Hommes de sons

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Sans eux, le jazz n’aurait jamais laissé d’empreinte de conséquence sur le patrimoine mondial de la musique. Certes, les musiciens sont les premiers moteurs de cet art, mais la note bleue a assuré sa diffusion aux quatre coins du globe par l’enregistrement sonore. Si les créateurs ont avancé leur cause par ce médium, ils doivent une fière chandelle aux ingénieurs de son. Réputés ferrés dans les aspects techniques du métier, ces héros méconnus de la musique agissent dans l’ombre, préférant le travail en studio aux feux de la rampe. Pourtant, les meilleurs ne sont pas que des manipulateurs de consoles, mais aussi des musiciens, certains actifs sur les deux plans, d’autres ayant remisé leurs instruments.

Que l’on parle de classique, de pop ou de jazz, chaque genre a ses spécificités au chapitre de la captation sonore. Quatre ingénieurs de son montréalais, tous musiciens à la base, nous offrent leurs sons de cloche à cet égard, nous révélant plus précisément leurs approches pour enregistrer le jazz.

André White

André White

Fils de musicien, André White entama sa carrière comme batteur et pianiste dans les années 1970. Une décennie plus tard, il est le premier jazzman à s’inscrire au programme d’enregistrement sonore de l’Université McGill, y décrochant son diplôme en 1990. Suivront alors des années soutenues de travail, si soutenues qu’il cessera toute activité en 2008 en raison d’épuisement. Outre son poste d’enseignant au département jazz de ce même établissement, il maintient toujours ses métiers de musicien et de preneur de son, quoique sur une base beaucoup plus sélective.

« J’ai eu la chance de visiter le studio de Rudy van Gelder en 1988, à Englewood Cliffs au New Jersey. À mon avis, il a fixé la barre en jazz et on a qu’à penser aux étiquettes Blue Note et Impulse pour s’en convaincre. À cette époque, il avait délaissé l’analogique au profit du numérique; il avait fait son choix, mais je ne me suis jamais rangé dans l’un ou l’autre camp comme lui. Ce que je n’aime pas cependant, ce sont les enregistrements où l’on corrige tout, les imperfections, ça fait partie de la musique. En studio, je préfère travailler avec des petites formations, et ce, en isolant le batteur dans une cabine (mais pas le bassiste); on évite ainsi l’entrée de fréquences indésirables sur d’autres pistes. »

Jacques Laurin

Contrebassiste à ses débuts (années 1970), Jacques Laurin s’intéressait également à la captation. Après une retraite de la scène, il se consacre complètement à l’enregistrement en 1987, apprenant d’abord le métier sur le tas avant de faire un baccalauréat en musique suivi d’une maîtrise en enregistrement sonore, également à McGill. En 2012, il fonde l’Orchestre national de jazz de Montréal, ensemble pour lequel il effectue toutes les captations de concerts.

Jacques Laurin

« Quand on me sollicite, j’accorde toujours la priorité à l’aspect artistique du projet plutôt qu’aux considérations
techniques. Par ailleurs, il y a la question de l’espace, un défi en soi en raison d’un manque de scènes ou de studios convenables au jazz. Je dirais même qu’on retrouve cela seulement à New York, notamment dans les trois salles du Lincoln Center, conçues spécifiquement pour cette musique. Je tends à isoler les musiciens en studio, batterie et basse, ou tous dans la même pièce, selon les circonstances. J’enregistre aussi tous les concerts de l’ONJ en multipiste par la console de son de la salle où je me charge par après de la réalisation et du montage, deux activités que je fais pour des musiciens m’arrivant avec une bande. »

George Doxas

Guitariste classique de formation et contrebassiste par la suite, George Doxas a ouvert son propre studio, Boutique du Son, en 1990. Encouragé par ses deux fils musiciens, le saxophoniste Chet et le batteur Jim, ainsi que par sa femme, il se lance dans l’aventure à temps plein dans son domicile à Pointe-Claire. Ces dernières années, il a élargi son sous-sol, le divisant en quatre espaces disposés autour d’une salle de contrôle. Outre un équipement complet de batterie, il s’est procuré un tout nouveau piano à queue de type concert.

« Avoir son studio est un formidable avantage parce que tout l’équipement est en place et on peut démarrer assez vite. Comme les musiciens de jazz n’ont pas de gros sous à dépenser, ils apprécient cela, tout comme le fait que j’offre mes services à des tarifs fort raisonnables. J’ai commencé en analogique pour virer vers le numérique, chose qui a rendu nos vies bien plus faciles, surtout sur le plan de la réalisation et du montage, sans oublier la mastérisation, un tout autre procédé que je suis en mesure de faire. Ayant tous les outils à ma disposition, je peux donc produire un enregistrement clés en main dans la journée même de la séance. »

Alain Bédard

Natif de Québec, Alain Bédard a longtemps joué de la contrebasse, tant dans sa ville natale qu’à Montréal où il s’établit. Intéressé par l’enregistrement depuis toujours, il suit des cours à l’UQAM tout en apprenant le métier avec des professionnels établis. En 1998, il met sur pied Effendi Records, assurant d’abord les enregistrements et le mixage des premiers titres. En reprenant son instrument en 2002, il restreint ses activités de studio au mixage des séances à titre de réalisateur, fonction qui lui permet d’agir comme intermédiaire entre l’ingénieur de son et les musiciens.

« Comme le jazz est une musique d’improvisation, il se joue en direct, ce qui le différencie de la musique pop, où l’on peut réaliser chaque partie indépendamment des autres pour en faire le montage après coup. Cette expérience sur le vif nécessite donc un certain travail de placement en studio. Pour ma part, j’isole la contrebasse, parce que sa sonorité est moins forte, amoindrissant ainsi le risque d’interférence de fréquences parasites. La batterie, par contre, je la garde avec le reste du groupe, autrement cela produit un son enfermé et étouffé, pas naturel du tout. »

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A propos de l'auteur

Marc Chénard is a Montreal-based multilingual music journalist specialized in jazz and improvised music. In a career now spanning some 30 years, he has published a wide array of articles and essays, mainly in Canada, some in the United States and several in Europe (France, Belgium, Germany and Austria). He has travelled extensively to cover major festivals in cities as varied as Vancouver and Chicago, Paris and Berlin, Vienna and Copenhagen. He has been the jazz editor and a special features writer for La Scena Musicale since 2002; currently, he also contributes to Point of Departure, an American online journal devoted to creative musics. / / Marc Chénard est un journaliste multilingue de métier de Montréal spécialisé en jazz et en musiques improvisées. En plus de 30 ans de carrière, ses reportages, critiques et essais ont été publiés principalement au Canada, parfois aux États-Unis mais également dans plusieurs pays européens (France, Belgique, Allemagne, Autriche). De plus, il a été invité à couvrir plusieurs festivals étrangers de renom, tant en Amérique (Vancouver, Chicago) que Outre-Atlantique (Paris, Berlin, Vienne et Copenhangue). Depuis 2012, il agit comme rédacteur atitré de la section jazz de La Scena Musicale; en 2013, il entame une collabortion auprès de la publication américaine Point of Departure, celle-ci dédiée aux musiques créatives de notre temps.

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