Critiques CD

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André Mathieu: Concerto de Québec and works for two pianos

Alain Lefèvre et Hélène Mercier, pianos.
Warner Classics 9029548866
Total time: 65:24
★★★★★

Pour son deuxième album paru chez Warner Classics, Alain Lefèvre retourne à un répertoire qu’il connaît bien, mais cette fois-ci, il a fait appel à une complice, Hélène Mercier, dans des œuvres pour deux pianos d’André Matthieu. Un album que l’on vous recommande absolument ! On y trouve notamment une nouvelle transcription du désormais célèbre Concerto de Québec ainsi que des œuvres de jeunesse, alors que le jeune prodige n’avait encore que cinq ans.

L’album commence par la Rhapsodie romantique, qui témoigne de la virtuosité du compositeur (intervalles d’octaves, chromatismes, rythmes effrénés, etc.) et, comme son nom l’indique, de grands élans romantiques telles des vagues d’émotion successives. Tous ces traits musicaux sont admirablement rendus par les deux interprètes.

L’influence des compositeurs russes et français, comme Scriabine ou Ravel, est déjà perceptible dans le Concertino no 2 qui alterne entre la virtuosité des mouvements rapides et l’intériorité bouleversante du mouvement central, le plus saillant des trois. Alain Lefèvre et Hélène Mercier jouent ces morceaux, comme il se doit, dans la plus pure tradition postromantique.

Le Concerto de Québec conclut l’album avec un autre tour de force pianistique de la part des deux interprètes. Certaines mélodies, presque innocentes, pourraient être issues de la musique populaire. Dans le premier mouvement, on croirait entendre, pour un bref instant, La mer de Charles Trenet. Le deuxième mouvement comporte plusieurs marches harmoniques ou du moins des répétitions de mêmes motifs à différentes hauteurs qui font penser à d’autres chansons populaires. Une œuvre intéressante, donc, qui mélange différentes traditions musicales et dont les thèmes ressortent merveilleusement sur deux pianos. Justin Bernard

Flute passion : Bach
Nadia Labrie, flute; Luc Beauséjour, piano; Camille Paquette-Roy, cello.
Analekta AN 2 8921
Total time: 56:00
★★★★✩

Après Schubert, c’est au tour de Bach ! Nadia Labrie fait paraître, chez Analekta, son deuxième album de la série « Flûte passion » sur lequel figurent plusieurs œuvres originales du compositeur, écrites pour flûte seule ou en trio avec piano et violoncelle. Mme Labrie a pu compter sur la participation de Luc Beauséjour, spécialiste du répertoire baroque au clavier, et sur celle de la jeune violoncelliste Camille Paquette-Roy, également habituée à ce répertoire.

L’album s’ouvre par la Sonate en mi mineur. Dès le début, on remarque le phrasé très lié et la rondeur de l’interprétation. Un choix plutôt bienvenu alors que d’autres opteraient pour un style plus marqué. On découvre également que les respirations de Nadia Labrie ont été conservées au montage, ce qui restitue l’esprit du direct. Toutefois, celles-ci auraient pu être atténuées, car elles créent par moments des ruptures dans le développement mélodique.

Chose plus inhabituelle qu’il n’y paraît, l’équilibre entre les sonorités de la flûte, du piano et du violoncelle est respecté. Nous sommes donc bien ici dans un contexte de musique de chambre, où toutes les voix se complètent, et non dans une situation où la tête d’affiche – la flûtiste, en l’occurrence – serait davantage mise en valeur aux dépens des autres musiciens.

Parmi les autres œuvres figurent la Sonate en si mineur, dont le dernier mouvement est une fugue à trois voix, la Sonate en sol majeur, à l’origine écrite pour deux flûtes et basse continue (Luc Beauséjour joue ici la partie de la première flûte) et, enfin, la Partita en la mineur pour flûte seule, qui conclut brillamment cet enregistrement très prometteur pour l’avenir de la série « Flûte passion ». JB

