Tendances de la consommation en arts : Les tenants et les aboutissants de la concurrence

0

This page is also available in / Cette page est également disponible en: English (Anglais)

Je suis honoré d’avoir été invité à écrire pour La Scena Musicale le premier article d’une nouvelle rubrique sur la gestion des arts, qui traitera de la production de concerts et de spectacles multidisciplinaires dans l’optique entrepreneuriale. La chronique, qui sera tenue par des collaborateurs invités, proposera des reportages spéciaux abordant différentes thématiques du point de vue des consommateurs (publics, participants) et des praticiens (artistes, producteurs, présentateurs et administrateurs).

Photo : courtoisie AGO

Les organismes artistiques d’aujourd’hui ratissent plus large que jamais. Les offres d’activités artistiques et de loisirs sont excellentes et variées, et elles recourent à de multiples plateformes et réseaux de diffusion. Elles sont aussi, pour la plupart, accessibles à un coût très raisonnable, voire gratuitement. Accueillant une forte immigration, la population canadienne augmente à un rythme soutenu, les baby-boomers et leurs enfants constituant les groupes de consommateurs et d’influenceurs les plus importants. De plus, dans un environnement marketing caractérisé par une fragmentation du secteur des médias et une multiplication des plateformes numériques, la définition de la « culture » par les consommateurs d’aujourd’hui est en train de changer et de s’élargir, en même temps que leurs attitudes et comportements évoluent.

La valeur de marque prévaut. Mis à part pour les vedettes et les grands producteurs de divertissement, les augmentations progressives des frais d’admission et des prix de billets exercent une pression croissante sur le financement et le budget des organismes artistiques. Avec la multiplication des revendeurs à rabais en ligne (par exemple, Travel Zoo), les consommateurs avertis d’aujourd’hui ont accès comme jamais à un nombre illimité d’activités artistiques et de loisirs, à un prix dérisoire. Les nouvelles technologies et les diffuseurs numériques tels que Netflix, Amazon, Apple Music, pour ne nommer que ceux-là, ont perturbé les anciens modèles économiques et permis aux consommateurs un accès beaucoup plus facile aux activités et productions artistiques et aux loisirs. Cette tendance a même un impact sur les grandes institutions artistiques telles que l’Art Gallery of Ontario (AGO). Dans un geste audacieux, l’AGO a lancé un projet pilote pour un nouveau type d’abonnement annuel. Le nouveau laissez-passer annuel AGO offre une année complète d’accès illimité à la collection AGO et à toutes les expositions spéciales pour seulement 35 $ (contre 145 $ auparavant). Les visiteurs de 25 ans et moins peuvent entrer gratuitement − toute l’année, à tout moment. Cette initiative est financée par des fonds publics et privés.

Le revenu disponible et le temps importent aussi. Les consommateurs d’aujourd’hui ont plus que jamais la liberté de dépenser leur temps et leur argent. Selon Statistique Canada, le revenu disponible nominal par habitant a augmenté de 2,6 % au cours des trois dernières années (2016-2018). L’analyse des rapports de l’Association canadienne des organismes artistiques (CAPACOA, 2016), se basant sur des données mesurant l’indice canadien du mieux-être (ICME), montre que les Canadiens dépensent 15 % de moins en culture et loisirs. Peu importe que le revenu du ménage augmente ou diminue au fil des ans, le pourcentage de ce revenu total consacré à la culture et aux loisirs est resté entre 5 % et 6 % entre 1997 et 2008. Après la récession, ce pourcentage a baissé chaque année pour se situer à 4,8 % en 2014 − pour la première fois en 21 ans, il était inférieur à 5 %. Bien qu’une baisse d’un peu moins de 1 % des dépenses consacrées aux activités culturelles et récréatives semble faible, elle représente une baisse moyenne de près de 6000 dollars des dépenses totales des ménages au cours de cette période. L’analyse de l’ICME ne tient toutefois pas compte des récentes mutations des dépenses en loisirs devenues des dépenses en communication : les Canadiens accèdent de plus en plus à du contenu sur Internet et les dépenses en communication ont considérablement augmenté depuis 2010. Le temps consacré aux activités artistiques et culturelles a quant à lui diminué chaque année de 1994 à 2005. Et la participation aux arts et à la culture représente désormais moins de 4 % du temps des Canadiens. En moyenne, les Canadiens consacrent environ une heure de moins par mois aux activités artistiques et, depuis 2005, la participation est restée relativement stable.

La récente enquête de Booknet Canada sur « les activités les plus populaires pratiquées quotidiennement » révèle que les personnes consacrent leur temps libre à la navigation sur les réseaux sociaux/sur le Web (60 %), à regarder des vidéos/la télévision/des films (56 %), à écouter de la musique (51 %), à cuisiner (47 %), à passer du temps avec la famille (40 %) et à lire un livre (25 %). Les activités de loisirs les plus populaires pratiquées chaque semaine étaient le magasinage (35 %), les restaurants (26 %) et les activités physiques/sportives (20 %).

