Cecilia Livingston: Entraînée par la mélodie

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Cecilia Livingston connaît le moment précis où sa musique a changé. Au lieu de faire son pain et de pratiquer le yoga pendant les pires périodes de la pandémie de 2020, elle travaillait activement à l’écriture de ce qui allait devenir un tournant dans sa vie créative, la mise en musique des mots de l’écrivaine Anne Michaels. La période de calme rendue nécessaire par les confinements a favorisé non seulement le développement de sa musique, mais aussi la prise de conscience par Cecilia Livingston de ses besoins en tant qu’artiste. La première de ce projet, luna premit, est prévue pour mai 2023.

Cecilia Livingston a terminé ses études à l’Université de Toronto, où elle était membre de l’Opera Student Composer Collective en 2010. Elle est titulaire d’un doctorat de cette université, où elle a reçu la bourse Theodoros Mirkopoulos en composition. À l’été 2022, elle a rejoint le programme Opera in the 21st Century du Banff Centre, une expérience de formation collaborative basée sur le spectacle pour les professionnels émergents de l’opéra, et elle est retournée à l’Université de Toronto en tant que professeure adjointe.

Le programme de Banff est dirigé par le célèbre metteur en scène Joel Ivany, qui est également directeur artistique de l’Against the Grain Theatre. La collaboration entre Livingston et Ivany sur des projets futurs reste un mystère, mais l’étendue des réalisations de Livingston est indéniable.

WITH ARTISTS OF TAFELMUSIK, REHEARSING FOR THE PREMIERE OF ‘GONE WITH THE WINDS’, 2020

Elle est vice-présidente de la Ligue canadienne des compositeurs, compositrice associée du Centre de musique canadienne et a remporté de nombreux prix, notamment le prix 2018 des compositeurs émergents du Centre de musique canadienne, le prix de la Fondation SOCAN pour les jeunes compositeurs et le prix 3 Femmes 2018 de Mécénat Musica pour les créatrices d’opéra au Canada. Elle a également travaillé avec de grands noms, dont le compositeur Steve Reich (au festival d’été de l’organisation de musique classique contemporaine Bang On a Can, à New York) et l’écrivaine Anne Michaels. Ses œuvres ont été présentées par le Tapestry Opera, Soundstreams, l’Orchestre symphonique de Toronto, l’Orchestre baroque Tafelmusik, le Vancouver Chamber Choir, l’Orchestre philharmonique de Londres et Digital Stage de Deutsche Grammophon. Elle a fait partie du Soundstreams Emerging Composer Workshop et a bénéficié d’une bourse de deux ans (2015-17) à l’American Opera Project à New York avant de devenir compositrice en résidence au célèbre Glyndebourne Festival Opera (2019-22) en Angleterre.

Vers la fin de sa résidence, Cecilia Livingston a participé à Balancing the Score, le programme de développement de Glyndebourne pour les compositrices. En collaboration avec trois autres compositrices, elle a adapté la légende allemande du joueur de flûte de Hamelin en une œuvre d’une heure, Pay The Piper (2022), qui a fait appel aux talents du Glyndebourne Youth Opera. On a également pu l’entendre sur l’album detach (Redshift Records) de la harpiste Angela Schwarzkopf, qui a remporté le prix Juno 2020 de l’album classique de l’année; Garden, la troisième piste de l’album, est un opus de douze minutes d’un lyrisme en forme d’appel et de réponse, avec une structure motivique forte. L’œuvre met en évidence l’approche réfléchie de Cecilia Livingston, axée sur la mélodie – une approche qu’elle dit avoir affinée lors de son séjour à Glyndebourne.

