orchestre classique de Montréal : nouveau nom pour un ensemble classique

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Pourquoi avoir attendu si longtemps avant de changer de nom ? C’est la première question adressée à Boris Brott, directeur artistique de ce qui s’appelle maintenant l’Orchestre classique de Montréal
« Eh bien, ce n’était pas une décision évidente et nous voulions trouver le nom adéquat, dit le chef depuis l’endroit qu’il décrit comme son “bureau de Toronto”, le Library Bar de l’hôtel Fairmont Royal York. Tous les noms considérés ne semblaient pas convenir jusqu’à ce qu’un jour, notre comptable nous dise : “Pourquoi pas ‘Orchestre classique de Montréal’ ?” Ce à quoi, tout le monde a répondu : “Ouais ! C’est parfait !” Même les anglophones unilingues allaient comprendre ! »

Boris revenait tout juste de Montréal – puisqu’on se connaît depuis plus de 40 ans, ce sera Boris plutôt que Brott – où il avait dirigé la veille le tout premier concert de l’ensemble sous un autre nom que l’Orchestre de chambre McGill. Le mot « chambre » a été abandonné, explique Boris, « car du point de vue du public général il évoque souvent quelque chose qui n’est pas vraiment pour lui, quelque chose d’ésotérique et d’élitiste – ce que notre orchestre n’est pas du tout ».

L’Orchestre de chambre de McGill est issu du Quatuor à cordes McGill, fondé par le père de Boris, le chef, compositeur et violoniste Alexander Brott (1915-2005), à son entrée à la faculté de l’Université McGill en 1939. La violoncelliste Lotte Goetzel devint membre du quatuor en 1942 et l’année suivante elle épousait Alexander Brott. Lotte Brott (1922-1998) a donné naissance à Boris (né en 1944) et à son frère, Denis (né en 1950), qui a lui-même mené une brillante carrière de violoncelliste et d’organisateur de festival.

Peu à peu, le Quatuor à cordes McGill s’est diversifié et a élargi son répertoire en se produisant au sein de plus grands ensembles dirigés par Alexander Brott. En 1953, l’Orchestre de chambre McGill est officiellement créé. Selon le répertoire, le nombre de musiciens à un concert donné pouvait varier de son noyau de 15 à 16 instrumentistes à cordes pour la musique de chambre à 60 pour former un véritable orchestre classique. « Cette flexibilité, affirme Boris, qui nous permet de diminuer ou d’augmenter notre effectif, a toujours fait partie intégrante de l’Orchestre et est encore très importante. »

Durant l’évolution de l’ensemble, des membres de l’Orchestre symphonique de Montréal, dont Alexander Brott était le violon solo et le chef assistant et Lotte Brott un des violoncelles, étaient recrutés pour se produire au sein de l’Orchestre de chambre McGill. Parmi les vedettes canadiennes et internationales invitées, on a vu des solistes comme les chanteuses Maureen Forrester et Marilyn Horne, le pianiste Glenn Gould, le flûtiste Jean-Pierre Rampal, les violonistes Yehudi Menuhin, Isaac Stern et David Oïstrakh et les violoncellistes Mstislav Rostropovich et Yo-Yo Ma.

Mais en 1980, lorsqu’Alexander Brott a pris sa retraite de McGill, l’ensemble, aujourd’hui mondialement reconnu et qui jouait depuis longtemps hors campus dans les principales salles de concert de Montréal, a effectivement rompu ses liens avec l’université. Pourtant, Alexander Brott a insisté pour conserver « McGill » dans le nom de l’ensemble.

« C’est que mon père était très loyal envers McGill et nous avons convenu de conserver le nom de son vivant. » Reconnaissant que plusieurs personnes dans le public concluaient logiquement que l’ensemble était toujours lié à l’université, le comité, affirme Boris, « voulait le renommer Orchestre Alexander Brott ». N’ayant jamais eu un égo très prononcé, « mon père y était totalement opposé et invoquait comme excuse la vieille croyance juive selon laquelle donner le nom de quelqu’un à une entité de son vivant a pour effet de précipiter sa mort. Le nom de McGill est donc resté. Jusqu’à maintenant. »

En 1989, Boris a été nommé chef associé de l’ensemble et en est devenu le directeur artistique à la mort de son père en 2005. Pour sa première saison sous le nom d’Orchestre classique de Montréal, l’ensemble donnera neuf concerts, dont le point culminant aura lieu le 7 juin à la Maison symphonique avec la Symphonie no 9 de Beethoven. Le noyau de l’ensemble composé de seize musiciens (neuf violons, trois altos, trois violoncelles et une contrebasse) sera joint par une quarantaine de musiciens, en plus, bien sûr, d’un chœur pour l’Ode à la joie. Ce noyau sera plus modestement augmenté – avec hautbois, trompette et timbales – le 3 novembre pour un programme à la salle Pierre-Mercure qui comprendra l’arrangement de Busoni du Concerto pour piano en ré mineur de Bach (avec Anne-Marie Dubois en tant que soliste) et le Gloria de Vivaldi avec Les Petits Chanteurs du Mont-Royal.

