Critique de concert : Des extrêmes vocaux… et irréconciliables

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La musique classique a beau inspiré de nombreux groupes de musique métal (Rhapsody, Sonata Artica, Stratovarius, pour n’en nommer que quelques-uns), lorsqu’on parle de technique vocale, c’est une autre affaire. Le 18 juin dernier, à 19 h, à l’église du Très-Saint-Nom-de-Jésus, dans le quartier Maisonneuve à Montréal, deux chœurs ont joint leurs forces pour offrir un concert hors du commun, intitulé « Extrêmes vocaux ». D’une part, le chœur de Temps Fort et, d’autre part, un chœur de « gueuleurs » métal appelé Growlers Choir. Extrêmes, en effet, au point d’être irréconciliables? Si l’on en juge par le concert, la réponse est oui.

Quand on parle de growl, on peut penser à celui d’un Louis Armstrong quand il chante ou à ceux d’autres chanteurs qui ajoutent du grain à leur voix. Les growls que l’on a entendus à ce concert allaient à l’extrême des capacités vocales de l’être humain. Ils ressemblaient à des grognements, des cris, des hurlements de spectres maléfiques qui, inutile de dire, s’harmonisent peu ou pas à la voix chantée.

Le programme comportait trois pièces – deux du compositeur Pierre-Luc Senécal et une de Pascal Germain-Berardi, également directeur musical de ce concert – qui ont mis de l’avant tantôt la voix des growlers, accompagnés par les choristes de Temps Fort, tantôt la voix les choristes de Temps Fort, secondés par les growlers. C’est plutôt dans cette dernière configuration, où le chœur classique avait préséance, que la compatibilité était la meilleure. On le doit ici à Germain-Berardi qui, avec sa création pour double chœur Le Ultimatum (2021), joue par moments sur des effets d’échos entre les deux formations et utilise régulièrement le growl comme un fond sonore menaçant. Dans d’autres passages, la texture sonore se densifiait. On entendait alors distinctement des voix haute, médiane et basse émanant du chœur de gueuleurs. Mais pour les fans inconditionnels de growl, The Dayking (2019) de Senécal était sans aucun doute la pièce de résistance. Beaucoup de cris, de grognements, sans qu’aucune note distincte ne soit émise, et un chœur classique complètement ou presque enseveli sous la masse sonore. Pour les non-initiés, il y avait là quelque chose d’agressant, de terrifiant et même de diabolique. Tout cela dans une église, mesdames et messieurs!

Pour ne pas choquer d’emblée les oreilles du public, le chœur classique a ouvert le concert par trois œuvres où règnent le calme et la douceur : Song for Athene (1993) de John Taverner, trois des Quatre motets pour un temps de pénitence (1939) de Francis Poulenc et Os Justi (1879) d’Anton Bruckner. Certains passages n’étaient pas faciles à négocier, notamment les aigus des sopranos et les notes tenues des basses. Malgré les difficultés, y compris celle de chanter a cappella la musique moderne de Poulenc, le chœur a fait preuve d’une justesse à toute épreuve et d’une belle homogénéité entre les différents pupitres (SATB). Avec ses mouvements de caméra incessants, incapable de se fixer sur un ou plusieurs groupe de chanteurs, la captation vidéo a bien souvent été une nuisance pour l’écoute, mais pas au point de ne pas nous faire apprécier la qualité du chœur.

« Extrèmes vocaux ». Concert en présentiel et en ligne. Interprètes : chœur de Temps Fort, Growlers Choir; chef : Pascal Germain-Berardi. 18 juin 2021, à l’Église du Très-Saint-Nom-de-Jésus. www.tempsfort.quebec

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A propos de l'auteur

Justin Bernard est détenteur d’un doctorat en musique de l’Université de Montréal. Ses recherches portent sur la vulgarisation musicale, notamment par le biais des nouveaux outils numériques, ainsi que sur la relation entre opéra et cinéma. En tant que membre de l’Observatoire interdisciplinaire de création et de recherche en musique (OICRM), il a réalisé une série de capsules vidéo éducatives pour l’Orchestre symphonique de Montréal. Justin Bernard est également l’auteur de notes de programme pour le compte de la salle Bourgie du Musée des Beaux-Arts de Montréal et du Festival de Lanaudière. Récemment, il a écrit les notices discographiques pour l'album "Paris Memories" du pianiste Alain Lefèvre (Warner Classics, 2023) et collaboré à la révision d'une édition critique sur l’œuvre du compositeur Camille Saint-Saëns (Bärenreiter, 2022). Ses autres contrats de recherche et de rédaction ont été signés avec des institutions de premier plan telles que l'Université de Montréal, l'Opéra de Montréal, le Domaine Forget et Orford Musique. Par ailleurs, il anime une émission d’opéra et une chronique musicale à Radio VM (91,3 FM).

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