Nouvelles perspectives

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…En concert : Off Festival de jazz, 20e édition

pareille date l’an dernier, l’Off Festival de jazz de Montréal annonçait deux changements importants dans son organisation, soit le départ de son directeur administratif de la première heure et le retrait de membres de longue date de son comité de ­programmation. Pour cette édition, la ­vingtième de son histoire, l’OFJM a pourvu le premier poste, assuré désormais par Geneviève Morasse, ­violoniste de métier. Le comité artistique, pour sa part, fait peau neuve, ou presque, avec quatre nouveaux membres, l’exception étant le claviériste Gabriel Vinuela-Pelletier qui en est le coordonnateur. Lévis Bourbonnais, enfin, reste à la présidence de l’événement, fonction qu’il occupe depuis près de dix ans.

Côté programmation, cette édition anniversaire s’annonce particulièrement aventureuse, avec plusieurs propositions musicales situées aux confins des genres. Parmi les 22 spectacles à l’affiche, trois se détachent du lot, un quatrième étant celui de Joel Miller qui a fait l’objet de notre section du mois dernier.

Sarah Rossy Chamber Ensemble

Qualifiée de « coup de cœur » par les organisateurs, la chanteuse-­pianiste montréalaise Sarah Rossy en est à sa première ­présence au ­festival. Outre le quartette piano-basse-batterie-saxo, sa formation est arrondie par un trio de cordes (violon, alto, ­violoncelle). La prestation festivalière vient couronner une bonne année et demie d’activités assez fébriles pour cette artiste émergente. Hiver 2018 : études à Berlin ; avril : octroi de la bourse d’enregistrement Eleanor-Stubley de l’Université McGill et formation d’un premier ensemble de chambre ; mai : sélection comme finaliste au concours de chant jazz Ella Fitzgerald à Washington où elle décroche une troisième place ; août 2018 : études au Centre des Arts de Banff ; Février 2019 : enregistrement de son ensemble ; avril: termine sa ­maîtrise à McGill.

La démarche musicale, pour sa part, s’inscrit parfaitement dans l’esthétique suggérée par le nom de son ensemble : nuancée dans ses dynamiques et introspective de ton, elle n’en est pas moins ouverte dans ses trames ­harmoniques et mélodiques. Elle signe aussi tous les morceaux, incluant les paroles qu’elle entonne d’une voix aérienne et rêveuse. Si vous aimez la voix, sans toutefois être fana du jazz vocal, voici une proposition à découvrir. Qui plus est, son concert comportera une dimension visuelle avec des projections sur grand écran assurées par un vidéaste, ce ­dernier remplaçant la violoncelliste de l’ensemble. Mercredi 9 octobre, 20 h, Lion d’or. (En ouverture : Portraits, chansons de Joni Mitchell interprétées par Karen Young et Marianne Trudel.)

Gabriel Vinuela-Pelletier
Exilio Transitorio

Pianiste du Parc-X Trio, Gabriel Vinuela-Pelletier se lance cette année dans un projet multimédia inédit comportant une instrumentation acoustique (violon, vibraphone, voix, batterie) et électrifiée ainsi que des manipulations électroniques en direct et une composante vidéo en sus. Le spectacle emprunte son titre à un recueil de poèmes de son père chilien, en fuite après le coup d’État de 1973. En mars dernier, Vinuela-Pelletier montait ce projet lors d’une résidence offerte par le Centre d’expérimentation musicale (CEM) de Chicoutimi.

Frédéric Alarie
Modules d’expression intuitive

Connu de tous pour sa longue collaboration aux côtés de Lorraine Desmarais, le contrebassiste Frédéric Alarie est un explorateur de sonorités inédites sur son instrument. Depuis vingt ans, il poursuit des recherches personnelles, documentées sur quatre albums, le plus récent sur le mythique ­instrument de Scott La Faro. Pour sa prestation, Alarie a conçu un projet de musique interactive avec un système ­électronique de sa conception. En un mot : il a construit un ensemble de dix modules emmagasinant chacun une banque de sons préenregistrés qu’il peut déclencher par ­certaines notes de son instrument au moyen d’une pédale. Musicalement, il décrit son approche comme un croisement entre ­l’univers mélodique et harmonique de Ravel et un autre plus conceptuel, celui de la « musique intuitive » formulée par Stockhausen. Pour son concert, il vient tout juste de passer deux semaines au CEM à Chicoutimi, travaillant avec deux percussionnistes (Robert Pelletier et Charles Côté) qui seront du spectacle montréalais, lequel comprendra des projections vidéo. Intrigant, non ?

