Brian Current : Aux portes de la création

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Ce mois-ci, Brian Current vivra une expérience que bien des compositeurs peuvent lui envier : celle de voir une de ses œuvres majeures créée par l’Orchestre symphonique de Montréal et enregistrée. Grâce à une bourse de 50 000 $ du Projet de musique Azrieli, il a composé The Seven Heavenly Halls, pour ténor solo, chœur et orchestre. Le compositeur s’est entretenu avec La Scena Musicale au sujet de ce projet unique et de son parcours de compositeur.

Brian Current est devenu musicien, comme bien d’autres enfants, en apprenant d’abord le piano.

« J’ai eu de la chance que mes parents soient persévérants et m’encouragent sans cesse à m’exercer, même quand je n’en avais pas envie, dit-il. Mes parents n’étaient pas musiciens professionnels, mais ils chantaient dans des chœurs et ils étaient de grands amoureux de la musique. Ils m’ont inscrit à différents programmes de musique dans la région d’Ottawa et à une chorale au centre-ville. C’était mon premier contact avec une musique “organisée” ».

Brian Current, Photo: Bo Huang

Brian Current, Photo: Bo Huang

Pour l’enfant qu’il était, l’invention de ses propres pièces était déjà plus attirante que les sonates de ses leçons de piano.

« Quand je m’asseyais au piano, j’inventais des passages à la manière de Mozart ou de Beethoven en pensant donner à ma mère l’illusion que je m’exerçais. Je suis certain qu’elle savait, mais elle ne disait rien. C’est ainsi que la composition est devenue ma façon d’interagir avec la musique. Plus tard, j’ai fait partie de groupes rock locaux. Ma musique, aujourd’hui, ne sonne pas comme du rock, mais je pense que l’énergie et la force du rock en font partie. De plus, je me souviens d’avoir livré le Globe & Mail dans mon quartier. Je me levais très tôt et je sortais dans le froid et le noir. J’écoutais de la musique dans mon baladeur, entre autres la CBC, qui était encore, dans les années 1980, une bonne façon de faire des découvertes musicales. »

C’est ainsi qu’au moment de choisir sa carrière, il a décidé d’étudier la composition à McGill.

« Mes parents étaient d’accord avec mon choix, mais cela a dû être difficile pour mon père, qui était ingénieur et travaillait au gouvernement pour assurer une stabilité à notre famille. Il a pourtant accepté et cela a changé ma vie. J’ai étudié avec John Rea et il m’a fait découvrir le monde de la musique contemporaine. Il m’a fait comprendre l’importance, pour un compositeur, de toujours faire du bon travail, de bien connaître son art, de faire preuve de discipline et d’être professionnel, et il m’a fait comprendre que c’était une contribution valable à la société. C’était incroyablement inspirant. Je le dis volontiers à tout le monde : John Rea m’a appris tout ce que je sais sur la composition. »

Vers la fin de ses études de baccalauréat, Brian Current remportait un concours de composition avec Radio-Canada, ce qui allait l’aider à être accepté dans un programme d’études supérieures avec bourse à Berkeley, en Californie.

« C’était une bourse complète pour étudier pendant tout le programme de quatre ou cinq ans, dit-il. Aux États-Unis, vous pouvez obtenir une bourse qui vous permet de ne jamais vous inquiéter au sujet de l’argent pendant toute la durée de vos études et de vous consacrer uniquement à apprendre. J’ai été extrêmement privilégié d’obtenir cela, car autrement, je n’aurais jamais eu les moyens de faire des études supérieures. C’est à Berkeley que j’ai appris à diriger, et c’est là que j’ai composé mes premières œuvres pour orchestre. J’ai pu acquérir beaucoup d’expérience et entreprendre la création d’un corpus d’œuvres qui ont commencé à être jouées par différents orchestres comme celui d’Oakland, celui de Winnipeg ou l’Orchestre de la radio de la CBC. »

Après ses études en Californie, il s’est établi à Toronto, où il vit encore avec sa famille, et il a obtenu un poste à temps partiel au Conservatoire royal de Toronto. Il enseigne la direction d’orchestre et travaille la musique contemporaine avec ses étudiants. Jusqu’à maintenant, il a composé une trentaine d’œuvres.

« Toute composition demande énormément de travail et devient comme un marathon. Il faut commencer tôt le matin et y passer plusieurs heures par jour. Peu importe le nombre d’œuvres que vous avez composées auparavant, c’est toujours très difficile. Quand vous commencez une œuvre, c’est comme lorsque vous êtes en avion, dans les airs. Vous avez une vue d’ensemble du paysage. Plus l’avion s’approche du sol pour atterrir et plus vous voyez les détails. Quand la pièce est terminée, tout est à sa place. Notre travail, comme compositeur, est de faire atterrir cet avion à temps pour respecter nos dates de tombée. »

Le Projet de musique Azrieli

Production de l'opéra Airline Icarus de Brian Current, Monté par Soundstreams à Daniels Spectrum à Toronto en Juin 2014, Photo: Cylla von Tiedemann

Production de l’opéra Airline Icarus de Brian Current, Monté par Soundstreams à Daniels Spectrum à Toronto en Juin 2014, Photo: Cylla von Tiedemann

