Suoni per il Popolo : Le sprint final (second et dernier épisode)

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par Marc Chénard

Troisième programme (Casa del Popolo, samedi 16 ) : Eucalyptus suivi du trio Nicole Mitchell, Tomeka Reid et Mike Reed.

S’il y avait un dénominateur commun dans ce troisième rendez-vous, ce serait bien celui du groove, de l’assise rythmique solide au point d’être un peu trop métronomique par endroits. Tel avait été le cas du premier spectacle de la soirée donné par l’ensemble torontois Eucalyptus. La présence de trois percussionnistes était un présage, étayée du reste par le descriptif du programme qui présentait sa démarche comme un amalgame de « rythmes éthiopiens fébriles (…) de tonalité du genre calypso et l’idiosyncrasie du swing ». Chose dite, chose faite, ce septette animé par le saxo alto Brodie West depuis dix ans a livré sa marchandise dans un set énergique à souhait. Outre le chef et la trompettiste Nicole Rampersaud, il y avait peu de solos accordés aux accompagnateurs, mais beaucoup de rythmes entraînants martelés à fort volume et avec peu de répit. Vu son côté extraverti, un tel groupe aurait été bien mieux servi dans une grande salle avec suffisamment de place pour laisser les gens danser au lieu de les coincer sur des chaises dans un espace exigu et d’entasser les musiciens sur une scène. Sans être mauvaise, cette formation n’était certainement pas la bonne pour le lieu donné.

La seconde partie, en revanche, nous offrait un trio intimiste qui convenait tout à fait au contexte. Tête d’affiche de l’ensemble, la flûtiste Nicole Mitchell est l’une des personnalités émergentes dans la mouvance actuelle de la musique afro-américaine. Avant d’entamer une carrière d’enseignante dans une université californienne, elle avait été la première femme à assumer la direction de la célèbre association AACM de Chicago. Ces derniers temps, elle produit des disques comme des petits pains chauds, deux sont déjà parus cette année. Douée d’une solide technique sur ses deux flûtes (en do et en sol), elle utilisa davantage la première durant sa prestation de plus d’une heure. À ses côtés, elle avait le batteur Mike Reed et la violoncelliste Tomeka Reid, agissant comme une section rythmique de jazz assez traditionnelle, marquant la cadence avec insistance, quoiqu’avec une certaine souplesse. La violoncelliste renforçait la pulsation assez nette du batteur en pinçant ses cordes à la manière d’un bassiste de jazz, usant seulement de son archet pour doubler les lignes de flûte dans les thèmes. En dépit de la légèreté du timbre de ces instruments qu’elle joue exclusivement, Nicole Mitchell a tout de même réussi à soutenir l’attention des auditeurs en démontrant un jeu bien délié et nourri de bonnes idées. Dans le cadre d’un festival comme celui-ci, la prestation de ce trio passera certainement comme l’une des plus accessibles de cette édition, sans oublier celle du Revival Orchestra deux jours auparavant.

Quatrième programme (La Vitrola, lundi 18) : Monicker Trio suivi du GGRIL

Rager Turner, Arthur Bull, Scott Thomson / Photo : G. Healey

Pour clôturer l’événement, l’improvisation était au cœur decette soirée, divisée une fois de plus entre deux groupes assez différents. Règle générale, l’improvisation totale, celle sans contraintes formelles ou matériaux préétablis, réussit le mieux en petites formations (duo ou trio tout spécialement, même en quartette). Preuve à l’appui, le Monicker Trio était la résultat d’une rencontre assez nouvelle et très complice entre deux Canadiens (le tromboniste montréalais Scott Thomson et le guitariste Arthur Bull de la Nouvelle-Écosse) et le vétéran batteur britannique Roger Turner, Reconnu comme un improvisateur pur et dur de la première heure, ce dernier a pourtant un sens aigu du rythme et de la pulsation, tenant par moment des tempos fébriles sur l’une de ses cymbales. Pour un percussionniste, Turner est doué d’une rare qualité, soit de ne jamais piocher sur ses tambours en les jouant à toute vitesse, sa frappe très sèche lui permettant de contrôler sa dynamique. Le guitariste, de son côté, avec son instrument de taille réduite, s’inscrit dans la lignée des émules de cet autre radical anglo-saxon, Derek Bailey, autant par son jeu fracturé que par son refus de triturer ses phrases avec toutes sortes d’effets électroniques. Le tromboniste, enfin, gloussait sur sa coulisse, pétrissant son son avec différentes sourdines. À l’écoute, chaque musicien semblait s’endiguer dans son propre chemin, tracé non pas à l’encontre des autres mais en parallèle, d’où l’impression d’une singulière cohésion au sein de l’ensemble.

Le GGRIL

Après l’entracte, c’était au tour de la troupe rimouskoise du GGRIL (Grand Groupe Régional d’Improvisation Libre) d’envahir la scène. L’improvisation était bel et bien à l’ordre du jour, mais les excursions collectives de cet ensemble de treize musiciens et musiciennes (toujours sous la férule de leur âme dirigeante, le bassiste Éric Normand) étaient encadrées par des « compositions » (au sens très large du terme, celles-ci se résumant à des consignes de jeu, possiblement des partitions de type graphique). Compte tenu de sa démarche, ce groupe ne se situe pas dans une logique de jazz, vu l’absence d’interventions solistes qui se détachent du tout, mais il se rapproche bien plus d’une esthétique de musique contemporaine qui préconise la retenue des musiciens plutôt que la prise d’initiative personnelle. À l’instar de ces musiques dites savantes, cette prestation était nuancée, certes, mais très contenue aussi, la seule exception étant le dernier morceau où un feu d’artifice sonore se déchaîna, rasant la table en quelque sorte, pour s’éteindre en tisons à peine rougeoyants.

Amateurs de musiques expérimentales, marquez vos calendriers à pareille date en 2019, pour sa dix-neuvième édition !

Premier article publié en ligne sur cette page le lundi 24 juin.

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A propos de l'auteur

* Marc Chénard est rédacteur responsable de la section jazz du magazine depuis 2000. Il est journaliste de carrière spécialisé en jazz et en musiques improvisées depuis 35 ans. Ses écrits ont été publiés en anglais, français et allemand dans sept différents pays. *Marc Chénard has been the jazz editor of this publication since year 2000. He is a dedicated writer in the fields of jazz and improvised music for about 35 years. His writings have appeared in English, French and German in seven different countries.

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