Dina Gilbert : Femme de tête

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Dina Gilbert Photo: Alain Lefort

Dina Gilbert Photo: Alain Lefort

Le temps passe vite. Après trois années bien remplies comme chef assistante à l’Orchestre symphonique de Montréal, Dina Gilbert termine son dernier mandat en août 2016 et se tourne déjà vers l’avenir, prête à relever de nouveaux défis. Elle dresse avec nous un bilan de ces années exceptionnellement formatrices. 

Native de Saint-Georges-de-Beauce, Dina Gilbert a 31 ans. Elle détient un doctorat en direction d’orchestre de l’Université de Montréal, où elle a étudié avec Paolo Bellomia et Jean-François Rivest. En 2013, lors de sa nomination comme chef assistante – première femme dans l’histoire à obtenir ce poste –, Jean-François Rivest disait à son sujet : 

« Elle est dynamique, consciencieuse, appliquée, méthodique, organisée. C’est une fille extrêmement travaillante et tenace. Elle a un beau mélange de force de caractère et de juste modération. Ça lui donne un bel équilibre. Et malgré toutes ces qualités, elle ne se prend pas pour une autre. »

Effectivement, Dina Gilbert a le don de rester humble. Vive d’esprit et d’une bonne humeur contagieuse, quand on lui demande de parler de ses trois ans à l’OSM, elle est intarissable… au sujet des autres. Tous ces grands qu’elle a côtoyés et auprès desquels elle a appris tant de choses. D’abord Kent Nagano, mais aussi des chefs invités et des solistes qui l’ont marquée comme sir Roger Norrington, Zubin Mehta, James Conlon ou le pianiste Yefim Bronfman. 

En trois ans, elle a eu l’occasion d’étudier en profondeur près d’une centaine d’œuvres par année et dirigé plus de quarante concerts en tout. Elle a également suivi l’orchestre en tournée. À tout moment, elle devait se tenir prête à remplacer au pied levé au cas où un chef tomberait malade ou raterait un vol. Les plus gros défis de direction musicale ont été Carmina Burana avec 1500 choristes au Parc olympique, et sa participation, comme deuxième chef, à la monumentale Symphonie no 4 de Charles Ives, en novembre 2015, une première à Montréal. 

« J’avoue que c’est la seule fois que les musiciens m’ont vue stressée avant un concert. Ce qui est amusant, c’est que Yefim Bronfman était soliste au même concert et nous discutions juste avant. Malgré sa grande expérience, il était terrorisé à l’idée de jouer le concerto de Tchaïkovski et faisait les cent pas en coulisses. Je me suis dit que s’il avait tous ces doutes, malgré sa renommée, j’avais peut-être le droit d’être stressée moi aussi. »

Durant son mandat, elle a aussi dirigé de nombreuses répétitions pour préparer l’orchestre lorsque Kent Nagano était absent. 

« Dans les premières tâches qu’il m’a données, il y avait deux répétitions de la Symphonie no 7 de Mahler, dit-elle. Je voyais qu’il me faisait confiance. Il me présentait les choses très simplement, comme on le fait à un collègue, en me donnant des indications, mais sans m’infantiliser ou me faire sentir que j’en étais à mes débuts. J’ai toujours eu l’impression qu’il était très ouvert, c’était rassurant et ça a été bon pour ma confiance en moi. De plus, en assistant aux répétitions, j’ai pu mieux comprendre son esthétique et sa palette de nuances et apprendre ce qui lui était le plus utile. Au début, il me faisait souvent diriger pendant les générales. Il allait s’asseoir dans la salle pour écouter et il ajustait des détails. »

En dehors des aspects purement musicaux, elle retient du maestro un exemple de leadership. « Ce qui m’impressionne le plus, c’est sa vision globale de son rôle. Il est un très bon modèle de ce que doit être un directeur musical à notre époque. Il est très engagé dans sa communauté et capable de convaincre les gens d’aller chercher du financement. Il a une grande capacité d’écoute qui le rend capable d’adapter son discours selon les personnes à qui il s’adresse. Il a toujours de grands projets en tête, comme les concerts au Parc olympique ou la Virée classique, et il est infatigable. On a l’impression que chaque seconde de sa vie est dédiée à la musique et c’est très inspirant. »

Parmi ceux qui l’ont le plus impressionnée, il y a aussi eu sir Roger Norrington. « C’est incroyable de voir à quel point il a gardé un esprit jeune. On dirait que tout, pour lui, est un jeu. Cela se reflète dans sa façon de diriger. Son Ouverture de La Flûte enchantée de Mozart va rester ma référence. Il transmet ce qu’il veut aux musiciens avec un minimum de gestes. Il est aussi très généreux de son temps et n’entretient pas de distance avec les musiciens. Après une répétition générale ouverte aux jeunes chefs, il est resté pendant une heure après, à discuter avec eux. »

Son passage à l’OSM lui a aussi donné l’occasion de rencontrer Zubin Mehta. Après sa visite à Montréal, ce dernier l’a même invitée à assister à ses répétitions et concerts à Berlin et en Israël, un voyage qu’elle a effectué deux fois. « Ce que je retiens le plus de lui, c’est sa capacité de communiquer, parfois seulement avec le regard, dit-elle. Il possède un magnétisme unique. »

Arkea

En 2010, Dina Gilbert fondait son propre ensemble de chambre, Arkea. C’est un ensemble professionnel dont les saisons régulières, modestes, comportent de deux à cinq concerts, plus des représentations dans le cadre de mandats ponctuels et variés. Plutôt nomade, Arkea n’a pas de salle attitrée et joue un peu partout. 

