Jane Archibald, soprano : faire face aux défis, maîtriser un rôle

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« La plus grande difficulté lorsqu’on est une chanteuse d’opéra, déclare la soprano acclamée par la critique Jane Archibald, c’est d’arriver à ne pas se sentir comme une simple bande sonore ou encore une poupée Barbie. »

On a affaire ici à une diva qui ne mâche pas ses mots.

Archibald est intelligente, fine analyste – et d’une franchise désarmante. Durant une conversation récente à son domicile d’Halifax (lors d’une journée plutôt grise), Archibald a déjoué la météo avec un discours rayonnant sur son art, sa carrière, les récompenses et les pièges de la vie, ainsi que sur les tendances qu’elle voit se profiler dans le monde de l’opéra aujourd’hui. (Elle a également exprimé des considérations perspicaces concernant le terme délicat de « diva »).

Archibald, en pleine envolée au milieu de sa carrière, effectue régulièrement des tournées à travers le monde pour des productions d’opéra et des concerts, de Londres à Paris, de Zurich à Milan. Plus près de chez nous, elle a joué avec la Canadian Opera Company et le Metropolitan Opera. Cet été marquera un autre moment fort de sa carrière avec ses premiers engagements professionnels dans la capitale canadienne : un récital solo au vaste répertoire le 7 juillet suivi, le 10 juillet, d’un rôle dans le Requiem et Exsultate, jubilate de Mozart comme soprano, tout cela dans le cadre du festival Musique et autres mondes 2019 à Ottawa.

Photo: Yves Lacombe

Célébrée autant pour sa colorature virtuose que pour son audace dans l’interprétation, il est difficile d’imaginer Archibald, née et ayant grandi dans les années 1980 à Truro, en Nouvelle-Écosse, comme l’étudiante timide devant public qu’elle dit avoir été durant ses études à l’Université Wilfrid Laurier de Waterloo, en Ontario.

« J’aimais chanter, dit-elle, mais ce fut une expérience très personnelle. Être une “artiste de scène” ne me venait pas naturellement. » Cela a cependant changé du tout au tout, comme par enchantement, lors d’une représentation à l’université.

« Je me souviens d’avoir été sur la scène de la salle Maureen Forrester, raconte Archibald, et d’avoir laissé un rideau invisible tomber entre moi et le public. Je ne sais pas ce que c’était. Je me sentais simplement prête émotionnellement et psychologiquement. »

Et avec cette disposition d’esprit qui s’est transformée avec l’expérience en pleine possession de son art, Archibald manifeste un intérêt profond pour les questions de maîtrise de soi dans les représentations. « Vous faites ce que veut le chef et vous faites ce que veut le metteur en scène, dit-elle. Où est-ce que vous pouvez affirmer votre propre personnalité artistique ? »

La réponse d’Archibald – et sa solution sans faille au piège de la Barbie-bande sonore – se révèle être une arsenalisation subtile (et plutôt rusée) du procédé de collaboration.

« Je suis toujours disposée à essayer des choses en répétition, déclare Archibald. Un pianissimo aigu même si ça sonne étrange ? D’accord. Chanter couchée sur le dos ? Je vais essayer. Je collabore à 90 %. Puis, au bout d’une semaine, je me rends compte que le chef et le metteur en scène m’accordent toutes sortes de libertés, car j’ai fait preuve envers eux de la même courtoisie. »

En d’autres mots, les représentations de Jane Archibald sont, en fin de compte, les siennes propres. Et avec cette appropriation vient une intuition confiante sur le temps et les efforts requis – ou non – pour bien se préparer.

« Je n’aime pas répéter pendant six semaines. Je ne trouve pas cela nécessaire la plupart du temps. L’idéal pour moi serait une période de répétition de trois semaines pendant laquelle le metteur en scène interviendrait avec une idée très claire de ce qu’il veut. Je n’aime pas quand j’ai l’impression qu’il déplace ses Barbies ou ses G.I. Joes, recommençant une scène de dix-sept manières différentes pour finalement en choisir une. Cela arrive souvent et je regrette alors le temps passé loin de chez moi. »

Être chez elle pour Archibald, c’est être auprès de son mari, le ténor Kurt Streit, de sa fille Audrey, âgée de cinq ans, de son beau-fils Axel, âgé de 21 ans, ainsi que de sa mère, Carla. « Si j’étais Jonas Kaufmann, plaisante Archibald, et que je pouvais refuser des spectacles qui m’éloignent de chez moi (pour des périodes inutilement longues), je le ferais. Mais je n’ai pas ce pouvoir. »

« Les gens disent : “Oh, vous êtes à Paris ! C’est formidable !” Mais je répète six jours par semaine, je ne vais pas au Louvre et je ne mange pas un croissant tous les matins. Alors, je suis toujours heureuse quand Kurt vient me rendre visite. Ou bien ma mère. »

On dit souvent qu’Archibald attribue ses « gènes musicaux » à son défunt père, le Dr John Archibald, médecin et talentueux musicien de jazz amateur. Moins reconnu, cependant, est le bagage totalement différent que la chanteuse a hérité de sa mère. Archibald s’empresse de remettre l’équilibre dans les comptes du registre filial.

