Karina Gauvin: Haendel pour toujours

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Author : (Gianmarco Segato)

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La musique de George Frideric Haendel a toujours été au cœur du répertoire de la soprano canadienne Karina Gauvin. L’un de ses premiers enregistrements, l’album Analekta de 1999 d’airs de Haendel avec Tafelmusik sous la direction de feu Jeanne Lamon, comprend deux arias d’Alcina, l’opera seria de 1735 de Haendel.

Elles offrent un aperçu fascinant du début de carrière de Gauvin, qui vient de triompher en Alcina dans une nouvelle production construite autour de ses prodigieux talents par le metteur en scène tchèque Jiří Heřman pour le Théâtre national de Brno. Après la première en ­février 2022 en République tchèque, la production s’est déplacée à Versailles en mars et sera présentée au Théâtre de Caen en France en mai.

Comme le reconnaît Gauvin, Alcina est « un rôle énorme, ­particulièrement l’aria finale du deuxième acte, avec le récitatif Ah Ruggiero crudel…Ombre pallide, c’est vraiment juteux ! C’est en ­réalité un moment de grand désespoir, mais il faut néanmoins maintenir une voix très stable. Il y a donc deux forces opposées à conjuguer. En fait, être complètement folle et stable au même moment. »

Le fait de chanter Alcina sur scène à ce stade de sa carrière revêt un sens encore plus profond pour la soprano. Sur Facebook dernièrement, elle a raconté comment, il y a 19 ans, elle a été retirée au dernier moment d’une production de l’opéra de Haendel, le chef lui disant qu’elle « n’avait pas “l’air” du personnage. J’ai été remerciée sans même avoir eu la chance de montrer mes talents de chanteuse et ­d’actrice – talents pour lesquels, en passant, j’avais été engagée au départ ». Gauvin est franche au sujet de cet affront qu’elle a dû refouler et avoue candidement que cette nouvelle production est venue comme un grand baume. « Quand vous voulez accomplir quelque chose, que vous sentez que vous êtes faite pour ça et que vous en êtes empêchée… Dans cette ­carrière, vous travaillez dur, vous faites ceci et cela et tout peut sembler très chouette et chic, mais d’autres aspects peuvent être extrêmement pénibles. On doit avoir une force intérieure pour se maintenir [et]­certainement, j’ai dû me pousser longtemps. Soudain, j’ai maintenant reçu ce magnifique cadeau et j’en suis infiniment reconnaissante. »

Haendel est également au centre du prochain concert de Gauvin le 28 avril avec l’Orchestre classique de Montréal et son orchestre invité, l’Ensemble Caprice, sous la direction de Matthias Maute. Le ­programme comprend de nombreux joyaux de Haendel, notamment Lascia ch’io pianga de Rinaldo et l’aria Let the Bright Seraphim de Samson, dont on se souvient encore de l’interprétation de Kiri Te Kanawa au mariage du prince Charles et de lady Diana en 1981.

Au sujet du répertoire pour le concert, Gauvin souligne que « parfois, on chante beaucoup de raretés et des morceaux que les gens n’ont jamais entendus, et c’est merveilleux, [mais]un peu de tout, et c’est de cela que cette carrière est faite. Il n’est pas toujours nécessaire de se creuser la tête et d’être sérieux et contemplatif. » L’un des défis d’un programme d’arias isolées est de leur insuffler une portée qui va au-delà d’une jolie mélodie ou d’un passage spectaculaire de colorature.

« Il faut se mettre en situation immédiatement et c’est assez ­difficile si on n’a que l’aria. Bien sûr, c’est moins compliqué quand on a déjà joué ce rôle, quand on l’a chanté plusieurs fois et qu’on peut ­rapidement se mettre dans le contexte. » Pour le public comme pour l’artiste, « c’est ce qui est intéressant, quand un artiste est vraiment là dans le moment. » Même si l’opéra est au cœur de la carrière de Gauvin (bien que, malheureusement pour les publics canadiens, elle chante presque uniquement en Europe), elle est également une récitaliste prolifique. La capacité de s’investir dans le texte d’une mélodie a ­toujours été une préoccupation pour la soprano et cela l’anime dans un programme d’airs tirés de leur contexte naturel. « Quand on ­travaille avec un air, on n’a que deux, trois, quatre minutes pour faire briller un morceau. Seulement, il faut trouver cet espace, établir un lien. Personne ne veut entendre une liste d’épicerie ou uniquement une série de notes. Le public veut être touché, ému. C’est ce que je ­m’efforce toujours de faire. »

La mélodie a constitué une grande part de l’activité de Gauvin durant la pandémie, engagée comme elle l’est dans l’enregistrement du dernier projet à grande échelle de la maison Atma, l’intégrale des mélodies de Jules Massenet. Ce projet fait suite aux autres récentes intégrales de la maison des mélodies de Poulenc et de Fauré. « Je crois qu’il nous reste encore 40 mélodies [les dernières devant être ­enregistrées en avril]. Plus de 350 mélodies, vous imaginez ? » Elle rappelle que Massenet utilisait les mélodies comme une sorte de ­laboratoire pour ses opéras. « Beaucoup de celles que j’ai chantées étaient comme des scènes. Et j’en ai fait le plus grand nombre. Je crois que lorsque j’aurai terminé, j’aurai enregistré autour de 60 mélodies. » Le coffret monumental doit sortir à l’automne.

Gauvin est maintenant au sommet de son talent tant vocal que d’interprète. Le public montréalais aura une chance unique de l’entendre dans son élément le 28 avril, chantant Haendel avec un orchestre d’instruments anciens dans une salle parfaitement adaptée, la salle Pierre-Mercure de l’UQAM.

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