Shakespeare en musique pour lutter contre la violence

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74%
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  • Orchestre
    3.6
  • Soliste
    4
  • Direction
    3.8
  • Répertoire
    3.6
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En prélude à ces Songes de Shakespeare, la Maison Symphonique a été plongée dans une minute de silence à la mémoire des 14 jeunes femmes tuées il y a 29 ans à l’École Polytechnique de Montréal. Les musiciens de l’Orchestre Métropolitain portaient un ruban blanc en lien avec cette journée funeste, devenue depuis la Journée Nationale de commémoration et d’action contre la violence faite aux femmes.

Après une présentation du programme, l’orchestre a offert en première partie deux incontournables du répertoire musical inspiré de l’œuvre de Shakespeare, le Songe d’une nuit d’été (ouverture et scherzo) de Mendelssohn et Roméo et Juliette de Tchaïkovsky. Mendelssohn révèle la transparence et la légèreté de l’orchestre et du chef invité Alexander Shelley, tandis que la « fantaisie-ouverture » de Tchaïkovsky est rendue avec une grande clarté. Le thème d’amour est lent et passionné, on lui aurait souhaité davantage de frémissement.

Le chef invité Alexander Shelley

Le Concerto pour clarinette « Peacock Tales » de Per Anders Hillborg a été écrit il y a vingt ans et créé par le soliste suédois Martin Fröst. Il était joué hier soir dans sa version « Millenium » par le clarinettiste de Montréal David Dias da Silva. Côté musique, rien à redire. La partition virtuose et éclatée explore les nombreuses possibilités sonores de la clarinette, avec une préoccupation orchestrale essentiellement texturale, mais tout à fait efficace. Le clarinettiste d’origine portugaise a montré sa grande maîtrise de l’instrument et son incomparable aisance dans ce concerto qu’il connaît bien. Ses envolées virtuoses, ses crescendos à partir du silence ou encore les passages à plusieurs voix semblent couler avec une grande facilité et un naturel éblouissant.

En revanche, la « prestation théâtrale » du soliste, voulue par le compositeur et inscrite dans la partition,  consistait en des mouvements de jambes, de bras ou de clarinette, qui n’avaient aucun intérêt. Elle aurait pu (dû ?) être évitée, ayant pour seule conséquence de détourner le spectateur de la musique et d’offrir un mauvais numéro de mime, décrédibilisant une partition pourtant excellente et plus complexe que ne le laissait entendre cette lecture vaudevillesque. Ce genre de prestation peut trouver un écho intéressant dans un festival en plein air sous un éclairage adéquat, ou avec l’intervention avisée de danseurs professionnels pour éclairer la lecture musicale, mais dans le contexte d’hier, elle desservait la musique.

En concluant avec Macbeth de Richard Strauss, l’Orchestre Métropolitain a montré sa grande compréhension du langage post-romantique, aidé en cela par maints Bruckner et Mahler habillant leur répertoire. Macbeth est un peu le mouton noir des poèmes symphoniques de Strauss, décrié pour son manque de raffinement expressif. Sorti de son contexte littéraire, l’œuvre est pourtant d’une beauté majestueuse et puissante, un bloc monolithique où la tension est sous-jacente jusqu’à l’issue finale. Alexander Shelley, expansif et communicatif, trouve un bel équilibre entre la gravité de l’intrigue et la luxuriance de la musique, pour proposer une lecture qui rend justice à ce poème symphonique. Véritable déferlante d’émotions contrastées, cette œuvre aux accents de Sturm und Drang – même si l’époque est alors révolue – est rendue avec une précision délicieuse et un son enveloppant par l’Orchestre Métropolitain. La cerise sur… la colline de Dunsinane, pour clore ce concert.

Si la violence reste présente dans nos vies et nos souvenirs, la meilleure réponse à celle-ci reste l’art et la créativité, ce qu’a démontré l’OM hier soir avec la fougue qu’on lui connaît. L’art a ce pouvoir de canaliser le désordre en lui donnant du sens, de dire ce que la parole ne peut pas dire, d’apprendre à se connaître soi-même et à connaître l’autre. Je laisserai l’écrivain et penseur français Jacques Attali conclure sur le sujet : « On luttera plus efficacement contre ces barbaries par des bibliothèques ouvertes sept jours sur sept jusqu’à minuit, des conservatoires de musique dans tous les quartiers, des cours de peinture un peu partout, des animateurs sociaux pour y guider les jeunes les plus éloignés de cet univers. Pour leur faire prendre conscience qu’ils peuvent devenir eux-mêmes en créant, en apprenant, en se trouvant, dans des arts multiformes, qui se nourrissent de toutes les traditions, de toutes les cultures de tous les instruments, de toutes les pratiques, de toutes les fois. » 

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Lire l’article de Jacques Attali, L’art peut-il quelque chose contre la violence ?

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A propos de l'auteur

Benjamin Goron est écrivain, musicologue et critique musical. Titulaire d’un baccalauréat en littérature et d’une maîtrise en musicologie de l’Université Paris-Sorbonne, il a collaboré à plusieurs périodiques et radios en tant que chercheur et critique musical (L’Éducation musicale, Camuz, Radio Ville-Marie, SortiesJazzNights, L'Opéra). Depuis août 2018, il est rédacteur adjoint de La Scena Musicale. Pianiste et trompettiste de formation, il allie musique et littérature dans une double mission de créateur et de passeur de mémoire.

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