Ces mots dits du jazz

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Steve Lacy (Unfinished)
Guillaume Tarche, éditeur
Lenka Lente Paris  2021, 556  p.

Au panthéon du jazz, le saxo soprano Steve Lacy (1934-2004) occupe une place de choix. Outre ses quelque 200 à 300 références discographiques, il s’est exprimé à fond sur son art, à la fois dans un recueil d’entrevues (Steve Lacy, Conversations) et dans un ouvrage à caractère pédagogique (Findings) expliquant les fondements de sa démarche musicale. Le nouveau petit pavé de plus de 500 pages regroupe un éventail impressionnant d’articles et de témoignages sur l’artiste, célébrant majoritairement sa contribution à la manière d’un Festschrift allemand. Collègues, journalistes, érudits et proches, notamment sa muse, la chanteuse Irène Aebi, participent à cette mosaïque consacrée à un explorateur influencé autant par Monk et Ellington que par le free jazz et les musiques expérimentales. Certes, l’ensemble des textes plaide sa cause, mais quelques contributions plus critiques sont incluses, dont un essai qui remet les pendules à l’heure sur le long périple argentin du saxo en 1966 et ses jugements péremptoires à l’égard de la scène locale, voire un second du musicien Josh Sinton qui s’interroge sur le retrait de New Duck de son répertoire à la fin des années 1970, morceau qu’íl juge comme l’un des plus audacieux du musicien. Exigeant par sa longueur et parfois ardu à lire, par exemple, les analyses musicologiques ou les appendices discographiques fastidieux, ce livre est destiné aux inconditionnels, son contenu du reste trilingue, la majorité en français et en anglais et quelques pages en italien. Une anecdote en terminant  : Lacy a partagé la scène une fois avec Miles Davis qui l’a mis à l’épreuve en l’invitant à jouer un blues à tempo d’enfer.

Phil Freeman
Ugly Beauty (Jazz in the 21st Century), Zero Books, 2022
250  p.

Observateur aguerri de la scène new-yorkaise, Phil Freeman ne peut mieux exprimer l’objet de son ouvrage lorsqu’il affirme à la page 235 que les musiciens de moins de 40 ans ont été élevés dans un monde tout autre que celui de leurs aînés. Il identifie un changement majeur, soit l’incursion du hip hop. Si cette musique populaire de notre temps tisse les 250 pages du récit d’un fil rouge, ce n’est pas du tout une étude de ce genre mais une référence commune partagée par tous les musiciens et musiciennes (42 au total, dont 15 femmes), vus comme emblématiques du jazz actuel. Ils sont pour la plupart des Afro-Américains, actifs dans la Grosse Pomme, avec des exceptions, comme le saxo californien Kamasi Washington ou une nouvelle mouvance de jeunes Britanniques, avec les saxos Shabaka Hutchings et Nubya Garcia en tête de peloton. De la métropole du jazz, signalons les pianistes Ethan Iverson et Vijay Iyer, la guitariste Mary Halverson et deux trompettistes bien en vue, Ambrose Akinmusire et Christian Scott. Le propos de l’auteur consiste simplement à brosser des portraits conviviaux, donc sans analyses musicales et, curieusement, aucune photo des sujets, chaque chapitre se terminant par des références discographiques. Si Freeman se fait le chantre des artistes, il se garde d’exprimer des réserves à leur égard. Ce livre mérite lecture, car il rassemble pour la première fois de ce siècle une série de noms faisant jusque là l’objet d’articles éparpillés dans les médias spécialisés.

Mark Miller
Oneliness — The Life and Music of Brian Barley
Publication à compte d’auteur

Mark Miller, l’historien du jazz canadien sans rival, revient à la charge avec une nouvelle biographie qui s’inscrit dans la même veine que ses deux ouvrages précédents, l’un sur la légende retirée de la scène Sonny Greenwich, l’autre sur la figure mythique disparue sans trace Claude Ranger. Autrefois critique musical au Globe and Mail, l’auteur revisite un des sujets traités dans Fourteen Lives en 1983. Cettsoit le saxophoniste Brian Barley, mort à 28 ans en 1971. Clarinettiste classique de formation, Barley s’est illustré au ténor pendant une carrière d’à peine cinq ans, terminée brutalement par une crise d’épilepsie, état qui le tenaillait depuis un accident d’auto survenu en 1966. Compte tenu de la brièveté de son existence, Barley n’a gravé qu’un seul disque commercial à son nom de son vivant, apparaissant comme accompagnateur sur une poignée d’albums réalisés durant son séjour de trois ans à Montréal. Outre les faits biographiques brossant le portrait de l’artiste, le récit se concentre pleinement sur une analyse qualitative des enregistrements existants, dont des bandes inédites, réalisées ou bien en studio ou bien pour des diffusions radiophoniques. L’auteur se permet ainsi de mieux cerner le style du saxophoniste qui semblait davantage empreint par celui de Sonny Rollins que par le modèle de loin le plus imité de l’époque, John Coltrane.

Éphémère, la carrière de Barley ne peut faire l’objet d’un pavé, si bien qu’une centaine de pages suffit pour la raconter. Cela se lit alors d’une traite en une soirée, la prose fluide aidant. Après toutes ces années, Miller a même réussi à trouver de nouveaux témoins, leurs informations complétant le portrait d’un personnage qui aurait pu, si le mauvais sort ne s’était pas abattu sur lui, être propulsé sur la scène internationale – mais nous spéculons, bien sûr.

Voir ici l’article vedette de la section jazz.

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A propos de l'auteur

Marc Chénard is a Montreal-based multilingual music journalist specialized in jazz and improvised music. In a career now spanning some 30 years, he has published a wide array of articles and essays, mainly in Canada, some in the United States and several in Europe (France, Belgium, Germany and Austria). He has travelled extensively to cover major festivals in cities as varied as Vancouver and Chicago, Paris and Berlin, Vienna and Copenhagen. He has been the jazz editor and a special features writer for La Scena Musicale since 2002; currently, he also contributes to Point of Departure, an American online journal devoted to creative musics. / / Marc Chénard est un journaliste multilingue de métier de Montréal spécialisé en jazz et en musiques improvisées. En plus de 30 ans de carrière, ses reportages, critiques et essais ont été publiés principalement au Canada, parfois aux États-Unis mais également dans plusieurs pays européens (France, Belgique, Allemagne, Autriche). De plus, il a été invité à couvrir plusieurs festivals étrangers de renom, tant en Amérique (Vancouver, Chicago) que Outre-Atlantique (Paris, Berlin, Vienne et Copenhangue). Depuis 2012, il agit comme rédacteur atitré de la section jazz de La Scena Musicale; en 2013, il entame une collabortion auprès de la publication américaine Point of Departure, celle-ci dédiée aux musiques créatives de notre temps.

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