« J’étais entourée en permanence d’excellents chanteurs », se souvient-elle. Cette expérience l’a sensibilisée aux liens entre le souffle, la ligne et la mélodie. « J’ai fini par comprendre que la mélodie est la colonne vertébrale et que tous les timbres, tempos et couleurs harmoniques sont suspendus à cette colonne vertébrale, comme une guirlande lumineuse. Je recherche une qualité humaine et sensible dans toute mon écriture ; c’est la raison pour laquelle je m’oriente d’abord vers la voix. »

Cette qualité humaine a trouvé son inspiration et son expression dans les mots d’Anne Michaels. La célèbre poétesse et romancière canadienne explore les thèmes de l’histoire, de l’amour, de la perte, de la moralité et du deuil dans ses romans et recueils de poèmes primés. « Les écrits d’Anne abordent des sujets très vastes et difficiles, ainsi que des sujets plus modestes et intimes, comme la famille, la mémoire, l’enfance, mais ces sujets sont tout aussi importants, explique Cecilia Livingston, et ce sont des thèmes récurrents dans mon propre travail. »

Cecilia Livingston a fait découvert Anne Michaels en lisant ses poèmes affichés dans les transports en commun de Toronto lorsqu’elle était adolescente. Cela faisait partie de l’initiative culturelle Poetry On The Way de la Transit Commission, menée de 1998 à 2012. Mettant en vedette un éventail de talents littéraires canadiens (dont Irving Layton, Archibald Lampman et Afua Cooper), Poetry On The Way offrait aux lecteurs des transports en commun un sujet de réflexion au milieu des publicités. « J’avais lu d’autres poèmes, mais ils ne m’avaient pas touchée et fait battre mon cœur, explique Cecilia Livingston. J’ai utilisé mon argent de poche pour acheter un livre de poésie de Michaels. J’ai toujours ce livre dans ma bibliothèque; je le lis au moins cinq fois par an. » À la fin de ses études à l’université de Toronto, Cecilia Livingston a écrit directement à Anne Michaels pour lui demander si elle envisagerait de travailler avec elle. « Anne a écouté ma musique et le partenariat s’est développé à partir de ce moment. »

Leur collaboration a connu un aboutissement fascinant. La soprano Hera Hyesang Park a interprété Breath Alone, sur la musique de Livingston et les mots de Michaels, lors d’un récital au Carnegie Hall en mars 2023. Le cycle de chansons luna premit pour ténor et piano est encore plus complet.

HERA HYESANG PARK AND KATELAN TRÀN TERRELL PERFORM THE PREMIÈRE OF
‘BREATH ALONE’, CARNEGIE HALL’S ZANKEL HALL, 2023

Présenté par le Canadian Art Song Project (CASP) le 7 mai, le concert réunira les fondateurs du CASP, le pianiste Steven Philcox et le ténor Lawrence Wiliford. La composition est née à la suite des premiers confinements de la pandémie de coronavirus du début de l’année 2020, alors que Cecilia Livingston résidait encore au Royaume-Uni. « J’écrivais pendant trois heures, je déjeunais, j’écrivais encore pendant trois heures, je courrais dans le paysage londonien désert, étrange et post-apocalyptique, je soupais, je me couchais – cette routine est celle qui me permet toujours de faire mon meilleur travail, et celui-ci s’est épanoui. Malgré les nombreux défis auxquels chacun a dû faire face, cette période a également permis un développement créatif dont je suis reconnaissante. »

La combinaison du travail, du temps et de l’opportunité a marqué un tournant pour la compositrice. « Je repense à tout ce que j’ai écrit avant et après ce moment (la pandémie) et je constate un changement incroyable dans mon vocabulaire, dans ma technique, dans ma façon d’écrire pour la voix, les instruments et les textes fragmentaires. » Le cycle de chansons du CASP sera bientôt accompagné d’un enregistrement des textes d’Anne Michaels interprétés par la soprano Park pour Deutsche Grammophon. La concentration permise par ces longues semaines d’isolement a conduit Cecilia Livingston à envisager son rôle dans un contexte plus large. « Ce que le classique peut faire de bien –comme beaucoup d’autres formes d’art, mais c’est mon langage –, c’est de poser de grandes questions sur l’expérience humaine et de présenter des œuvres qui ont un poids moral et émotionnel. Anne et moi nous rejoignons dans notre travail en raison de l’intérêt que nous portons à ces questions. Tout ce qu’elle écrit a un poids. »

On pourrait en dire autant des compositions de Cecilia Livingston. Singing Only Softly, son opéra de chambre acclamé, dont le livret a été écrit par la compositrice canadienne Monica Pearce, est inspiré des journaux intimes originaux et non édités d’Anne Frank. L’œuvre, commandée par le Loose Tea Music Theatre et présentée en 2019, a été nominée pour deux prix Dora Mavor Moore 2020 (les prix du théâtre de Toronto) et a ensuite fait l’objet d’un court métrage.