Aubade. Piano music by Auguste Descarries
Janelle Fung, piano

Centrediscs CMCCD 27519.
Total time: 62:48
★★★★★

Le compositeur québécois Auguste Descarries (1896-1958), dont l’œuvre est peu à peu réhabilitée grâce au travail de l’Association de diffusion de la musique d’Auguste Descarries (ADMAD), nous a laissé une vingtaine d’œuvres pour piano, dont les plus séduisantes se retrouvent sur un album récemment paru et mettant en lumière la jeune pianiste originaire de Vancouver Janelle Fung. On peut dégager de ce corpus d’œuvres deux grandes tendances : une sérénité aquatique qui va puiser autant dans le lyrisme de Chopin que chez les mélodistes français et une virtuosité aux teintes ironiques, mélange de romantisme tardif et d’influence de l’école russe (Rachmaninov, Scriabine, Medtner). Descarries semble avoir trouvé en Janelle Fung une interprète sur mesure. Le jeu de Fung, union subtile de puissance et de délicatesse, convient parfaitement aux atmosphères contrastées de Sarcasmes ou encore de la Sonate pour piano, volontiers qualifiée de « testament musical » du compositeur. Grâce à son toucher aéré, limpide et détaché, Fung fait respirer mélodies, traits virtuoses et motifs acérés tout en leur conservant un caractère prononcé. La pianiste a par ailleurs eu l’occasion de plonger dans l’univers de Descarries, participant activement aux recherches qui visent à sortir écrits et partitions de l’ombre. L’auditeur y découvrira également un écho de la musique pour piano d’André Mathieu (les deux compositeurs étaient également pianistes, improvisateurs et férus de musique russe), mais plus généralement, un compositeur qui mérite toute notre considération. Espérons que cet album ne soit qu’un prélude à la redécouverte d’Auguste Descarries, qui nous a laissé de magnifiques œuvres vocales, de chambre et d’orchestre. Benjamin Goron

BEETHOVEN 250 CLASSIC
Beethoven: Piano Sonatas Op. 2 No. 3; Op. 27 No. 2 (“Moonlight”); Op. 57 (“Appassionata”); Op. 81a (“Les Adieux”); Op. 111. 32 Variations on an Original Theme in C Minor WoO 80.
Evgeny Kissin, piano.
DG 479 7581 (2 CDs).
Total Time: 128:54.
★★★★★

Ce sont toutes des prestations en salle données dans divers lieux européens entre 2006 et 2013. Elles capturent un grand pianiste au sommet de son art et dans le feu d’un concert. Au point de vue technique, il n’y a guère de note errante. Mais plus important encore, on entend la fabrication musicale qui révèle une vaste gamme d’émotions, de la tendresse la plus exquise à la joie et à l’excitation les plus débordantes. Comme tous les grands artistes, Kissin est un conteur qui attire notre attention de la première à la dernière note de chaque pièce qu’il joue.

Ce sont toutes de belles prestations, mais celle qui se démarque franchement des autres est l’Appassionata. C’est peut-être la plus belle de toutes les sonates pour piano de Beethoven et cela paraît sans contredit sous le jeu de Kissin. Bien que ce soit l’une des sonates les plus connues de Beethoven, Kissin la renouvelle presque. Avec un jeu d’une telle qualité, l’interprète semble improviser et composer lui-même la musique pendant qu’il joue. Mais l’aspect remarquable de cette approche est que nous n’avons jamais le sentiment que le pianiste se montre ou attire l’attention sur lui de quelque manière que ce soit. Nous sentons plutôt que nous nous rapprochons du cœur et de l’âme de Beethoven. Bien qu’il s’agisse d’enregistrements relativement récents, je soupçonne qu’ils sont déjà devenus des « classiques ». Paul E. Robinson

Mozart: Piano Concertos Nos. 22 and 24
Charles Richard-Hamelin, piano; Les Violons du Roy/Jonathan Cohen
Analekta 2 9147.
Total time: 65:17.
★★★★★

Cette première collaboration de Charles Richard-Hamelin et des Violons du Roy sous la nouvelle direction musicale de Jonathan Cohen est impressionnante à plusieurs égards. La suave entrée en solo du Concerto pour piano n° 24 en do mineur de Mozart (après une exposition orchestrale musclée) reflète l’intelligence pénétrante du médaillé d’argent de Varsovie 2015, dont les capacités ne sont clairement pas limitées à Chopin. Partout le ton limpide est assorti d’un instinct sûr du phrasé et d’un sens du rythme vibrant. La merveilleuse unité des vents offre une conversation animée et les cadences du pianiste exploitent les richesses thématiques de la musique avec affection et perspicacité.

