Alexandre Da Costa: « Un prix dans un concours musical n’est pas une médaille olympique »

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« Souvent, on utilise pour l’entraînement des jeunes musiciens en vue des concours internationaux une formule qui date de l’après-guerre et de l’époque soviétique et qui consiste à les former comme s’ils étaient des athlètes olympiques, ignorant complètement que ce sont avant tout des artistes. » Le violoniste et chef d’orchestre Alexandre Da Costa ne mâche pas ses mots pour pointer les insuffisances des concours internationaux qui, selon lui, adoptent une approche trop centrée sur l’exécution technique, faisant fi des dimensions artistiques et humaines. Et pourtant, ces dimensions déterminent en grande partie le développement de la carrière internationale des musiciens primés.

« La plupart des gagnants des concours internationaux jouent à peu près tous d’une manière semblable, à un niveau technique, bien entendu, très élevé », dit cet artiste gagnant de plusieurs prix nationaux et internationaux. Certes, Da Costa reconnaît l’importance des concours dans la préparation des jeunes musiciens. « Mais on doit se concentrer plutôt sur l’avant-concours pour assurer une meilleure préparation professionnelle à soutenir la pression et la grande tension inhérente à la vie d’un musicien professionnel. Et c’est le véritable prix d’un concours international. »

Match des étoiles

Selon Da Costa, les concours internationaux servent surtout à donner aux jeunes musiciens une certaine visibilité auprès des professionnels du secteur. « C’est plus ou moins semblable au match des étoiles des ligues juniors majeures avant le repêchage pour la ligue nationale. C’est un tremplin pour aller vers une carrière internationale », indique-t-il. Cependant, il souligne qu’il y a beaucoup trop de concours internationaux pour que tous les gagnants aient de vraies carrières par la suite. « Il faut que les jeunes soient conscients du fait que ce qu’il y a vraiment à tirer d’un concours international, ce n’est pas nécessairement le résultat, mais surtout le déroulement de la préparation », insiste Da Costa en faisant le parallèle avec la préparation des athlètes pour les Jeux olympiques. Seulement, il y a une différence de taille à souligner. « Les gens pensent qu’un prix dans un concours est similaire à une médaille aux J.O. C’est absolument faux ! » Contrairement aux épreuves olympiques où les performances des athlètes sont mesurées sur des bases objectives, les concours musicaux relèvent de l’ordre de la subjectivité artistique. Il est difficile de mesurer objectivement les prestations artistiques, notamment quand il s’agit d’apprécier les aspects qualitatifs du jeu des participants à un concours de musique. « On parle d’art et de sensibilité artistique et cela relève, avant tout, de l’ordre des goûts. Bien entendu, les aspects techniques sont importants, dit-il. Mais, à partir d’un certain niveau, notamment quand il s’agit de compétition internationale, les capacités techniques des participants sont nettement très élevées. »

Sortir des sentiers battus

« Au lieu de préparer de fantastiques techniciens, on devrait préparer plutôt des artistes, cultiver leur sensibilité poétique et encourager leurs élans créatifs », insiste Da Costa, fier représentant d’une nouvelle génération de musiciens et qui aime sortir des sentiers battus. D’après sa propre expérience du déroulement des concours internationaux, les participants font souvent face à un dilemme : s’ils font preuve d’inspiration en sacrifiant légèrement le côté technique, ils risquent de se disqualifier. Ils sont donc obligés de se préparer conformément à la philosophie qui sous-tend les concours internationaux depuis des décennies.

Les « superstars » de la musique classique

Cet élève du grand violoniste Zakhar Bron raconte comment il avait refusé de se préparer comme faisaient ses collègues au concours international Sarasate. « Parce que je pensais qu’au lieu de travailler juste la technique, il fallait inciter les musiciens à faire preuve d’imagination et à explorer, par exemple, des choix musicaux inhabituels, quitte à aller à l’encontre des conseils des professeurs. » Da Costa évoque les paroles de son mentor Zakhar Bron : « Pour gagner un concours, il n’ y a que quelques concertos à jouer : Tchaïkovski ou Bruch. À la limite, Sibelius. Si tu choisis d’autres concertos, tu vas perdre. » Et pourtant, notre jeune musicien rebelle n’a pas pu s’empêcher de donner libre cours à son audace créative. « J’ai choisi pour le concours Sarasate de jouer le concerto de Beethoven qui est un concerto de pure musique. » Le choix de ce concerto réputé pour être si exigeant, notamment d’un point de vue stylistique, avait empêché Alexandre Da Costa de gagner le premier prix dans la finale, étant le seul des six finalistes n’ayant pas joué le concerto de Tchaïkovski. Cependant, il lui avait permis de faire passer le message : « Je ne suis pas un technicien, je suis un musicien ! »

Fidèle à cette vision artistique, Alexandre Da Costa travaille actuellement, en collaboration avec plusieurs partenaires, à la mise en place d’un concours musical qui « ne serait pas une réplique des concours qui focalisent sur la performance technique. Je veux qu’il soit un concours qui permet d’apprécier en premier la personnalité artistique d’un candidat ». Ce projet en gestation sera rattaché à l’Orchestre symphonique de Longueuil (OSDL) dont Alexandre Da Costa est le directeur artistique et le chef attitré depuis janvier dernier. Il nourrit beaucoup d’espoir sur les perspectives de cette nouvelle expérience. « Je veux imprégner cette institution qu’est l’OSDL de la saveur qui est la mienne et c’est ce mandat qu’on m’a confié », annonce le jeune chef d’orchestre, qui œuvre pour que la musique classique retrouve de sa superbe et reconquière la grande popularité qu’elle avait auprès du grand public au temps des Wagner, Puccini, Beethoven, Mozart… ces « superstars », comme les qualifie Alexandre Da Costa, au risque de heurter la sensibilité de certains puristes !

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