Marc Copland : Mezzo piano

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En musique, le terme mezzo désigne soit une tessiture moyenne se situant entre l’aigu et le grave, soit une marque dynamique ni trop douce ni trop forte. En jazz, la première désignation pourrait être apposée à une catégorie de chanteuses au timbre assez grave (pensons à Sarah Vaughan), la seconde existe aussi, mais elle est bien en deçà du seuil de volume habituel, poussé bien plus vers le haut que vers le bas.

Bien que la tendance à jouer tous tambours battants caractérise cette musique de manière générale, cela n’exclut pas des démarches plus nuancées, certaines d’une subtilité comparable aux musiques de chambre classiques. À ce titre, on retrouve une lignée de pianistes qui ont choisi de caresser les touches plutôt que de les attaquer comme des forcenés. De ce nombre, Teddy Wilson, Count Basie ou John Lewis n’ont fort probablement jamais abusé d’un instrument quitte à le désaccorder en concert.

Parmi les contemporains, Marc Copland poursuit cette voie du piano comme instrument de timbres et de couleurs feutrées. Toutefois, la carrière de ce musicien né à Philadelphie en 1948 est un brin atypique, car il est revenu au piano, auquel il s’était initié dans son enfance, après avoir joué du saxo alto de son adolescence jusqu’au début de l’âge adulte.

Piano-Saxo-Piano

Photo: F. Prandoni

Rencontré en octobre dernier avant l’une de ses deux prestations données dans le cadre de l’Off festival de jazz, Copland explique : « À 25 ans, mon choix était fait, mais mes pairs ne comprenaient pas. Les instruments à vent sont conçus pour produire des notes individuelles, une par une, mais je voulais en jouer plusieurs en même temps. Je me suis donc remis au travail pour d’abord récupérer ce que j’avais appris dans mes cours particuliers pour enfin me concentrer sur les choses que j’entendais en moi. »

À son école secondaire, il comptait quelques camarades devenus célèbres par la suite, notamment les frères Brecker, qu’il côtoyait dans les orchestres étudiants pour ensuite les accompagner au piano après avoir passé au rang professionnel. Au début des années 1960, il découvre le jazz lorsqu’un copain de classe lui offre un billet pour un concert du quartette de Dave Brubeck. « Dès que j’ai entendu les premières notes de Paul Desmond à l’alto, j’étais accro, du moins jusqu’à mes 17 ans quand je suis tombé sous le coup de Miles Davis et me suis mis à repiquer son style avec mes camarades. »

Son patronyme actuel, notons-le, n’est pas son nom original, mais le résultat d’un concours de circonstances. « Au début des années 1970, il y avait un chanteur pop du nom de Mark Cohen, comme le mien, et je recevais des appels par erreur pour ses engagements ! Pour éviter la confusion, il fallait m’en trouver un autre et j’ai choisi Copland en référence à mon compatriote compositeur préféré. Au début, ce n’était qu’un nom de scène, mais j’ai fini par l’adopter de manière légale. »

Bill et Paul

En considérant le style du pianiste, il ne fait aucun doute qu’il y a une affinité avec l’univers musical de Bill Evans. Contemporain de ce dernier, Copland se souvient de la seule occasion de l’avoir vu en personne. « Je travaillais comme pianiste maison d’une boîte de jazz dans la capitale américaine, j’accompagnais tous les noms de passage, une formidable expérience qui m’a permis de connaître une foule de musiciens. Le joueur de bugle Art Farmer était l’invité un soir et Evans se produisait quelques portes plus loin. Un journaliste m’apprend qu’Art lui a dit de faire son tour pour me voir. J’ai comme figé sur place. Evans est venu et je continuais à jouer sans vraiment le voir, car je lui faisais dos sur scène. Entre deux pièces, j’ai vu Art faire comme un signe dirigé quelque part derrière moi, qui semblait dire : ‘Je te l’avais dit !’ Je pensais n’avoir pas bien joué, je me suis esquivé sans mot dire. »