« C’est un ensemble polyvalent et ouvert à toutes sortes de possibilités, dit Dina Gilbert. Nous nous adaptons en fonction des mandats. C’est beaucoup de travail de gestion, car je m’occupe de tous les aspects et pas seulement de la direction musicale. C’est un peu ma fibre beauceronne qui est ressortie à travers ce projet, car nous sommes reconnus pour notre côté entrepreneur. Avec le temps, je constate que le plus grand défi est la durée. C’est facile de lancer un nouvel ensemble, mais le plus difficile est de le porter à travers le temps. Je fais des efforts pour que ça continue et l’une des difficultés, c’est que j’ai tenu à ce que les musiciens aient un salaire. Il faut donc trouver du financement. »

Le métier de musicien oblige souvent à vivre une réalité de travailleur autonome et, selon elle, la plupart des diplômés en musique ne sont pas prêts à y faire face en sortant de l’école. 

« C’était important, pour moi, à la fin de mes études de doctorat, d’avoir mon propre ensemble, mais je réalise aujourd’hui à quel point je ne savais pas par où commencer quand j’ai lancé Arkea il y a six ans. Plus récemment, j’ai suivi une formation en affaires et développement de carrière avec des professeurs des HEC grâce à la Fondation Fernand-Lindsay et j’ai vu à quel point il m’aurait été utile de savoir tout cela avant. Les universités et les conservatoires n’ont pas compris qu’un musicien, c’est un travailleur autonome, et il y a une lacune dans la formation. Il faut arrêter de penser qu’on va nous téléphoner juste parce qu’on a du talent. Il faut créer soi-même ses opportunités. »

Il y a quatre ans, Arkea a aussi créé un concours de composition, Accès Arkea. Le concours a reçu 24 candidatures pour sa 4e édition, en provenance du Québec, du Canada, des États-Unis et même de la Turquie. Le lauréat est le jeune compositeur d’origine brésilienne Gabriel Penido, étudiant au doctorat à l’Université de Montréal sous la direction de François-Hugues Leclair, pour sa pièce Mirror

« Les trois premières années, nous organisions le concours avec l’organisme Code d’accès, mais malgré la fin de ce partenariat, nous avons décidé de le continuer. Je trouve important d’aider des compositeurs de notre génération. S’il est difficile, aujourd’hui, d’être musicien, ça l’est encore plus d’être compositeur. Comme nous n’avons pas de budget pour offrir une bourse, le prix est un mentorat. Nous aidons le compositeur avec divers aspects de sa carrière et de son travail. C’est une année où il peut compter sur nous. Je lui commande également une œuvre pour l’an prochain. »

Musique et cinéma

Le 26 avril prochain, Dina Gilbert dirigera l’OSM dans un concert entièrement consacré aux musiques de film. Le comédien Rémy Girard, passionné de ce genre musical, animera la soirée. On pourra entendre, notamment, des œuvres de Nino Rota, Ennio Morricone, Bernard Herrmann, John Williams, Vladimir Cosma, Michel Legrand, Michel Cusson et François Dompierre. 

« Parfois les chefs d’orchestre n’apprécient pas vraiment la musique de film, mais je pense que nous avons choisi des œuvres qui ont une véritable valeur musicale. J’ai beaucoup de respect pour cette musique et j’aime le fait que ce soit tellement imagé. Quand on l’entend, on revoit des scènes du film, on se rappelle des souvenirs. L’intérêt de ce programme est qu’il plaira à toutes les générations en touchant des films de différentes époques. »

L’avenir

Qu’est-ce qui attend Dina Gilbert après trois ans à l’OSM ? Au moment de notre rencontre, en mars, plusieurs projets étaient dans l’air sans être confirmés. Elle passera bientôt une audition au Sudbury Symphony Orchestra, poste pour lequel elle est finaliste. Elle est également finaliste pour le poste de directrice de l’Orchestre symphonique du Saguenay–Lac-Saint-Jean. En mai, elle sera chef invitée pour un concert jeunesse au Toronto Symphony Orchestra. 

« Maintenant, je dois faire mon chemin. J’ai beaucoup de soutien de la part de l’OSM pour réaliser cette transition. Ils sont très contents quand ils voient que j’ai des occasions ailleurs avec d’autres orchestres. Je suis très optimiste par rapport à mon avenir. L’immersion que j’ai eue à l’OSM m’a prouvé hors de tout doute que j’adore ce métier. La fatigue qui peut survenir en cours de route parce que le métier de chef est exigeant est vite oubliée quand on pense aux moments extraordinaires qu’il procure. Je réalise à quel point j’ai pu grandir en côtoyant ces musiciens. »


Dina Gilbert dirigera l’OSM dans un concert de musique de film, 26 avril, 19h, Maison symphonique. www.osm.ca

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