Julia Haferkorn sur la Webdiffusion : Comment la rentabiliser ?

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Pendant le premier confinement au Royaume-Uni, qui a commencé le 21 mars 2020, Julia Haferkorn, professeure en commerce de la musique et gestion des arts à l’université Middlesex de Londres, a compris que de nombreux ­musiciens risquaient d’avoir des difficultés ­financières. « Je me suis beaucoup intéressée à la question de la diffusion de musique en ligne et j’ai réfléchi à la manière dont cela pourrait aider les musiciens à gagner un ­minimum d’argent », dit-elle.

Julia Haferkorn

« Cependant, lors du premier confinement au Royaume-Uni et en Europe, beaucoup de musiciens ont commencé à diffuser en direct depuis leur domicile, et ce, gratuitement. Il est tout à fait compréhensible qu’ils aient agi ainsi, car la musique permettait de créer des liens à un moment où la pandémie était, comme elle l’est toujours, une situation très effrayante.

« Bien sûr, cette initiative était merveilleuse, car elle a vraiment touché de nombreuses ­personnes. Pour beaucoup, le fait de pouvoir écouter gratuitement de la musique à la ­maison a été une véritable bouée de sauvetage pendant le premier confinement. C’était réconfortant, mais cela a aussi rendu plus ­difficile pour les musiciens classiques de ­monnayer les diffusions en direct par la suite. »

La connexion avec les autres par le biais de la musique fait partie intégrante de la vie des musiciens et la diffusion en ligne était l’un des rares moyens dont ils disposaient pour rejoindre leur public. « C’était très intéressant, a observé Mme Haferkorn. Cela démontre que, même s’il y a une grande conscience de la monétisation des enregistrements sur demande et une grande conscience de la valeur de la musique en direct en salle, pour une raison quelconque, la valeur des prestations diffusées en direct n’est tout simplement pas reconnue. Beaucoup de musiciens se sont produits gratuitement. »

Toutes ces considérations ont traversé l’esprit de Mme Haferkorn lors du premier confinement. Avec deux de ses collègues, elle a demandé un financement offert par le Royaume-Uni pour un projet de recherche et d’innovation en réponse à la COVID-19. « Il y a eu ­beaucoup de demandes, et nous avons été très heureux de l’obtenir », dit-elle. Le projet a été financé par l’Economic & Social Research Council dans le cadre de la réponse rapide du Royaume-Uni à la COVID-19 en matière de recherche et d’innovation.

Le groupe avait en fait demandé de l’argent pour mener des recherches qui mèneraient à un rapport sur la diffusion en direct à l’intention des musiciens ainsi qu’à l’élaboration de lignes directrices sur les différents aspects de cette pratique. « Nous avons rédigé la demande en juin, mais nous n’avons reçu la confirmation que fin septembre, explique Haferkorn. ­Évidemment, entre-temps, la situation avait évolué. À ce moment-là, un certain nombre d’organisations et de musiciens avaient commencé à rédiger leurs propres directives sur la manière de diffuser en direct. C’est pourquoi nous avons décidé d’élargir le projet et de réfléchir plus en détail à l’avenir de la diffusion en direct et à ses différents aspects. »

Un questionnaire qui ciblait les musiciens professionnels mais aussi les amateurs de musique en direct a été en ligne pendant sept semaines. Près de 1500 personnes ont répondu. Haferkorn et ses collègues analysent actuellement les données. « Je ne peux pas encore vous fournir de détails, car je veux éviter de dévoiler des chiffres qui devraient par la suite être ­ajustés, dit-elle. Mais ce qui ressort très clairement de l’enquête et des entretiens que nous avons déjà menés, c’est que les amateurs de musique en direct et les musiciens pensent que la diffusion en direct est là pour rester. »

« Cela m’étonne, car tous disent qu’ils n’en peuvent plus d’être assis devant leur ordinateur et de regarder un écran à longueur de journée. Les gens en ont marre de Zoom. Ils ont envie de sortir et d’écouter, de savourer et de ressentir à nouveau la musique en direct. Donc, pour l’instant, nous nous interrogeons. Qu’est-ce que cela signifie ? Dans quel format la diffusion en direct sera-t-elle proposée ? À qui s’adresse-t-elle ? Est-ce qu’elle a le ­potentiel – et il semble que ce soit le cas – de développer un nouveau public ? »

L’un des sujets abordés par la recherche est celui des obstacles : ce qui empêche les musiciens de diffuser en ligne et ce qui empêche les amateurs de musique en direct de regarder ce contenu. « Nous devons considérer que, pour les musiciens, il peut s’agir d’un problème technique, car ils ne disposent pas de l’équipement nécessaire, explique Mme Haferkorn. Mais il peut aussi s’agir de l’aspect juridique, car ils ignorent comment fonctionne le droit d’auteur lorsqu’ils diffusent leur musique en ligne. Un autre obstacle possible – et important – est qu’ils se sentent déconnectés du public. Du point de vue du public, bien sûr, c’est similaire, l’engagement, la sensation de la musique en direct lui manquent. »