Vendredi, 11 octobre, 20 h, à l’AusgangPlaza, pour ce concert et le précédent.

Ailleurs au festival

De l’impro à la compo

IWP (Improvisation Workshop Project)

Mise sur pied et pilotée par le pianiste Jean-Michel Pilc, cette initiative explore la libre improvisation en formations aux personnels variables. Pour cette soirée, huit musiciens seront de la ­partie dont Rémi Bolduc et Kevin Dean ainsi qu’une invitée spéciale, la chanteuse Elisabeth Kontomanou. Jeudi 10, 20 h, le Ministère. 

ONJ Montreal – The Mystic Mind Suite

En juillet dernier, l’Orchestre national de jazz de Montréal retournait en studio après plus de deux ans d’absence pour réaliser son ­troisième album consacré à une suite écrite par son tromboniste Jean-Nicolas Trottier. L’Off bouclera son édition par ce concert qui ­marquera le lancement d’un enregistrement disponible par téléchargement. Trois solistes s’ajoutent à l’orchestre dans cette œuvre, soit Yannick Rieu, Sylvain Provost et Rafael Zalidvar. Samedi 12, 20 h, l’Astral.

Saxos sans piano

Jadis associées au free jazz, les formations sans piano sont monnaie courante dans le jazz contemporain. Voici trois bons exemples au festival.

Hornet

L’an dernier, le festival décernait son prix François-Marcaurelle au saxo alto Jean-François Ouellet et son quartette. Cette ­formation, dont le nom rime avec le prénom d’un certain M. Coleman, revient cette année au festival armée d’un nouveau répertoire. Un post-free jazz jouissif, mélodique et swinguant à souhait. Mercredi 9, 17 h, Café Résonance.

Eyvin Trio

Formé par le batteur Ivan Bamford, ce trio avec contrebasse et saxo rend hommage au dynamique saxo américain Thomas Chapin, ­disparu à l’aube de ses 40 ans en 1998. Un concert à ne pas rater pour tout amateur de jazz bien relevé. Jeudi 10, 17 h, Café Résonance.

No Codes

Benjamin Deschamps, saxo alto, partage l’avant-scène avec son confrère ténor Frank Lozano, tous deux appuyés d’un solide tandem rythmique. Ce groupe, lauréat du concours du FIJM en juillet, parcourt un répertoire de pièces de son chef, inspirées par des standards de jazz habilement maquillés. Du jazz dans la plus belle de ses traditions.

Jeudi 10 octobre, 22 h, Dièse Onze.

Horaire complet et billetterie : www.loffjazz.com

 

…Et sur disque : Pi Recordings

De nos jours, les grandes maisons de disques rééditent les valeurs sûres de leurs catalogues jazz, se détournant ainsi de la production de nouveaux artistes. Les étiquettes indépendantes en revanche ont repris ce flambeau pour devenir les véritables diffuseurs et promoteurs de ­l’actualité musicale. Certaines d’entre elles se donnent même le mandat de mettre de l’avant les artistes qui ne regardent point dans le rétroviseur, mais bien devant eux.

Pi Recordings s’inscrit justement dans la ­mouvance d’un jazz américain de pointe. Sise au cœur de la Grosse Pomme, cette entreprise a vu le jour en 2001, son fondateur Seth Rosner étant fasciné depuis toujours par la démarche musicale de l’Association for the Advancement of Creative Musicians (AACM) – collectif afro-américain de Chicago maintes fois traité dans ces pages. Un an plus tard, Yulun Wang, autre mordu de ces musiques, passe un coup de fil au producteur et lui ­propose une ­rencontre. Une complicité s’établit immédiatement entre les deux hommes. Natif de Taïwan mais naturalisé américain, Wang ­n’hésite pas et plonge tête première. « C’était un grand changement pour moi, déclare-t-il dans un échange courriel récent. J’étais dans le secteur financier depuis un bon moment, mais le goût d’explorer de nouvelles avenues a eu le meilleur de moi. Et le reste fait partie de l’histoire, comme on dit. »

En dépit des ombres qui planent sur ­l’industrie du disque, PI a le vent dans les voiles en ce moment. Son catalogue de plus de 80 titres est un bon indice de son état de santé, mais­ ­l’avenir s’annonce plus prometteur encore avec la ­sortie de trois nouveautés cet automne et neuf autres albums déjà en préparation.