Cohen saisit bien le caractère royal du premier mouvement du n° 22, avec Richard-Hamelin en position de conseiller réfléchi et incisif de la cour. Les arpèges en demi-croches qui terminent (tranquillement) le premier mouvement orageux du n° 24 dominent dans toute leur subtilité. La seule réserve que je ressens à propos de cet enregistrement (merveilleusement réalisé par Analekta au Palais Montcalm de Québec) concerne la tendance des cordes à produire un son « baroque » neutre dans des mouvements lents qui pourraient s’agrémenter d’une touche de vibrato affectueux. LSM n’autorise pas les notes de quatre étoiles et demie. Nous nous contenterons de cinq ! PER

Dvořák: Symphony No. 9 in E minor (“From the New World”); Sokolovic: Golden Slumbers Kiss Your Eyes…
David D.Q. Lee, countertenor. Cantata Singers of Ottawa. Ewashko Singers. National Arts Centre Orchestra/Alexander Shelley.

Analekta AN2 8873.
Total Time: 70:56.
★★★★✩

Dvořák: Symphony No. 9 in E minor (“From the New World”)
Copland: Billy the Kid Suite. National Symphony Orchestra/Gianandrea Noseda.
NSO 0001D.
Total Time: 62:24.
★★★✩✩

Quelle coïncidence que les deux orchestres « nationaux » du Canada et des États-Unis décident d’enregistrer la même œuvre ! Mais fallait-il que ce soit la symphonie la plus surjouée du répertoire ? Cela ne fait rien. C’est de la belle musique jouée avec énergie et perspicacité, ce qui est toujours bienvenu. Malheureusement, dans le cas de ces enregistrements, les résultats sont inégaux.

Selon des critiques récentes, le National Symphony Orchestra de Washington, D.C. semble avoir acquis un nouveau souffle avec son actuel directeur musical Gianandrea Noseda. Mais ce n’est pas cette version de routine de la symphonie du « Nouveau Monde » qui nous en convainc, et Billy the Kid de Copland ne s’en sort pas beaucoup mieux. L’Orchestre du Centre national des Arts est un ensemble plus petit d’environ soixante musiciens par rapport aux quatre-vingt-dix et plus au sud de la frontière, et cela se voit. Ce Nouveau Monde semble souvent sous-alimenté, surtout dans les points culminants. Le chef Alexander Shelley garde également un contrôle étroit sur ses trompettes : elles sont tout sauf absentes à la fin des premier et dernier mouvements. Cependant, la dernière symphonie de Dvořák a aussi des moments de légèreté et de tendresse, et ici l’authentique musique de chambre de l’Orchestre du CNA illumine vraiment la musique comme dans peu d’autres enregistrements.

L’élément ajouté de l’album d’Analekta est également un atout majeur. C’est une œuvre récente de la compositrice montréalaise Ana Sokolović intitulée Golden Slumbers Kiss Your Eyes… La compositrice a rassemblé huit textes de poésie populaire en six langues pour créer une sorte de journal de voyage. Le décor de Golden Slumbers Kiss Your Eyes est une belle berceuse avec solo de contre-ténor − David D.Q. Lee est superbe ici − et la « Tarantella del Gargano », qui sonne plus comme un tango qu’une tarentelle, est charmante. L’utilisation de couleurs orchestrales fraîches et de combinaisons de voix imaginatives rend cette œuvre à la fois originale et mémorable. PER

Mahler: Symphony No. 8
Angela Meade/Erin Wall/Lisette Oropesa/Elizabeth Bishop/Mihoko Fujimura/Anthony Dean Griffey/Markus Werba/John Relyea. Westminster Symphonic Choir. The Choral Arts Society of Washington. The American Boychoir. The Philadelphia Orchestra/Yannick Nézet-Séguin.
DG 483 6627.
Total Time: 83:21
★★★✩✩

L’Orchestre de Philadelphie a joué la première américaine de cette symphonie sous Léopold Stokowski en 1916. Stokowski avait assisté à la première mondiale à Munich six ans plus tôt, sous la direction du compositeur. Cent ans plus tard, Yannick Nézet-Séguin, actuel directeur musical de l’orchestre, propose un enregistrement en direct. Malheureusement, les résultats sont mitigés.

Une partie du problème est que la symphonie est inégale, c’est le moins qu’on puisse dire. Le matériel thématique est médiocre et une grande partie de la partition est laborieuse. La glorieuse section finale commençant par les mots « Alles Vergängliche is nur ein Gleichnis » (Toutes les choses transitoires ne sont que des paraboles) sauve presque le tout, mais elle arrive tardivement.