Comprendre les habitudes, attitudes et comportements des consommateurs canadiens en culture. Tous les trois ans depuis 2001, LaPlaca Cohen, une firme spécialisée dans la stratégie, le design et le marketing destiné au monde de la création et de la culture, a mené une étude sur un échantillon impressionnant de consommateurs de culture américains. Pour la première fois en 2018, l’étude a été menée au Canada avec un total de 6444 répondants au pays. Culture Track : Canada est une base de référence importante pour comprendre les penchants particuliers des publics culturels canadiens et pour les efforts de recherche futurs qui peuvent s’appuyer sur des découvertes antérieures (voir les détails sur laplacacohen.com).

Selon Culture Track : Canada, les Canadiens sont des omnivores culturels. Plutôt que de définir la « culture » au sens strict, le public la considère comme englobant un ensemble d’activités vaste et diversifié, qu’il s’agisse d’un musée d’art, d’une expérience culinaire, d’un festival de musique ou d’une foire de rue. La relation des Canadiens avec la culture est en lien avec leurs aspirations. Plus précisément, ils attachent de la valeur aux expériences qui nourrissent le sentiment d’appartenance et l’empathie et qui élargissent leur perspective. Ce changement de paradigme est extrêmement important pour les praticiens, car il peut avoir un impact sur les décisions relatives aux infrastructures, aux programmes et aux autres constituants d’un projet culturel. Une chose est sûre : le paysage de la concurrence a pris de l’ampleur et les concurrents les plus féroces ne sont peut-être pas ceux qu’on croirait.

Les notions clés de la « pertinence » et des « relations » sont également à retenir. Bien que le plaisir, la nouveauté et l’évasion soient les qualités souhaitées d’une expérience culturelle, la pertinence est une condition préalable au succès. Le public n’envisagera pas de participer s’il ne se sent pas touché par le contenu ou l’expérience. On observe de manière constante, d’une génération à l’autre, le pouvoir unique de la culture pour réduire le stress. Que ce soit par une ambiance apaisante, un parcours de visite sans encombre ou un contenu accessible, le public s’attend à ce que les expériences culturelles réduisent son anxiété et non l’inverse. Enfin, un changement fondamental s’est opéré dans les raisons des individus de s’engager dans des organisations : ils valorisent désormais l’empathie et la réciprocité. Cette nouvelle approche basée sur les relations remplace les modèles transactionnels.

Les tendances démographiques influencent les organismes artistiques. Selon Statistique Canada, la population du pays augmente de manière soutenue, principalement à cause de l’immigration. La croissance démographique récente (2018 et 2019) est la plus élevée des pays du G7 et la plus forte enregistrée à ce jour. Les baby-boomers représentent maintenant la majorité des aînés et plus de 10 000 centenaires vivent au Canada. Les minorités visibles représentent actuellement 22 % de la population, avec une augmentation prévue de 30 % d’ici 2031.

Le rapport de Hill Strategies intitulé « Tendances démographiques de la participation aux arts au Canada en 2016 » (hillstrategies.com) examine onze indicateurs de la participation aux arts et huit formes de fréquentation des arts. Bonne nouvelle : le rapport montre que les arts attirent une grande majorité de Canadiens de tous les groupes démographiques. La tendance la plus forte dans la participation aux arts constatée dans l’analyse est qu’une éducation supérieure correspond à une participation plus élevée aux arts. Les rapports de Hill Strategies et de LaPlaca Cohen offrent tous deux des informations utiles sur les tendances de consommation et s’entendent sur de nombreuses conclusions, notamment sur la fréquence de la participation aux arts, plus élevée chez les jeunes de la génération Y, les allophones et les citadins.

Selon la démographie, les attitudes des consommateurs, les comportements et les tendances du marché, comment les organismes artistiques se font-ils concurrence ? Il n’y a pas de réponse définitive à cette question. Néanmoins, les organismes artistiques canadiens continueront de se concurrencer en proposant continuellement des expériences de qualité supérieure à un public cible, en choisissant les bonnes occasions et les bons prix en mettant en place un programme de relations marketing solide s’appuyant sur le contenu et les plateformes numériques, et en améliorant constamment leurs capacités et en élaborant des stratégies pour diversifier leurs revenus afin d’accroître la durabilité.

En fin de compte, les organismes artistiques d’aujourd’hui devraient envisager une approche holistique pour répondre à la question suivante : pour quoi (ou contre quoi) livrons-nous concurrence ? En termes simples, je pense que nous sommes finalement en concurrence sur trois fronts : le revenu disponible des consommateurs, le temps dont ils disposent et la valeur de marque.

Eric Lariviere est directeur général du Theatre Flato Markham et professeur au programme d’études supérieures en marketing événementiel du Seneca College. Veuillez envoyer vos commentaires, questions et idées à [email protected]

Traduction par Andréanne Venne

This page is also available in / Cette page est également disponible en: English (Anglais)

Partager:

A propos de l'auteur

Laissez une réponse

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.