Boris a toujours été lié à l’ensemble, il a grandi en regardant et en écoutant ses parents répéter à la maison et en assistant à leurs concerts avec le quatuor, l’ensemble de chambre et l’OSM. Selon ce que Boris m’a déjà dit en 1976, son éducation musicale aurait peut-être même commencé in utero. Il m’avait confié : « Lorsque j’étudie des œuvres symphoniques que je n’ai jamais étudiées auparavant, je me rends parfois compte que je connais intimement la ligne de violoncelle et que je peux deviner ce qui va suivre. En vérifiant auprès de ma mère ou en jetant un œil à son carnet, je me suis rendu compte que chaque fois, il s’agit d’un morceau qu’elle avait joué alors que j’étais encore dans son ventre ! »

Boris n’avait que trois ans lorsque son père rapporta à la maison un violon 1/8 et commença à lui donner des leçons. Boris apprenait vite. À cinq ans, il a fait ses débuts en solo lors d’un concert junior de l’OSM, jouant le premier mouvement d’un concerto pour violon de Vivaldi. Mais vers l’âge de 12 ans, il a troqué le violon et l’archet pour le bâton de chef. « C’est parce que je n’aimais pas me sentir isolé de mes camarades d’école en pratiquant le violon à la maison au lieu de faire du sport. Et un jour, j’ai amené mon violon à un rassemblement et ce fut un désastre total : je me suis fait lancer des boules de neige jusque chez moi. Deux de mes voisins qui étaient en même année que moi à l’école sont devenus mes “protecteurs” et m’escortaient partout pour s’assurer que je ne me faisais pas trop rudoyer. »

« Igor Markevitch, alors directeur musical de l’Orchestre symphonique de Montréal, qui a passé beaucoup de temps chez moi, tout comme de nombreux musiciens invités, m’a confié que j’avais une façon remarquable de m’exprimer et que je devrais envisager de devenir chef d’orchestre. C’est lui qui a vu cela en moi et qui a annoncé à la table lors d’un dîner que je devrais venir étudier avec lui à Mexico. »

Boris a alors commencé à étudier pour être chef avec Markevitch et Pierre Monteux. Encore une fois, il apprenait très vite et a remporté le premier prix du concours de direction d’orchestre panaméricain de 1958 à Mexico. L’année suivante, à 15 ans, il fonde l’Orchestre philharmonique des jeunes de Montréal, faisant ses débuts devant public comme chef d’orchestre, succédant ainsi à son père fondateur de l’orchestre et chef, avec qui il partageait, en plus du talent, sa date d’anniversaire – le 14 mars.

La carrière de chef de Boris dure maintenant depuis 60 ans. Il s’est spécialisé dans la fondation d’orchestres – et de leurs publics – durant ses années de carrière comme directeur artistique ou comme chef de l’Orchestre symphonique de Lakehead/Thunder Bay, de l’Orchestre symphonique de Regina, de l’Orchestre philharmonique d’Hamilton, de l’Orchestre de la SRC de Winnipeg, du Northern Sinfonia au Royaume-Uni, de l’Orchestre symphonique de Nouvelle-Écosse, de l’Ontario Place Pops Orchestra, de l’Orchestre gallois de la BBC et du New West Symphony en Californie.

Avec le recul, il se souvient avec plaisir de son association avec Leonard Bernstein. « J’ai remporté le concours Dimitri Mitropoulos en 1968 et je suis devenu chef assistant de Bernstein à l’Orchestre philharmonique de New York, passant du temps à étudier des partitions avec lui. Il a exercé une énorme influence sur moi. Ce fut donc une expérience très particulière pour moi de diriger la première représentation au Vatican de La Messe de Bernstein en 2000, en présence du pape. Qui plus est, souvenons-nous que cette œuvre avait au départ été gravement décriée par l’Église catholique. »