« Ma mère est une personne créative et innovatrice, explique Archibald, et sa façon de voir le monde explique en grande partie pourquoi j’ai survécu à une carrière lyrique. Vous devez être assez stable psychologiquement et émotionnellement, et je pense que ma stabilité personnelle vient de son accompagnement et de son soutien. »

L’implication d’Archibald au Met dans Die Fledermaus de la saison 2013-2014, dirigé par Jeremy Sams, en est un parfait exemple. La fille d’Archibald était encore bébé à l’époque. « Ma mère était avec moi. Elle hissait Audrey dans les escaliers et traversait les rues sombres de Manhattan pour l’amener à l’entrée de la scène afin que je puisse l’allaiter pendant ma pause. »

Cet épisode, ainsi que les cinq années suivantes au cours desquelles Archibald a réussi à avoir Audrey et sa mère auprès d’elle le plus souvent, constitue une période plus personnelle sur laquelle la chanteuse pose aujourd’hui un regard teinté de confusion. Normal, alimentés comme ils l’étaient « à l’adrénaline et à la caféine », et débordés par les défis logistiques de la coordination des vols pour elle-même, sa mère et une nourrice occasionnelle, et pour Kurt et Axel, lorsque cela était possible. (« Vous auriez dû voir les tableaux d’organisation », fait-elle remarquer.) Ce furent aussi « des années merveilleuses – beaucoup de travail, mais à la fin d’une journée de répétition, peu importe comment cela s’était passé, j’avais un enfant souriant qui m’attendait à la maison ».

Cependant, maintenant qu’Audrey a commencé ses études et que le mari d’Archibald a récemment pris sa retraite d’une carrière de chanteur et embrassé son nouveau rôle de parent au foyer, « je vais devoir, dit-elle, me réhabituer à la solitude de la vie en tournée ». Elle devra aussi s’habituer à un emploi du temps qui ne prévoit aucun répit.

Son répertoire englobant le baroque, le bel canto et plus tard l’opéra romantique, et avec sa maîtrise de l’art du concert et de l’enregistrement, des œuvres de Haendel à Haydn en passant par Schubert et Messiaen, on peut se demander si Archibald s’intéresse à une époque ou à un style en particulier. Apparemment non. Plutôt, elle garde encore son esprit d’étudiante passionnée de l’Université Laurier, savourant goulûment chaque délice musical.

« Si je joue un certain nombre de rôles de séductrice et comiques depuis un moment, je me plaît en revanche à plonger dans une scène de folie ou de mort, assure Archibald. J’aime tout. » Il en va de même pour le public, les critiques et les organisateurs.

En plus du talent et de la polyvalence, Archibald jouit depuis longtemps d’une réputation d’étudiante rapide, acquise lors d’un exploit, précoce et bien connu, de sa carrière. En 2007, Archibald a été engagée avec un préavis de deux semaines à peine pour le rôle exigeant de Zerbinetta dans Ariadne auf Naxos de Strauss, à Genève. Même si l’exploit est célèbre, l’histoire a rarement été racontée… si elle l’a été.

Photo: Yves Lacombe

En plus du talent et de la polyvalence, Archibald jouit depuis longtemps d’une réputation d’étudiante rapide, acquise lors d’un exploit, précoce et bien connu, de sa carrière. En 2007, Archibald a été engagée avec un préavis de deux semaines à peine pour le rôle exigeant de Zerbinetta dans Ariadne auf Naxos de Strauss, à Genève. Même si l’exploit est célèbre, l’histoire a rarement été racontée… si elle l’a été.