Parallèlement, l’équipe a découvert que les internautes manifestent différents types ­d’engagement. Ils peuvent participer à une diffusion en direct d’une manière différente, qui peut également être assez intime. « Le Wigmore Hall, par exemple, organise des retransmissions en direct presque tous les soirs de la semaine, explique-t-elle. Si vous lisez leur discussion en direct sur YouTube, vous y verrez que des communautés se sont formées, que des habitants de divers pays ­fréquentent la plateforme du Wigmore Hall tous les soirs et discutent. Ils se connaissent maintenant. Bien sûr, cela pose divers ­problèmes, comme la nécessité de faire appel à des modérateurs maîtrisant plusieurs langues. Encore une fois, voilà pourquoi je trouve cela fascinant. Tout évolue si vite. »

Kathryn Stott – Live at Wigmore Hall, London

Pour un musicien individuel, se lancer seul dans le processus de diffusions en direct ajoute beaucoup de travail au concert. « Vous ne ­pouvez pas vous concentrer uniquement sur votre jeu, déclare Haferkorn. Vous devez vous concentrer sur l’aspect technique. Vous êtes le présentateur du concert. Vous êtes tout, si vous le faites vous-même depuis la maison. La question est donc de savoir si c’est ce que vous voulez faire, et c’est une décision très personnelle. »

« En plus, certains peuvent avoir du mal à trouver leur public. Disons que vous êtes altiste dans un quatuor à cordes. Êtes-vous en mesure de vous créer un public, non pour votre ­quatuor à cordes, mais pour vous-même en tant qu’altiste ? Est-ce une possibilité ? C’est le genre de questions que nous examinons. »

Fait intéressant, d’un pays à l’autre, la musique classique a une approche différente de la monétisation. « L’Orchestre philharmonique de Berlin monnaie son contenu depuis très longtemps, souligne Haferkorn. Les orchestres britanniques, en revanche, avaient tendance à utiliser le contenu numérique avant la pandémie pour la promotion et le ­renforcement de leur image de marque et non pour générer des revenus. »

« Je pense que c’était assez difficile au début, au Royaume-Uni du moins, en raison du manque d’exemples sur la façon de ­monnayer le contenu en ligne. Il y a différentes façons de le faire. En ce moment, beaucoup de musiciens classiques demandent des dons. Certains s’en sortent très bien, surtout s’ils le font chaque semaine ou régulièrement. L’utilisation de différentes plateformes est également intéressante. Twitch, par exemple, permet de procéder différemment que YouTube. La façon de se monnayer varie selon la plateforme sur laquelle on se trouve. »

Inutile de dire que l’offre de diffusion en direct est immense. Ce qui suscite des inquiétudes : les petits orchestres moins connus trouveront-ils encore un public ? « Je pense que oui, répond Mme Haferkorn. Si on y pense, les enregistrements ont toujours été disponibles. Donc, s’il ne s’agit que d’accéder à un enregistrement, si on veut simplement entendre la musique jouée par un orchestre, on peut facilement le faire gratuitement sur YouTube de toute façon. »

« Je ne crois donc pas que ce soit un problème. Je pense qu’avec les orchestres locaux, d’autres éléments entrent en jeu, comme le sentiment de communauté. Mais il est vrai qu’il y a un problème géographique. Si vous diffusez vos œuvres mondialement et que la planète entière peut les regarder, qu’advient-il des tournées ? C’est l’un des problèmes auquel on peut répondre avec le géoblocage, par exemple, qui consiste à offrir le contenu uniquement dans certaines parties du monde. »

« Je pense que la diffusion en direct est une bonne nouvelle pour la musique classique. Comme elle rejoint un public beaucoup plus jeune, la diffusion en ligne augmente l’accessibilité de la musique classique. De nombreux jeunes trouvent assez intimidant d’entrer dans une salle de concert de musique classique. Ils ne s’y rendent pas parce qu’ils ne connaissent pas l’étiquette à respecter, le moment où il faut applaudir et ce genre de détails. »

« Avec la diffusion en direct, on ne vous voit pas, vous pouvez vous installer dans votre canapé en pyjama et découvrir la musique classique. Et l’élément en direct est toujours là, surtout si la diffusion est bien faite, s’il y a un présentateur, donc quelqu’un qui parle un peu du morceau. Une bonne diffusion de musique classique, je dirais, doit parler un peu du programme, peut-être au début, ou des artistes. »

« Je pense que la diffusion en direct de la musique classique est une question d’accessibilité. Cela permet au public d’essayer la musique classique : c’est une porte d’entrée. C’est aussi une question d’argent, si vous n’avez pas les moyens de vous déplacer ­jusqu’à la salle et de payer les boissons de ­l’entracte. Ou une question de temps pour les personnes très occupées. »

« Les possibilités sont multiples. Si on le fait bien, le format de la diffusion en direct deviendra de plus en plus créatif dans la façon dont nous le filmons ou utilisons l’espace. On n’en est qu’au début de ce phénomène. »

Traduction par Mélissa Brien

Une version du rapport sera téléchargeable à partir du 21 avril sur le site suivant : www.livestreamingmusic.uk.

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