Ce nouvel enregistrement capture assez efficacement le son des énormes forces réunies pour l’occasion. On entend clairement le son de l’harmonium, de l’orgue et du piano. Hélas, la pauvre mandoline n’a aucune chance.

Les solistes féminines sont les plus décevantes. Certes, Mahler ne leur donne pas beaucoup de chance. La première soprano doit s’époumoner à chanter fortissimo toute une série de do aigus, et les soutenir souvent sur une durée de plusieurs barres. Néanmoins, on préférerait entendre beaucoup moins de vibrato de la part de plusieurs des dames. Nézet-Séguin semble être aux commandes de ses troupes sans offrir beaucoup de perspicacité ou de frisson. PER

Darlings of the Muses. Brahms: Symphony No. 1. Schumann: Symphony No. 1
Clara Schumann: Piano Concerto Op. 7. Gabriela Montero: Five Improvisations. Gabriela Montero, piano. National Arts Centre Orchestra/Alexander Shelley.
Analekta AN 2 8877-8.
Total Time: 122:17.
★★★★✩

Clara, Johannes et Robert (Schumann, Brahms et Schumann) font depuis longtemps l’objet d’une fascination voyeuriste. En 1947, le film sentimental Passion immortelle s’inspirait, paraît-il, de leur relation triangulaire. Maintenant, il y a Les favoris des muses, un album sérieux de l’Orchestre du Centre national des Arts dirigé par Alexander Shelley. Sur cette compilation, la musique orchestrale des trois compositeurs côtoie un ensemble de miniatures pour piano improvisées destinées à sonder leur univers spirituel commun.

Le Concerto pour piano que Clara Schumann a composé en 1835 devrait occuper une place plus importante dans les programmations de concerts. L’intro audacieuse du piano est surprenante même après plusieurs écoutes et la confiance avec laquelle les thèmes sont développés laisse l’auditeur déçu que le premier mouvement soit si court. Dans la Romanze, le piano mélodieux est accompagné par un violoncelle obligato (chaleureusement joué par Rachel Mercer). Le finale étincelant (le premier mouvement à avoir été composé, également plus long que les deux autres combinés) suggère l’influence de Chopin plutôt que du professeur de Clara Schumann (qui a peut-être participé à l’orchestration). Brahms, né en 1833, n’a évidemment rien à voir avec cette partition, même si son Concerto pour piano n° 2 présente lui aussi un imposant solo de violoncelle dans le mouvement lent.

Gabriela Montero joue tantôt avec panache virtuose, tantôt avec l’intimité d’un monologue, selon les besoins. Quiconque a entendu la Vénézuélienne en récital peut témoigner de ses remarquables pouvoirs d’improvisatrice. Ici, nous avons cinq échantillons de son art dans un style approprié du XIXe siècle, apparemment basés sur des thèmes originaux. Les pièces sonnent comme des intermezzos pour une écoute de salon plutôt que comme des fantaisies pour la salle de concert. L’exquise Improvisation n° 5, avec une coda mélancolique en mode mineur, évoque avec succès les esprits de Clara et Brahms. Il serait intéressant dans les prochaines compilations (trois autres sont prévues) d’entendre Montero jouer les improvisations inédites que Clara a composées en 1895 et qu’on peut trouver en ligne sous forme manuscrite.

Tout se passe rondement du côté de l’orchestre sous la direction de Shelley. La Symphonie n° 1 de Schumann (« Printemps ») est dynamique, énergique et robuste : les triples fortes du premier mouvement m’ont incité à baisser le volume d’un cran. Aussi bon que soit cet enregistrement, je trouve la version de 2014 de Yannick Nézet-Séguin avec l’Orchestre de chambre d’Europe (DG 479 2437) plus ferme comme artefact audio. Dans tous les cas, aucun des chefs ne s’attaque vraiment aux nombreux contrastes forte/piano que Schumann emploie (comme dans le morceau de violoncelle cantabile du Larghetto).

La Symphonie n° 1 de Brahms démarre trop rapidement. Une fois que nous atteignons l’Allegro, cependant, le parcours est plus régulier. L’Andante sostenuto nous rapproche du compositeur à son plus tendre. Les solos sont doux et le rythme est naturel. Le troisième mouvement est étonnement détendu (plus lent de presque une minute de celui de Charles Mackerras et l’Orchestre de chambre d’Écosse), mais le finale est à la fois saisissant et rayonnant.

