« Don Giovanni » à l’Opéra de Québec: avantage aux femmes

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Deuxième opéra de Mozart en deux semaines pour les opéraphiles du Québec ! Après La Flûte enchantée à Montréal, il était venu le temps d’entendre Don Giovanni dans la Capitale-Nationale… et dans de vrais décors d’opéra, cette fois. Pour cette nouvelle série de représentations, dont la première avait lieu samedi 14 mai, au Grand-Théâtre, l’Opéra de Québec réunissait, entre autres, une pléiade d’artistes québécois réputés sur la scène internationale.

Philippe Sly, dont la famille est originaire de La Tuque, maîtrise ce rôle à la perfection pour l’avoir déjà interprété en 2017 au Festival d’Aix-en-Provence. Par son allure et son aisance à se mouvoir sur scène, le baryton incarnait tout ce qui fascine et en même temps révulse chez Don Giovanni : son magnétisme, son panache, autant que sa fourberie et son esprit dépravé. Il s’est révélé un formidable acteur dans les dialogues et les récitatifs, donnant la réplique à son complice Doug MacNaughton (Leporello) dans un italien irréprochable. Toutefois, par choix ou par réflexe, l’acteur faisait passer le jeu théâtral avant le chant classique, multipliant des effets vocaux sotto voce avec plus ou moins succès.

On comprenait que les récitatifs puissent être fredonnés ou presque parlés, au nom de l’action dramatique, mais pas les airs de soliste. “Deh vieni alla finestra”, par exemple, est une sérénade censée faire briller le talent de chanteur de l’anti-héros, parti pour une nouvelle conquête. Or ici, on avait en face de nous un personnage refermé sur lui-même, rêveur, qui murmurait plus qu’il ne chantait.

Parmi les autres chanteurs québécois de renom, Julie Boulianne, en Donna Elvira, a illuminé cette production non seulement par sa voix richement étoffée, mais par son costume d’un rouge étincelant. Florie Valiquette a bien chanté le rôle de Zerlina, mais son timbre ne s’est pas particulièrement démarqué. Il faut dire que partition ne l’autorisait pas faire étalage de sa virtuosité. Quant à Alain Coulombe, ses rares apparitions dans le rôle du Commandeur ont montré qu’il avait le volume, la puissance, mais pas autant la fraîcheur. Dans les derniers instants de la scène finale de l’opéra, sa voix a manqué de focus et le grave, seulement facultatif, n’a pas porté au-delà de la fosse d’orchestre.

Le couple Donna Anna-Don Ottavio était formé des artistes internationaux Anaïs Constans (France) et Jonathan Boyd (États-Unis). Un duo clairement à l’avantage de la soprano. Sa voix voluptueuse et pleine de couleurs a fait vibrer les murs de la salle Louis-Fréchette. En comparaison, la palette vocale du ténor paraissait bien monochrome.

Masetto, qui formait l’autre couple avec Zerlina, a été très bien interprété par le baryton Geoffroy Salvas. Il y avait dans sa voix une brillance, quelque chose de ténoresque, qui rivalisait étonnamment avec Don Ottavio.

Du côté de la mise en scène, Bertrand Alain s’est montré inventif, et ce, dès l’ouverture avec une scène de son propre cru. On y voyait Don Giovanni à terre, allongé sur le dos, recouvert jusqu’à la tête d’un drap blanc aux allures de linceul, et une foule qui se rassemblait autour de lui. Certains ont approché et soulevé le drap. Don Giovanni s’est alors redressé tel un vampire s’apprêtant à sortir de son cercueil.

Voilà une scène qui symbolisait parfaitement l’infâme personnage qu’il est, prêt à commettre de nouveaux crimes. Par ailleurs, la place immuable du grand escalier, en plein centre de la scène, nous faisait déjà anticiper l’arrivée surplombante du Commandeur lors du Jugement dernier.

Mention spéciale aux éclairages qui ont plongé certaines scènes dans une ambiance voulue et ont donné plus d’une fois un puissant effet dramatique.

Don Giovanni de Mozart
Philippe Sly (Don Giovanni), Anaïs Constans (Donna Anna), Julie Boulianne (Donna Elvira), Jonathan Boyd (Don Ottavio), Florie Valiquette (Zerlina), Alain Coulombe (Il Commendatore), Doug MacNaughton (Leporello), Geoffroy Salvas (Masetto), Orchestre symphonique de Québec, Choeur de l’Opéra de Québec, Jean-Marie Zeitouni (chef), Bertrand Alain (metteur en scène). 14 mai 2022. Grand Théâtre de Québec.

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A propos de l'auteur

Justin Bernard est détenteur d’un doctorat en musique de l’Université de Montréal. Ses recherches portent sur la vulgarisation musicale, notamment par le biais des nouveaux outils numériques, ainsi que sur la relation entre opéra et cinéma. En tant que membre de l’Observatoire interdisciplinaire de création et de recherche en musique (OICRM), il a réalisé une série de capsules vidéo éducatives pour l’Orchestre symphonique de Montréal. Justin Bernard est également l’auteur de notes de programme pour le compte de la salle Bourgie du Musée des Beaux-Arts de Montréal et du Festival de Lanaudière. Récemment, il a écrit les notices discographiques pour l'album "Paris Memories" du pianiste Alain Lefèvre (Warner Classics, 2023) et collaboré à la révision d'une édition critique sur l’œuvre du compositeur Camille Saint-Saëns (Bärenreiter, 2022). Ses autres contrats de recherche et de rédaction ont été signés avec des institutions de premier plan telles que l'Université de Montréal, l'Opéra de Montréal, le Domaine Forget et Orford Musique. Par ailleurs, il anime une émission d’opéra et une chronique musicale à Radio VM (91,3 FM).

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