Joséphine Bacon: La langue en héritage

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Auteure, conteuse et réalisatrice très engagée sur la scène artistique autochtone, Joséphine Bacon est une formidable ambassadrice de la culture innue. En peu de mots, mais avec une force extraordinaire, elle donne la parole à son territoire et à ses habitants.

Le territoire au cœur de la poésie

« Ma richesse s’appelle saumon, ma richesse s’appelle caribou, mon feu s’appelle épinette noire… ». Le poème Ma richesse s’appelle illustre l’importance du territoire dans l’œuvre de Joséphine Bacon. Une vision qui s’inscrit profondément dans la pensée autochtone où toute vie est liée à la terre qui nous abrite et avec laquelle les hommes se doivent de vivre en harmonie. Joséphine Bacon est originaire de la communauté de Pessamit, sur la Côte-Nord. Omniprésent dans ses écrits, son territoire, la toundra, a donné son nom au recueil de nouvelles Un thé dans la toundra/Nipishapui nete mushuat publié en 2013 aux éditions Mémoire d’encrier.

Enseignante de l’innu-aimun – la langue innue – depuis 40 ans, Joséphine Bacon est aussi traductrice-interprète auprès des aînés, un travail fondamental tant pour la préservation de la langue que pour la transmission du savoir. « Ce sont ceux et celles qui détiennent le savoir traditionnel et, avec sagesse, j’ai appris à les écouter », dit-elle. Sa contribution à la préservation et à la vitalité de la langue et de la culture innues est inestimable. En reconnaissance de ce travail, Joséphine Bacon a reçu un doctorat honoris causa en anthropologie de l’Université Laval en 2016.

Même si ses recueils de poésie sont bilingues, innu et français, sa langue maternelle reste au centre de son art. « Tout est là pour moi, mon identité, ma culture, mon imaginaire, les mots que j’écris », explique-t-elle. Depuis les années 1970, Joséphine Bacon joue également un rôle de premier plan auprès de chercheurs œuvrant en milieu innu pour documenter la langue, la culture, la tradition orale et l’histoire de cette Première Nation. Elle est d’ailleurs régulièrement invitée aux rencontres internationales des écrivains de langue autochtone, participe à de nombreux festivals et spectacles littéraires au Québec et en France et donne des ateliers d’écriture et conférences dans les universités, les cégeps et dans plusieurs communautés autochtones en plus de travailler à diverses traductions de l’innu-aimun vers le français.

Joséphine Bacon a publié son premier recueil de poésie Bâtons à message/Tshissinuashitakana chez Mémoire d’encrier en 2009 et a reçu le prix des lecteurs du Marché de la poésie de Montréal en 2010 pour son poème Dessine-moi l’arbre. Toujours chez Mémoire d’encrier, elle a publié en collaboration avec José Acquelin Nous sommes tous des sauvages en 2011, puis Un thé dans la toundra/Nipishapui nete mushuat, œuvre qui fut finaliste au prix du Gouverneur général et au Grand prix du livre de Montréal en 2014.

Pourtant, Joséphine Bacon ne se considère pas comme une poétesse. « Moi je dis que chaque personne est poète et ne se considère pas poète pour autant. » N’empêche, elle s’apprête à publier un nouveau recueil cet automne dont le titre Uiesh / Quelque part évoque à nouveau l’idée du lieu, du territoire.

Les mots, les images et la musique

L’excellent accueil critique et public des ouvrages de Joséphine Bacon peut faire oublier que la publication de poèmes est une activité relativement récente dans sa carrière. « Bien avant de prendre officiellement la plume, l’artiste innue a appris à travailler le matériau filmique en accompagnant maints cinéastes dans leurs tournages et en réalisant ses propres films documentaires […] Dans son premier recueil, l’empreinte fondamentale laissée par cette pratique cinématographique est perceptible », écrit Pascale Marcoux dans son mémoire en études littéraires de l’Université Laval, la première étude critique entièrement consacrée à l’œuvre de Joséphine Bacon.

En effet, Joséphine Bacon a collaboré comme scénariste, traductrice ou narratrice à de nombreux documentaires et courts métrages, dont ceux du cinéaste Arthur Lamothe. Elle a notamment réalisé Tshishe Mishtikuashisht – Le petit grand européen : Johan Beetz en 1997, qui relate l’histoire d’un aristocrate belge venu s’installer sur la Côte-Nord, devenu une véritable légende pour les Innus. Elle a aussi réalisé la série Mupu en 2006 et le documentaire Finding our talk sur la langue anishinabée en 2008. Elle a aussi scénarisé 26 émissions de Mukuan et Carcajou pour les productions Kwé.

Parolière et auteure des textes d’enchaînement du spectacle de Chloé Sainte-Marie Nitshisseniten e tshissenitamin, l’artiste explique sa relation particulière à la musique en évoquant son amour de la langue. « Parler innu-aimun est une musique quand tu l’écoutes. C’est une langue musicale. Entendre de la musique sur des mots innus, ça va de soi, l’un ne va pas sans l’autre parfois. »

Se renouveler, sans cesse

Depuis quelques années, les artistes innus font de plus en plus leur place sur la scène culturelle canadienne. Peut-on parler de renouveau ? Pas vraiment, selon madame Bacon, car les membres des Premières Nations sont en constant renouvellement. « Depuis le nomadisme, juste être sédentaire c’est un renouveau. Il y a aussi l’écriture qui a commencé à prendre place chez les jeunes, à prendre sa place. Il y a longtemps nous étions, nous faisions partie d’une tradition orale. L’écriture vient changer ça. »

Pourtant, la popularité grandissante des artistes autochtones est réelle et Joséphine Bacon a du mal à nommer ceux qu’elle admire le plus. « Déjà, être artiste c’est admirable. Ce n’est pas simple de (dire ceux qu’on préfère). Parce que le choix ne manque pas… »

Son conseil au public ? « Les reconnaître, ne pas les enfermer dans un ghetto de “littérature des Premières Nations”. J’aimerais dire : Joséphine Bacon, poète de la maison d’édition Mémoire d’encrier – j’aimerais qu’on appartienne à un groupe sans différence de race. »  

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