À l’apogée du compact dans les années 2000, les coproducteurs auraient pu faire preuve de zèle en suivant la cadence folle d’autres ­étiquettes, mais ont décidé de limiter leurs ­sorties à six titres par an – décision qui s’est ­avérée fort juste. « Cela nous oblige à réfléchir beaucoup par rapport à nos choix d’artistes et à nos réalisations », note M. Wang.

Ce sont justement ces choix bien posés qui ont contribué à la visibilité de l’étiquette ces ­derniers temps. Dès ses débuts, PI a recruté des artistes visionnaires tels Roscoe Mitchell, Henry Threadgill et Wadada Leo Smith (membres de la première heure de l’AACM), accueillant par la suite toute une génération montante, entre autres les saxos Steve Lehman et Rudresh Mahanthappa, les ­pianistes Vijay Iyer et Matt Mitchell, le guitariste Liberty Ellman. La ­politique éditoriale, pour sa part, repose sur des musiques toujours originales, issues de ­créateurs aux conceptions ­audacieuses.

Dans les premiers mois de 2019, l’étiquette a effectué son plus beau coup sur le marché avec une double offrande de l’Art Ensemble de Chicago (We Are on the Edge). Encensée par les médias, cette parution souligne le ­cinquantenaire de cette formation emblématique de l’AACM. Nous y reviendrons le mois prochain dans notre section entièrement consacrée à ce groupe.

Quant au sujet épineux du disque et de son avenir, M. Wang ne sonne pas tout à fait le glas, mais croit plutôt à un plafonnement ­provisoire des ventes. Pourtant, il affiche un certain ­pessimisme en ce qui concerne les ­plateformes d’écoute et de téléchargement. « Elles nous font du tort, concède-t-il, et nous refusons d’y participer en raison du faible taux de redevances. Si l’industrie décidait un jour de ­s’aligner sur cette seule voie de diffusion, nous fermerions boutique tout simplement. »

Par ailleurs, le vinyle ne lui paraît pas comme une solution de rechange, malgré tout l’engouement qui ­l’entoure : les coûts de ­production sont trop élevés, l’envoi postal exorbitant, le transport d’albums par des musiciens en tournée infaisable, les marges de profit bien trop maigres au bout du compte. « Même si les gens aiment bien le vinyle, notre expérience démontre que les amateurs ­achètent plutôt des titres parus à ­l’origine en longs jeux et non des enregistrements ­nouveaux comme les nôtres. »

www.pirecordings.com

À noter : quelques titres de cette étiquette feront l’objet de critiques dans notre revue de fin d’année, en décembre.­

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A propos de l'auteur

Marc Chénard is a Montreal-based multilingual music journalist specialized in jazz and improvised music. In a career now spanning some 30 years, he has published a wide array of articles and essays, mainly in Canada, some in the United States and several in Europe (France, Belgium, Germany and Austria). He has travelled extensively to cover major festivals in cities as varied as Vancouver and Chicago, Paris and Berlin, Vienna and Copenhagen. He has been the jazz editor and a special features writer for La Scena Musicale since 2002; currently, he also contributes to Point of Departure, an American online journal devoted to creative musics. / / Marc Chénard est un journaliste multilingue de métier de Montréal spécialisé en jazz et en musiques improvisées. En plus de 30 ans de carrière, ses reportages, critiques et essais ont été publiés principalement au Canada, parfois aux États-Unis mais également dans plusieurs pays européens (France, Belgique, Allemagne, Autriche). De plus, il a été invité à couvrir plusieurs festivals étrangers de renom, tant en Amérique (Vancouver, Chicago) que Outre-Atlantique (Paris, Berlin, Vienne et Copenhangue). Depuis 2012, il agit comme rédacteur atitré de la section jazz de La Scena Musicale; en 2013, il entame une collabortion auprès de la publication américaine Point of Departure, celle-ci dédiée aux musiques créatives de notre temps.

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