Ce numéro est le premier de quatre qui recenseront les symphonies de Schumann et Brahms ainsi que les œuvres de Clara. Nous verrons comment ils se comparent aux nombreuses autres versions − y compris les enregistrements par l’OCNA sous d’autres chefs. Il est à noter que les musiciens répertoriés dans le livret incluent de nombreux musiciens surnuméraires parmi les cordes et pas nécessairement les mêmes pour les deux symphonies. Arthur Kaptainis 

Le Rappel des Oiseaux
Works by Rameau, Couperin, Daquin, Dornel, Dufly, D’Agincour, Dandrieu, Février. Luc Beauséjour, harpsichord.
Analekta AN 2 8797.
Total time: 56:48.
★★★★✩

L’imagerie musicale de la nature est le plus souvent associée au romantisme. Dans cette anthologie, Luc Beauséjour nous rappelle à quel point les maîtres du baroque français aimaient les chants d’oiseaux et avec quelle extrême adresse ils pouvaient les imiter sur un clavecin. Les dix-huit pistes ont des titres aviaires et la plupart font référence à des espèces spécifiques. Tout n’est pas « Gazoüillement » pour citer le titre d’un morceau joliment orné de Couperin. Son autre pièce, en mode mineur, Les Fauvétes Plaintives − le clou de l’album − fait chanter les parulines mélancoliques en tierces. Louis-Claude Daquin dépeint L’hirondelle avec une insistance amusante et assimile le Coucou à une étude énergique. Pas question de savoir quel oiseau se nourrit dans ce nid ! François D’Agincour illumine l’ambiance avec La Fauvette.

Vétéran de la scène baroque montréalaise, Beauséjour caractérise la volière avec des touches appropriées de rubato. Et la couleur : la sonorité de la boîte à musique du Concert des Oiseaux de Jean-François Dandrieu est bien loin du roucoulement sombre et séduisant des Colombes de Jacques Duphly. Seul le gloussement de la célèbre Poule de Couperin semble un peu sous-estimé. Analekta offre un son chaud et réaliste. L’instrument d’Yves Beaupré est patriotiquement équipé de plumes d’oie du Canada. Ne pourrait-on pas trouver un compositeur moderne pour rendre les coups de klaxon de cet oiseau familier ? Le livret de notes traite principalement de généralités. AK

Penderecki: St. Luke Passion
Sarah Wegener/Lucas Meachem/Matthew Rose/Slawomir Holland. Kraków Philharmonic Choir, Warsaw Boys’ Choir, Montreal Symphony Orchestra/Kent Nagano.
BIS 2287.
Total Time: 66:52
★★★★✩

Après les terrifiantes atonalités du Thrène à la mémoire des victimes d’Hiroshima, son œuvre révolutionnaire, Penderecki consterna à la fois l’avant-garde occidentale et l’État polonais athée en écrivant un oratorio d’église ouvertement dévotionnel. Créé pour le 700e anniversaire de la cathédrale de Münster en Allemagne de l’Ouest en mars 1966, il a été accueilli avec un malaise variable et des critiques polies.

En le présentant comme « un hommage à J.-S. Bach », le compositeur n’a fait qu’accroître la confusion. Penderecki était catholique, Bach luthérien. Et à aucun moment durant l’heure de dissonances modernistes et de cris ne peut-on discerner clairement l’esprit régulier et respectueux de Bach. Entendue de nouveau après des décennies d’intervalle, l’œuvre a gagné en intégrité. L’emploi de l’atonalité sert à énerver et bousculer les auditeurs : le compositeur ne les laissera pas en paix. Il épuise pratiquement le langage atonal avant la fin de l’œuvre. Les derniers passages sont consacrés au chant grégorien et aux airs de cérémonies d’église. Si la paix advient, elle viendra de Dieu et non d’un compositeur mortel. Après cette œuvre, Pendrecki n’a appartenu à aucun style ou mouvement musical à part le sien. Cet enregistrement du concert d’ouverture du Festival de Salzbourg 2018 par Kent Nagano, son Orchestre symphonique de Montréal et deux chorales polonaises est un hommage opportun à un compositeur qui a trouvé sa voix par à-coups. On y trouve réunis la dignité d’une œuvre de dévotion et le drame de la plus grande histoire jamais racontée. On n’entendra plus rien de tel dans les prochaines années, pour des raisons que personne n’avait prévues. À garder sur votre étagère pour vous rappeler comment le monde sonnait avant qu’il soit restreint par la Covid-19. Norman Lebrecht