Influence plus tardive, Paul Bley a également marqué Copland, quoique sur un autre plan. « Paul était un musicien d’une rare audace. Par exemple, son solo bitonal sur la pièce All the Things You Are du disque Sonny Meets Hawk : en 1963, on ne faisait pas cela en jazz, alors quelle témérité de sa part. Je ne le connaissais pas beaucoup jusqu’à ce que son ex-bassiste Gary Peacock me dise qu’il y avait quelque chose de son jeu en moi. Alors j’ai décidé de le découvrir. Au moins, j’ai eu la chance de le connaître. Je me souviens d’une occasion où on jouait tous les deux à New York, il cherchait un chauffeur pour le reconduire. Je me suis proposé. En route, nous nous sommes arrêtés dans un resto pour camionneurs où nous avons jasé jusqu’aux petites heures du matin. Son propos n’était pas sur la musique comme telle, mais sur la conduite de mes affaires : il m’a souligné mes erreurs, et il avait raison aussi. Il m’a en quelque sorte déconstruit pour me reconstruire. »

Collaborations fructueuses

Trio Marc Copland avec John Abercrombie

Sur disque, Marc Copland compte une quarantaine de titres à son nom, tant sur des étiquettes américaines (incluant la sienne, Inner/Voice/Jazz) qu’en Europe. Parmi ces dernières, son association avec la maison suisse Hat Art lui a certes donné la meilleure des visibilités outre-mer. Une association fructueuse, dit-il, qui s’est amorcée suivant le désistement de Bill Carrothers, sollicité pour participer à un projet d’une série inaboutie d’enregistrements consacrés à des pianistes. Suivit alors une collaboration de plusieurs années dans les années 2000, totalisant cinq albums.

De nos jours, Copland a choisi, comme tant d’autres, de contrôler sa production artistique par sa propre griffe musicale. Pour 2022, il envisage deux nouvelles réalisations en trio, l’une avec ses accompagnateurs montréalais (Adrian Vedady, basse, et Jim Doxas, batterie), l’autre avec ses compatriotes de renom, le bassiste Drew Gress et le batteur Joey Baron.

Si vous avez manqué la prestation automnale de Copland avec ses équipiers montréalais ainsi que le saxo ténor Chet Doxas, ils se produiront tous à la Salle Bourgie le 10 février devant un public limité à 50 % de sa capacité ou en ligne, disponible sur demande, du 17 février au 3 mars.

www.marccopland.com

À lire dans ce numéro . Au rayon du disque (Critiques de nouveautés canadiennes de Montréal et de Toronto).

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A propos de l'auteur

Marc Chénard is a Montreal-based multilingual music journalist specialized in jazz and improvised music. In a career now spanning some 30 years, he has published a wide array of articles and essays, mainly in Canada, some in the United States and several in Europe (France, Belgium, Germany and Austria). He has travelled extensively to cover major festivals in cities as varied as Vancouver and Chicago, Paris and Berlin, Vienna and Copenhagen. He has been the jazz editor and a special features writer for La Scena Musicale since 2002; currently, he also contributes to Point of Departure, an American online journal devoted to creative musics. / / Marc Chénard est un journaliste multilingue de métier de Montréal spécialisé en jazz et en musiques improvisées. En plus de 30 ans de carrière, ses reportages, critiques et essais ont été publiés principalement au Canada, parfois aux États-Unis mais également dans plusieurs pays européens (France, Belgique, Allemagne, Autriche). De plus, il a été invité à couvrir plusieurs festivals étrangers de renom, tant en Amérique (Vancouver, Chicago) que Outre-Atlantique (Paris, Berlin, Vienne et Copenhangue). Depuis 2012, il agit comme rédacteur atitré de la section jazz de La Scena Musicale; en 2013, il entame une collabortion auprès de la publication américaine Point of Departure, celle-ci dédiée aux musiques créatives de notre temps.

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