En 2021, la musique de Cecilia Livingston et celle de la compositrice anglaise Donna McKevitt figuraient dans Garden of Vanished Pleasures, une pièce de théâtre musical numérique présentée par Soundstreams dans le cadre de la résidence numérique 2021 de la compagnie au Crow’s Theatre de Toronto.

WITH PETER OUNDJIAN, TSO ‘LEAP OF THE HEART’ PREMIERE, 2017

Inspiré par la vie et l’œuvre de l’artiste et militant des droits des homosexuels Derek Jarman, décédé de complications liées au sida en 1994, Garden ne comportait que quatre voix et trois instruments. Au moment de sa sortie, le metteur en scène Tim Albery a déclaré qu’il sentait que Livingston était « une femme de théâtre », tandis que la journaliste Jenna Simeonov a noté à quel point l’œuvre possédait « de nombreuses influences de Britten. »

Le célèbre compositeur britannique est en effet l’un des préférés de Cecilia Livingston. « Il y a des compositeurs auxquels je reviens, dit-elle. Britten en est un. Je pense que Peter Grimes est l’une de ses plus grandes œuvres et c’est certainement une de celles qui m’ont le plus influencée. » Outre Britten, elle cite la musique de Debussy, Chopin (« il m’a beaucoup appris sur la mélodie »), Steve Reich et John Adams, en particulier son opéra de 1987 Nixon in China. Elle aime également le groupe de rock britannique Radiohead. « J’ai écouté la chanson Present Tense (tirée d’A Moon-Shaped Pool, 2016) au moins cent fois de suite. Parfois, je recherche des éléments techniques, parfois j’y admire la structure ou le timbre, explique-t-elle. J’admire la gravité et l’économie dans leur écriture. »

En septembre 2022, Cecilia Livingston est devenue compositrice en résidence à la Canadian Opera Company (COC), ce qui l’amènera à participer à divers projets, bien qu’elle ne puisse pas donner plus de détails pour le moment. L’équipe artistique de la COC a confirmé que la compositrice travaillera avec les artistes de l’Ensemble Studio (le programme de la compagnie pour les jeunes chanteurs, les pianistes et les coachs vocaux) pour créer des pièces destinées à la fois au principal espace de présentation de la compagnie – le vaste Four Seasons Centre for the Performing Arts à Toronto – et au théâtre plus intime de la COC, qui a déjà accueilli plusieurs œuvres de musique de chambre.

La chanson Penelope de Livingston, souvent présentée en récital par la mezzo-soprano canadienne Emily D’Angelo, fait partie d’un programme de nouvelles œuvres présenté en juin par la Brooklyn Art Song Society. Plus tard dans le mois, Cecilia Livingston sera la mentore d’un jeune compositeur dans le cadre d’un programme dirigé par le Canadian Art Song Project. Elle travaillera ensuite au Songfest-Sorel 2023 (un festival de musique et un programme de formation aux États-Unis consacrés à la chanson), où elle occupera le poste de compositrice. Parmi les autres événements à venir d’ici la fin de l’année, mentionnons les premières d’Opera 5 et du TorQ Percussion Quartet, ainsi que mark, présenté par Soundstreams.

Parmi ses nombreux projets, ressent-elle parfois les doutes qui guettent tant de créateurs ? « J’ai certainement mes moments d’insomnie, dit-elle en riant, et je me dis : peut-être que je ne serai plus jamais capable d’écrire quoi que ce soit ! Pour l’instant, les premières à venir sont intimidantes et un peu terrifiantes, mais également terriblement excitantes. »

Playlist

Traduction par Mélissa Brien

La première du nouveau cycle de chansons de Cecilia Livingston, luna premit, aura lieu le 7 mai au Heliconian Hall de Toronto. 

www.canadianartsongproject.ca

www.syrinxconcerts.ca

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