Franck: Symphony in D Minor; Symphonic Variations
Orchestre Philharmonique du Luxembourg/Gustavo Gimeno.
Pentatone PTC5186771.
Total time: 53:00.
★★★★★

Déterminé à ne critiquer que les œuvres modernes jusqu’à ce que la pandémie soit passée, j’ai frappé un mur cette semaine avec une paire de concertos pour piano du milieu du 20e siècle sur une étiquette respectée, qui étaient dirigés si mollement que je ne pouvais m’empêcher de maudire les cieux. Serait-ce un signe que quelqu’un là-haut veut que je renonce à critiquer les parutions modernes ? Si c’est le cas, message reçu, merci. Mais plus de mauvais chef, s’il vous plaît.

Heureusement (et croyez-moi, je suis heureux maintenant), tout près se tenait une œuvre que je n’ai pas entendue en direct depuis que j’étais enfant et qui passait à la radio tout le temps. La Symphonie en ré majeur de Franck a été qualifiée par Furtwängler, Klemperer, Karajan et le reste des Allemands comme la plus belle, sinon la seule, symphonie française dans un domaine musical limité. Ils l’ont tous dirigée, et de manière si convaincante que, la rare fois où j’ai entendu une interprétation récente, elle semblait anémique en comparaison.

C’est un choc. La sortie de Gustavo Gimeno avec la Philharmonie du Luxembourg est aussi rouge que le tartare de steak et aussi riche que la mousse au chocolat avec râpures sur le dessus. On peut sentir dès la phrase d’ouverture que le chef croit vraiment au compositeur et que les musiciens feront ce qu’il faut pour honorer sa ferveur. La grande mélodie du premier mouvement consiste à chanter à haute voix pour énerver les voisins tandis que le solo de cor anglais du deuxième mouvement est aussi accrocheur que tout ce que Dvořák a jamais écrit (oui, même celui-là).

Il s’agit d’un orchestre fabuleux dans un petit pays fictif où la plupart des gens s’abritent pour des raisons fiscales et la plupart des musiciens sont des importations coûteuses. Quoi qu’il en soit, ils jouent cette œuvre cinq étoiles de façon sensationnelle. Et ça va encore mieux avec les monologues experts de Denis Kozukhin dans les Variations symphoniques, un autre chef-d’œuvre négligé. L’autre orchestre de Gimeno est un groupe de gendarmes à sang rouge de la cavalerie royale appelé le Toronto Symphony. J’ai hâte de les entendre s’attaquer à Franck. NL

Nuits blanches. Opera Arias at the Russian Court of the 18th Century.
Karina Gauvin, soprano. Pacific Baroque Orchestra/Alexander Weimann.
ATMA Classique ACD2 2791
★★★★✩

“[« [Rien] qu’un ramassis de copies étrangères dépourvues d’authenticité nationale russe », écrit l’auteur du livret, faisant référence aux préjugés contre la musique russe du XVIIIe siècle que ce programme ATMA est censé combattre. Curieux, alors, que parmi les sélections, il y ait une séquence d’arias de l’Armide, très admiré de Gluck, incluse sous le prétexte boiteux que la musique de ce compositeur a été présentée en Russie au XIXe siècle sous la direction d’Hector Berlioz. Il y a quelques œuvres en français et en italien des compositeurs de cour Maxim Bortnianski et Dmitri Berezovky, mais la principale raison d’écouter cet album est de pouvoir profiter du vocalisme toujours brillant de Karina Gauvin. L’aria très chargée de l’acte 5 d’Armide, dans lequel le personnage-titre nourrissant un dégoût d’elle-même regrette son amour pour le croisé Renaud, vaut le prix d’entrée. Même un récitatif de Bortnianski devient un fourrage nutritif pour l’expression riche et variée de cette soprano ingénieuse. Les cordes de l’Orchestre baroque du Pacifique sous la direction d’Alexander Weimann (enregistrées au Québec en tournée) se révèlent suffisamment agiles dans l’entraînante ouverture du Faucon de Bortnianski, mais quelques-unes seulement sont fades. Il y a quelques autres pièces instrumentales, dont l’inoffensif allegro de la Sinfonia Cossaca de Domenico Dall’Oglio. Comme ils sont effrontés, ces Cosaques. Procurez-vous ce disque pour Gauvin. AK 

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