Les nombreux prix attribués à Boris incluent l’Ordre du Canada, l’Ordre de l’Ontario et l’Ordre du Québec. Mais je n’ai pas été surpris d’apprendre que le prix dont il était le plus fier était celui de la Journée nationale de l’enfant qu’il a reçu en 2007 en récompense de son travail auprès de plus d’un million d’enfants, qu’il a initiés aux beautés et aux sensations de la musique classique. Boris a toujours aimé jouer pour les enfants et il a dirigé régulièrement les concerts pour enfants de l’Orchestre du Centre national des Arts. « Après tout, dit-il, les enfants sont notre futur public, nous avons donc un rôle important à jouer. »

Y a-t-il des œuvres qu’il préfère, disons des œuvres festives, qu’il revisite fréquemment ? « Pas vraiment, répond-il. Pour moi, l’œuvre que j’étudie et interprète doit être, au moment où je la joue, ma préférée, sinon je ne pourrais pas jouer de façon convaincante. Mais je ne me lasse jamais d’interpréter le répertoire romantique allemand et russe – je viens d’une famille russe du côté de mon père et allemande du côté de ma mère – et la musique du siècle dernier. Quoique je n’aie jamais trouvé plus haut degré de sympathie que dans la seconde école de Vienne de Schoenberg, Berg et Webern. »

« Du point de vue de la programmation, le baroque a été accaparé par une idéologie de la “pratique authentique” avec des instruments dits authentiques. Eh bien, l’OCM n’est pas ce genre d’orchestre. Notre répertoire tend à se tenir à l’écart du baroque et intègre beaucoup de musique du 19e siècle à nos jours. Cela a toujours été la ligne de conduite de l’orchestre, qui consiste aussi à encourager la musique et les compositeurs canadiens. Chaque année, une nouvelle œuvre est commandée et nous perpétuons cette tradition. »

Avec une cinquantaine de concerts prévus pour la saison 2019-2020, Boris ne montre aucun signe de ralentissement. Pourquoi le devrait-il ? À 75 ans, il est dans la force de l’âge pour un chef, une profession qui encourage la longévité de ses praticiens en exigeant une activité physique, émotionnelle et mentale prolongée, de sorte que de nombreux chefs d’orchestre distingués ont dirigé avec vigueur jusqu’à l’âge de 80 ou 90 ans. Boris continue de diriger l’annuel Brott Music Festival, qu’il a fondé en 1988 à Hamilton, où il réside, ainsi que la branche formatrice du festival, le National Academy Orchestra of Canada. « Avec le NAOC, dit-il fièrement, nous avons formé plus de 1600 musiciens dans le monde entier. Nous considérons que notre mission est de les aider à faire la transition de l’école à l’emploi – souvent, cela requiert non seulement un talent musical, mais aussi un entregent bien utile pour présenter une candidature. »

« Mes objectifs pour l’avenir sont d’infuser davantage de sang neuf dans l’OCM, d’augmenter l’ampleur de notre activité et de repousser nos frontières culturelles. Notre programme Musique pour tous est destiné à accroître la diversité de nos publics et à créer des liens avec nos différentes communautés ethnoculturelles, en amenant leurs compositeurs et interprètes à travailler étroitement avec nous, en joignant leurs fantastiques cultures musicales à nos traditions classiques issues de l’Europe. »

« Je suis en train de reconstruire Opera Hamilton, la société que j’ai fondée il y a 40 ans. Nous avons déjà terminé La Bohème, qui se déroule dans le Hamilton contemporain. Nous nous concentrerons tout d’abord sur le répertoire italien, car la langue seconde à Hamilton est l’italien et non le français. J’ai toujours voulu diriger le cycle de l’Anneau de Wagner, mais cela n’arrivera probablement jamais. »

« Bien sûr, j’ai joué de nombreux extraits orchestraux d’opéras de Wagner et je les aime depuis mon enfance, alors que je les écoutais avec mon grand-père allemand. Je m’intéresse également aux aspects thérapeutiques de la musique – “La musique a le pouvoir d’apaiser” – et aux possibilités pour l’OCM de travailler avec les foyers pour personnes âgées et à contribuer aux programmes pour personnes aux prises avec des troubles émotionnels et mentaux. Je pense que nous avons beaucoup à apporter dans ces domaines. »

Malgré une longue carrière riche en réalisations, Boris est clairement orienté vers l’avenir plutôt que vers le passé. Il reste encore beaucoup à faire et, qui sait, peut-être même le tout premier Anneau d’Opera Hamilton ?

Pour plus d’information sur l’Orchestre classique de Montréal, visitez www.orchestre.ca. Pour plus d’information sur Boris Brott, visitez www.borisbrott.com.

Traduction par Andréanne Venne

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