« Il s’est passé assez de temps depuis pour que je puisse l’admettre, confie Archibald. J’étais censée assurer le rôle, mais je tergiversais ! »

Archibald se trouvait à Vienne à l’époque, pour jouer la doublure de Natalie Dessay dans La Fille du Régiment de l’Opéra d’État, alors qu’elle s’était simultanément engagée pour doubler le rôle de Zerbinetta (Marlis Petersen) à Genève plus tard dans la saison. C’est à ce moment qu’Archibald a reçu un coup de fil un vendredi l’informant que la soprano Marlis Petersen était passée à autre chose et « ne se sentait plus à l’aise » dans le rôle de Zerbinetta. Est-ce qu’Archibald pouvait prendre la relève à Genève dès le lundi?

« J’aurais dû être préparée, dit-elle, mais je ne l’étais pas. »

Malgré tout, la soprano s’est fait un thé et s’est vaillamment employée à écouter l’enregistrement complet d’Edita Gruberová – le seul qu’elle avait sous la main (« et c’était bien, parce qu’elle est une bonne chanteuse ») – et elle s’est convaincue qu’elle pouvait y arriver.

« J’ai passé le week-end avec mes écouteurs dans les oreilles, raconte Archibald, puis je me suis envolée le dimanche. » Elle n’avait qu’une demande pour la compagnie de Genève : « Ne paniquez pas si j’ai des trous de mémoire durant la répétition », car elle venait « tout juste de l’apprendre » (ce qui, concède Archibald, « n’était même pas vrai, car je l’apprenais encore »).

« Et deux semaines plus tard, conclut Archibald… on connaît la suite ! » Zerbinetta est depuis devenue l’un de ses rôles les plus emblématiques.

Archibald discute avec énergie de la tension créative qu’elle voit se jouer entre les deux camps dominants de l’opéra. D’un côté, « c’est cette mentalité de start-up », note-t-elle. « Beaucoup d’opéras “indépendants” – des gens qui font de l’opéra dans un pub, qui réactualisent l’opéra, qui réinterprètent une histoire. C’est tout simplement super ! » C’est un phénomène qu’Archibald assimile plus largement au goût émergent pour la « fusion » dans la culture populaire actuelle.

« Voyez le type de télévision que nous avons maintenant. Nous avons de la “dramédie” et de la docufiction. Je termine le visionnement d’une série de Netflix qualifiée de “traumédie”. » Ainsi, pour Archibald, il est logique de situer les penchants parallèles de l’opéra, des productions qui brouillent les frontières du genre, réorientent les perspectives, confondent les attentes.

D’un autre côté, il y a toujours les défenseurs de la tradition – « une énorme partie du public qui va à l’opéra » – pour qui le culte de la chanteuse reste central, les interprètes vedettes étant vénérés « comme les membres d’une famille royale : ambitieux, glamour, différents, autres ».

Ce qui nous ramène au sujet de la diva. Est-ce qu’elle existe toujours ? Et, si oui, Archibald en est-elle un exemple ?

« Eh bien, je suis contente de savoir que tous les yeux sont rivés sur moi alors que je me poignarde ou que je feins de devenir folle, dit Archibald. En ce sens, cela me convient d’être qualifiée de diva. Mais il y a un écriteau que vous voyez souvent dans les coulisses près de la cabine du régisseur : “Tous les drames doivent rester sur scène.” Je souscris à cela. »

« J’aurais peut-être eu une carrière différente si j’avais été une diva aussi bien sur scène que hors scène, suppose Archibald. Mais je n’ai jamais pu jouer ce rôle. J’aime signer un autographe ou deux, mais je ne porterai jamais de fourrure ni de talons aiguilles en sortant de la scène. J’aime être Jane Archibald qui s’habille en jean et accompagne son enfant à l’école. Cela me permet de garder les pieds sur terre et me procure un type de joie différent, plus profond. »

Les prochains engagements de Jane Archibald incluent des événements au festival Musique et autres mondes d’Ottawa les 7 et 10 juillet; et au festival Elora les 12, 14 et 25 juillet. Pour plus d’information, visitez les sites www.janearchibald.com ; www.musicandbeyond.ca; et www.elorafestival.ca

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A propos de l'auteur

Charles Geyer is a director, producer, composer, playwright, actor, singer, and freelance writer based in New York City. He directed the Evelyn La Quaif Norma for Verismo Opera Association of New Jersey, and the New York premiere of Ray Bradbury’s opera adaptation of Fahrenheit 451. His cabaret musical on the life of silent screen siren Louise Brooks played to acclaim in L.A. He has appeared on Broadway, off-Broadway and regionally. He is an alum of the Commercial Theatre Institute and was on the board of the American National Theatre. He is a graduate of Yale University and attended Harvard's Institute for Advanced Theatre Training. He can be contacted here.

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