Quatuor Kronos: Beau temps, mauvais temps

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Existe-t-il un amateur de musique contemporaine qui ignore l’existence du quatuor Kronos ? Depuis 48 ans, sa musique retentit, tout comme la sonorité de ce nom mythique qui semble évoquer des énergies titanesques, voire le mystère du temps lui-même.

Bien que le gel quasi universel par la COVID-19 ait suspendu ses activités musicales, le dégel en cours annonce maintenant un Kronos-redivivus – de nouveau actif, plus vivant que jamais.

Origines

L’histoire du Kronos commence en 1972, lors d’une rencontre fortuite entre le jeune ­musicien David Harrington et une certaine musique provocatrice. « J’ai entendu un ­morceau à la radio, se souvient Harrington, maintenant âgé de 72 ans. Il impliquait des ­éléments dont, en tant que violoniste américain de 23 ans, je n’avais aucune connaissance. »

Le morceau en question était Black Angels de George Crumb (1970), une concaténation épique et déchirante d’harmoniques diaboliques de cordes électriques, de sul pont sinistres et de glissandi féroces, le tout accompagné de gongs, de cymbales à doigts, de cris et de chuchotements en plusieurs langues.

« Je n’avais pas le choix, dit Harrington. Je devais jouer cette pièce. »

Harrington, en tant que premier violon, a recruté des collègues pour occuper les postes de second violon, d’alto et de violoncelle et, avec une première incursion en 1973 dans le paysage sonore chthonien de Crumb, Kronos a été lancé, bien que de façon précaire.

Réalisation

« Les premières années furent quasi impossibles », dit Harrington. Mais grâce à ses ­instincts musicaux propulsifs et syncrétiques, Kronos s’est transformé au fil des décennies en une entreprise aux multiples facettes : concerts internationaux (du plus intime au plus spectaculaire), enregistrements ­d’albums multigenres, bandes originales de films, commandes à des compositeurs, ­nouveaux ou établis, et des collaborations avec des artistes issus d’un éventail vertigineux de genres et de traditions culturelles – occidentaux et orientaux, classiques et excentriques, Bollywood et grunge, folk et country, punk et rock –, le tout caractérisé par la pénétration et la nuance propres à Kronos.

« Ils ont été une bénédiction pour moi, avoue le compositeur Terry Riley, qui a ­souvent collaboré avec Kronos au cours des 40 dernières années. Dès que j’ai entendu leur musique, j’ai été renversé par leur énergie. »

« Parfois, j’entends ma voix intérieure à ­travers eux », explique la vocaliste et compositrice d’origine iranienne Mahsa Vahdat, qui a créé l’album Placeless avec Kronos en 2019.

Temps de Peste

Privé par la pandémie des synergies en ­personne qui ont fait le succès de Kronos, le groupe a recherché dès mars 2020 de ­nouvelles façons de travailler. « Nous avons tout fait pour garder l’étincelle, dit Harrington. Nous avons découvert que nous pouvions enregistrer, modifier et mixer en temps réel, à distance » – des pratiques courantes en musique pop, mais jamais essayées par le très collaboratif et interactif quatuor.

Initialement, « le nombre de prises requises était énorme », mais la courbe d’apprentissage a porté fruit. En effet, le morceau récemment publié par Kronos, le plaintif Vaya, Vaya de Mahsa Vahdat, a été assemblé à partir de pistes enregistrées séparément et à distance.

Recherche Haydn

« Je ne me considère pas vraiment comme un violoniste, dit Harrington. Je suis musicien de quatuor. » Cette remarque renvoie à la définition fondamentalement hétérodoxe que Harrington donne du quatuor. Selon lui, le terme fait moins référence à une structure compositionnelle (allegros, rondos, changements de tonalité standardisés) qu’aux musiciens eux-mêmes – la simultanéité organique des interprètes constituant un instrument de musique unitaire d’une exquise souplesse.

« Il y a plusieurs années, se souvient Harrington, Kronos a joué au palais Esterházy, où Haydn a écrit plusieurs de ses plus grands quatuors. Mon Haydn intérieur souriait lorsque nous avons joué la musique du chanteur de blues Geeshie Wiley, né dans le Mississippi des années 1930. »

Haydn a créé, dit Harrington, « une forme susceptible d’être appréciée à travers le monde » – un véhicule capable d’exprimer des idées musicales dans un spectre illimité de styles et de formes.

Les lois de l’attraction

Si Harrington apprécie les expériences auditives excentriques (tels les chœurs de lémuriens de Madagascar), il n’hésite pas à affirmer que ­certaines musiques ne lui plaisent pas. « Il serait inexact de dire que Kronos fait tout et n’importe quoi, dit-il. Nous sommes incroyablement sélectifs. Si ça ne magnétise pas, ça ne fait pas partie de notre travail. »

Pour illustrer cette musique magnétique, M. Harrington cite le contenu de Fifty for the Future, un projet élaboré par Kronos sur une période de dix ans et sur le point d’être achevé.

« Il s’agit d’une mosaïque de “possibilités” musicales », explique Harrington – des œuvres de complexité variable écrites pour et ­interprétées par Kronos, « dont les partitions, parties et enregistrements sont accessibles gratuitement pour les musiciens du monde entier. »

Seulement un numéro

Outre M. Harrington, Kronos compte actuellement parmi ses membres le violoniste John Sherba, l’altiste Hank Dutt et le violoncelliste Sunny Yang, arrivés respectivement en 1977, 1978 et 2013.

Éclectique, protéiforme, défiant les ­frontières artistiques artificielles, Kronos semble donner une bonne image de l’appropriation ­culturelle. À l’approche de ses 50 ans, on ne peut que s’émerveiller de sa vigueur, de sa capacité à se réinventer et se renouveler.

Kronos, comme le temps lui-même, persiste.            

Traduction par Mélissa Brien

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A propos de l'auteur

Charles Geyer is a director, producer, composer, playwright, actor, singer, and freelance writer based in New York City. He directed the Evelyn La Quaif Norma for Verismo Opera Association of New Jersey, and the New York premiere of Ray Bradbury’s opera adaptation of Fahrenheit 451. His cabaret musical on the life of silent screen siren Louise Brooks played to acclaim in L.A. He has appeared on Broadway, off-Broadway and regionally. He is an alum of the Commercial Theatre Institute and was on the board of the American National Theatre. He is a graduate of Yale University and attended Harvard's Institute for Advanced Theatre Training. He can be contacted here.

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