Propagation par aérosol : Docteur, le trombone est-il dangereux pour la santé ?

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Depuis le début de la crise sanitaire, certains instruments de musique sont pointés du doigt. Des scientifiques ont été appelés à évaluer les risques réels de contamination et à se prononcer clairement face à la pression de l’opinion publique. Il faut dire que les mesures pour lutter contre la propagation du virus n’ont pas toujours été très claires, selon la profession ou le secteur d’activité. Le milieu musical, en particulier, a souffert d’une absence de réponses concrètes à la situation que vivent de nombreux musiciens.

La Fédération américaine des associations d’écoles secondaires des États (NFHS) a commandé une étude sur les arts de la scène susceptibles de produire une grande quantité d’aérosols (particules fines libérées dans l’air). Cette étude se concentre exclusivement sur la répartition d’aérosols libérés par un instrument à vent, un instrument de la section des cuivres, par un chanteur ou encore un acteur de théâtre. Les résultats obtenus sont souvent étonnants, voire contraires à notre intuition. Ainsi, selon l’étude, des instruments à vent tels que le trombone et la trompette génèrent, près du pavillon, une concentration de particules légèrement inférieure à un acteur sur scène ou un chanteur en plein exercice (0,8 particule par cm3 contre 1 à 1,4). En revanche, un hautbois peut émettre jusqu’à 6 fois plus de particules par cm3, près du pavillon, ce qui en fait de loin l’instrument le plus émetteur, devant le cor et la clarinette. Seule la voix parlée dans un contexte de conversation « normale » émet considérablement moins de particules (0,2/cm3). Enfin, il ressort de l’étude que les instruments de la famille des bois (clarinette, hautbois, basson) dégagent davantage de particules par les clefs que par le pavillon, alors que les instruments de la famille des cuivres ont, au contraire, des pistons hermétiques.

Parmi ses recommandations, l’étude préconise l’utilisation de filtres ou de couvercles à multiples couches sur le pavillon de l’instrument. Ce n’est donc pas seulement les musiciens, mais aussi leurs instruments qui devraient porter un masque ! Le périmètre recommandé est de 6 pieds par 6 pour la plupart des instrumentistes et de 9 pieds par 6 pour ceux dont l’instrument émet la plus forte concentration de particules. Afin d’éviter une trop grande accumulation de particules au cours d’une même activité, l’étude préconise 30 minutes de répétition seulement à l’intérieur et à l’extérieur, des pauses de 5 minutes, permettant ainsi aux particules de se disperser. Pour les cuivres, le tuyau d’évacuation devrait être vidé à l’abri des autres musiciens et une matière absorbante devrait être utilisée pour capter la condensation générée par l’instrument.

Une autre étude, menée par l’Université de Bristol, en Angleterre, confirme certaines thèses évoquées plus haut, notamment le fait que la voix parlée ne produit pas moins de particules fines que la voix chantée à un volume équivalent, et ce, quels que soient les styles musicaux. De ce point de vue, il est impossible d’affirmer avec certitude que les chanteurs émettent plus d’aérosols que les autres artistes au cours d’un spectacle ou d’une représentation musicale donnée. D’ores et déjà, les chercheurs recommandent aux directeurs de théâtre non pas de présenter leurs activités dans des conditions toujours plus contraignantes, mais de se préoccuper davantage de la qualité de l’aération dans la salle. Selon eux, cette dernière solution apparaît la plus à même de lutter efficacement contre la transmission du virus dans un espace fermé. D’autres scientifiques soulignent l’importance, trop souvent sous-estimée, d’avoir recours à un bon système d’aération et de ventilation.

Regard d’un professeur de piano sur le contexte actuel

L’étude commandée par la NFHS a été portée à notre attention par Olivier Godin, professeur à l’Université McGill et au Conservatoire de musique de Montréal. Également pianiste de concert, ce dernier nous a confié ses réflexions sur la rentrée 2020 et sur les derniers mois de confinement qui se sont écoulés. Entretien.

LSM: Quelles contraintes, générales ou particulières, la rentrée 2020 représente-t-elle pour vous en tant que professeur ?

Je suis de nature positive et je préfère parler de « mesures » sanitaires plutôt que de « contraintes », car même si nous aurons beaucoup d’ajustements à faire à notre enseignement et que pour le moment, les projets et cours nécessitant de grands ensembles (orchestre symphonique, grands ensembles vocaux) seront remplacés par des projets appropriés à la situation, je crois fermement que les besoins pédagogiques des élèves de nos grandes institutions peuvent être aussi bien comblés en leur faisant travailler une œuvre en solo ou en petit comité. Cette pandémie nous a tous frustrés et privés cruellement de la scène et de notre moyen d’expression vital, mais elle nous ramène également à une introspection dont nous avons tous besoin dans ce monde qui tourne trop vite et trop mal. Elle nous fait prendre conscience qu’il faut parfois user d’humilité et que « briller » comme artiste peut se faire autant en cherchant des réponses dans une partita pour instrument seul de J. S. Bach que dans un bruyant concerto. Je souhaite à tous les jeunes musiciens que cette période d’introspection puisse apporter une maturité et une profondeur que le rythme effréné de la vie, des concours et des attentes ne peut, hélas, pas toujours permettre.

LSM: Y aura-t-il des concerts publics ou seulement des récitals retransmis en ligne, sans public, à McGill et au Conservatoire ?

Il y aura certainement des événements en ligne. Opera McGill prépare d’ailleurs plusieurs projets. Comme la situation change encore très vite et que nous ne savons pas s’il y aura une deuxième vague, les choses peuvent encore bouger énormément. Je dois dire que j’ai énormément de respect pour l’administration des deux institutions pour lesquelles je travaille. Nos directeurs, Stéphane Lemelin à McGill et Marie-Josée Leblanc et Manon Lafrance au Conservatoire, ont fait avec l’équipe administrative un travail constant depuis le printemps pour assurer que la musique puisse avoir sa place dans nos écoles à la rentrée.

Pour plus de détails sur l’étude mentionnée en début d’article, visitez www.nfhs.org

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A propos de l'auteur

Justin Bernard est détenteur d’un doctorat en musique de l’Université de Montréal. Ses recherches portent sur la vulgarisation musicale, notamment par le biais des nouveaux outils numériques, ainsi que sur la relation entre opéra et cinéma. En tant que membre de l’Observatoire interdisciplinaire de création et de recherche en musique (OICRM), il a réalisé une série de capsules vidéo éducatives pour l’Orchestre symphonique de Montréal. Justin Bernard est également l’auteur de notes de programme pour le compte de la salle Bourgie du Musée des Beaux-Arts de Montréal et du Festival de Lanaudière. Récemment, il a écrit les notices discographiques pour l'album "Paris Memories" du pianiste Alain Lefèvre (Warner Classics, 2023) et collaboré à la révision d'une édition critique sur l’œuvre du compositeur Camille Saint-Saëns (Bärenreiter, 2022). Ses autres contrats de recherche et de rédaction ont été signés avec des institutions de premier plan telles que l'Université de Montréal, l'Opéra de Montréal, le Domaine Forget et Orford Musique. Par ailleurs, il anime une émission d’opéra et une chronique musicale à Radio VM (91,3 FM).

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