Le Projet de musique Azrieli vise à encourager la composition de musique juive, notamment par l’attribution de bourses à des compositeurs. Il est financé par la Fondation Azrieli. Brian Current est le premier boursier du volet création de ce concours qui s’adresse à tous les compositeurs, qu’ils soient juifs ou non. Qu’est-ce que la musique juive ? Brian Current, qui, justement, n’est pas juif, croit que l’un des buts du Projet de musique Azrieli est de répondre à cette question. Sur le site de la Fondation, on peut d’ailleurs lire : « Nous définissons la musique juive le plus largement possible en prenant en considération la très riche et hétérogène histoire des traditions musicales juives, ainsi que la musique composée par des Juifs ou des non-juifs comportant des influences ou des éléments empruntés au langage musical en question. La gamme des thèmes juifs est très variée et peut contenir des éléments bibliques, historiques, liturgiques, profanes ou folkloriques. Nous désirons définir la musique juive comme étant à la fois ancrée dans l’histoire et la tradition, mais aussi progressive et dynamique. À ce titre, nous encourageons un contenu qui s’inspire de la vie et de l’expérience juive contemporaines. »

« C’est une question très difficile, dit Brian Current. La musique juive peut être plusieurs choses. Je crois que ce qu’ils essaient de faire, avec ce programme, c’est de revigorer un répertoire musical qui reflète la culture juive. J’ai fait mon possible et j’espère que ce sera à la hauteur. »

La bourse du concours de commandes du Projet de musique Azrieli était remise à un compositeur canadien de musique orchestrale en 2015 pour qu’il crée une œuvre. Le compositeur admissible au concours devait donc expliquer par écrit comment son œuvre serait pertinente à la musique juive, et le jury devait faire son choix sans avoir entendu une seule note de l’œuvre.

« À vrai dire, je n’ai pas pensé mon projet en fonction du concours, dit Brian Current. Ce qui s’est passé, c’est que j’avais déjà un projet musical qui convenait aux objectifs de la bourse. J’ai eu beaucoup de chance que les planètes soient alignées de cette façon. Depuis quelques années, j’avais envisagé la composition d’un grand oratorio de plus d’une heure qui s’intitulerait The River of Light et s’inspirerait du voyage de Dante au Paradis. Dans plusieurs cultures, on retrouve ce concept, qui est aussi présent dans le Zohar et dans la culture juive. The Seven Heavenly Halls est le nom d’un passage du Zohar et ce sera la partie juive de cet oratorio, qui aura aussi des parties chinoise, hindoue, musulmane, chrétienne et autochtone. Il montrera que nous sommes tous unis et que nous faisons tous partie de la même rivière. La création de The River of Light aura lieu en 2018, à Vancouver. »

En lisant le Zohar, Brian Current s’est mis à entendre une musique tumultueuse dans sa tête. Peu de temps après, il a entendu parler du concours de commande et s’est lancé dans l’écriture de sa plus imposante œuvre orchestrale jusqu’à maintenant.

« La pièce décrit le passage d’un voyageur mystique d’un palais céleste à un autre. Chacun de ces palais possède une couleur musicale différente et le voyageur, à la fin, réside dans la lumière et l’amour divin. Le ténor chante en anglais, pour que tout le monde comprenne les paroles, et le chœur chante en anglais et en hébreu. »

Pour Brian Current, toute cette démarche n’était pas complètement un choc culturel, puisque son épouse est juive et que leurs enfants sont élevés dans la culture juive. Toutefois, le Zohar était une découverte.

« C’est un document immense, dit-il. Je me suis adressé à des spécialistes du Zohar d’un peu partout dans le monde pour m’aider à comprendre le texte et à l’adapter pour le chœur, entre autres. J’ai vécu tout un voyage et cela aura certainement une influence sur ma façon de travailler à l’avenir. »

 

Quelques enregistrements récents

Brian Current

Elements eternal
Musique de chambre par Brian Current, Andrew Staniland, Michael Oesterle
Julie Nesrallah, mezzo-soprano, Gryphon Trio.
Naxos no de catalogue 8.573533

 

 

Brian Current

Airline Icarus
Musique de chambre pour cinq solistes, chœur de chambre, neuf musiciens et fichiers audio.
Par Brian Current, livret d’Alan Piatigorsky
Carla Huhtanen, soprano, Krisztina Szabo, mezzo-soprano, Graham Thomson, ténor, Alexander Dobson, baryton, Geoffrey Sirett, baryton
Brian Current, chef
Premier enregistrement mondial
Naxos no de catalogue 8.660356

Détails du concert

Frédéric Antoun, Photo: Helen Tansey

Frédéric Antoun, Photo: Helen Tansey

Première mondiale de The Seven Heavenly Halls pour ténor solo, chœur et orchestre, avec l’Orchestre symphonique de Montréal et le ténor Frédéric Antoun, sous la direction de Kent Nagano, le 19 octobre, 20 h, Maison symphonique. Une causerie préconcert aura lieu à 19 h dans le foyer du parterre de la Maison symphonique. Kelly Rice animera une discussion en français et en anglais avec les compositeurs Brian Current et Wlad Marhulets, de même qu’avec Ana Sokolović, compositrice et membre du jury du Projet de musique Azrieli. Également au programme : le Concerto pour clarinette klezmer de Wlad Marhulets, avec André Moisan à la clarinette, The Age of anxiety de Leonard Bernstein, avec Serhiy Salov au piano, l’Adagietto pour orchestre de Mahler et des extraits des Rückert-Lieder de Mahler avec la soprano Sharon Azrieli Perez.

» www.osm.ca

Brian Current donnera également un cours de maître aux étudiants en composition du Conservatoire de musique de Montréal. Le 18 octobre, salle de récital du Conservatoire. Au moment d’aller sous presse, l’heure exacte de cet événement n’était pas encore déterminée.

» www.conservatoire.gouv.qc.ca

 

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