Critique: Jean-Guihen Queyras, à la fois musicien et peintre musical

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Le concert du 25 octobre à la salle Bourgie marquait le grand retour de l’enfant chéri de Montréal, le violoncelliste Jean-Guihen Queyras, qui mène aujourd’hui une brillante carrière de soliste et de professeur à l’étranger.

Le programme était pour le moins atypique. Il donnait à entendre le violoncelliste seul sur scène, sans accompagnement, et, en seconde partie, deux pièces en duo avec un autre violoncelliste, Stéphane Tétreault.

Programme atypique aussi par le répertoire. La Partita pour violoncelle seul du compositeur turc Ahmet Adnan Saygun (1907-1991) a été une découverte pour à peu près tout le monde et Jean-Guihen Queyras, très éloquent dans ses courtes interventions orales, n’a pas manqué de le souligner. Cette pièce, dont les influences sont à la fois orientales, extrême-orientales et occidentales, lui aurait été portée à sa connaissance par ses étudiants turcs à la Musikhochschule de Fribourg (Allemagne). Elle demeure accessible, malgré son langage résolument moderne, et suscite un certain attrait par son métissage.

On ne peut pas en dire autant de la Suite pour violoncelle seul no 1 de Britten, œuvre somme toute difficile d’approche. Au delà du titre qu’elle partage avec la suite éponyme de Bach, celle-ci contient quelques réminiscences lointaines de sa sœur aînée, notamment dans le deuxième mouvement (Fuga). Jean-Guihen Queyras s’est surtout illustré par la variété des techniques de jeu employées, que ce soit dans le cinquième mouvement tout en pizzicato, interprété sans le moindre accroc, dans le sixième mouvement où il a bien mis en valeur toutes les harmoniques de l’instrument. À cela ajoutons le huitième mouvement, interprété sans jamais que ne se perde une once du bourdon sur la note de .

La Suite no 1 de Bach n’avait, elle, pas besoin d’introduction. Jean-Guihen Queyras nous a livré une interprétation très personnelle de l’œuvre, qui ne contient d’ailleurs aucune indication de nuances et laisse l’artiste assez libre en la matière. Il s’est même permis plusieurs ornementations inhabituelles dans le quatrième mouvement (Sarabande), donnant presque l’impression de les improviser. Tel un peintre, le violoncelliste a pesé et sous-pesé chaque couleur appliquée à son jeu. Avec son archet, il a exécuté une multitude de gestes capables de faire résonner toute l’amplitude d’un timbre sonore. Il était aussi bien aidé en cela par la belle acoustique de la salle.

La seconde partie du programme nous a permis de mieux apprécier la qualité du violoncelle de Queyras, en comparaison avec celui de Stéphane Tétreault. Un instrument fabriqué par Gioffredo Cappa en 1696, aux sonorités chaleureuses et veloutées, alors que le Stradivarius de Tétreault avait un timbre plus perçant. Prenant la voix du haut dans les deux dernières pièces du programme, le jeune violoncelliste est apparu moins relâché que Queyras. Il faut dire que leur position sur leur instrument respectif était assez dissemblable. La tige métallique soutenant le violoncelle de Tétreault était très avancée, ce qui plaçait l’instrument beaucoup plus haut et obligeait l’interprète à lever le coude droit plus haut également que son partenaire de scène.

Ils ont d’abord interprété la Sonate pour violoncelle et basse continue de Jean-Baptiste Barrière, œuvre de la période baroque et autre charmante découverte, ainsi que le Duo pour deux violoncelles d’Offenbach. Dans cette œuvre ultime, les répétitions insistantes des thèmes musicaux ont fini par nous lasser, mais il y avait néanmoins beaucoup d’entrain et de gaîté. Nous ne nous attendions à moins du compositeur d’opérettes.

En rappel, Queyras et Tétrault ont offert au public un extrait de l’opus 52 d’Offenbach, pour deux violoncelles également.

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A propos de l'auteur

Justin Bernard est détenteur d’un doctorat en musique de l’Université de Montréal. Ses recherches portent sur la vulgarisation musicale, notamment par le biais des nouveaux outils numériques, ainsi que sur la relation entre opéra et cinéma. En tant que membre de l’Observatoire interdisciplinaire de création et de recherche en musique (OICRM), il a réalisé une série de capsules vidéo éducatives pour l’Orchestre symphonique de Montréal. Justin Bernard est également l’auteur de notes de programme pour le compte de la salle Bourgie du Musée des Beaux-Arts de Montréal et du Festival de Lanaudière. Récemment, il a écrit les notices discographiques pour l'album "Paris Memories" du pianiste Alain Lefèvre (Warner Classics, 2023) et collaboré à la révision d'une édition critique sur l’œuvre du compositeur Camille Saint-Saëns (Bärenreiter, 2022). Ses autres contrats de recherche et de rédaction ont été signés avec des institutions de premier plan telles que l'Université de Montréal, l'Opéra de Montréal, le Domaine Forget et Orford Musique. Par ailleurs, il anime une émission d’opéra et une chronique musicale à Radio VM (91,3 FM).

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