Partitions graphiques : incursion dans un univers visuel

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Sans s’y être forcément frottés, tous les musiciens ont vu passer un jour une partition graphique de John Cage ou Morton Feldman, créateurs de ce langage à cheval entre la musique et les arts visuels. Que cachent ces énigmatiques partitions, allant d’un ensemble de signes sur la portée jusqu’au dessin le plus abstrait ? C’est ce que Productions SuperMusique, codirigé par Danielle Palardy Roger et Joane Hétu, cherche à nous faire découvrir au fil d’ateliers et de concerts présentés depuis plus de vingt ans. « Au départ, SuperMusique était en grande partie constitué d’autodidactes. L’écriture graphique nous permettait alors de nous rassembler autour de la musique », explique Danielle P Roger. Au fil des ans, SuperMusique se spécialise dans les musiques improvisées et l’exploration sonore et acquiert une expertise de plus en plus recherchée dans le milieu de la musique contemporaine.

La partition graphique, un « jeu de piste »

La partition graphique, par sa recherche d’interaction entre son, espace et graphisme, se situe à la frontière de la musique et des arts plastiques. Elle suggère un énoncé musical qui peut varier d’un interprète à l’autre, celui-ci devenant alors cocréateur de l’œuvre. Cette graphie pouvant prendre des formes très diverses, cela a permis de pallier les limites de la partition traditionnelle et les créateurs de ce langage étaient autant des bruitistes (Luigi Russolo) ou des compositeurs de musique aléatoire (John Cage, Morton Feldman) que des improvisateurs (Earle Brown, Anestis Logothetis, Pauline Oliveros). Ce modèle s’est étendu au fil du siècle au jazz expérimental ou au rock conceptuel, répondant toujours à une idée créatrice que la notation traditionnelle ne pouvait pas restituer fidèlement.

La partition graphique est souvent accompagnée d’une consigne écrite, afin de démystifier les symboles, formes et couleurs et de fixer un cadre dans lequel l’interprète pourra exprimer sa propre créativité. « Dans la musique nouvelle, la participation de l’instrumentiste créateur devient de plus en plus urgente et présente. Les jeunes qui sortent des écoles ressentent la nécessité de se manifester en tant qu’instrumentistes créateurs. » En novembre dernier, Productions SuperMusique a organisé deux concerts autour de partitions graphiques, où l’on a pu entendre des créations d’Émilie Girard-Charest et Marielle Groven et un autre à la Chapelle historique du Bon-Pasteur autour d’une pièce du compositeur Symon Henry qui a fait de cette graphie le fer de lance de ses œuvres. L’univers des partitions graphiques connaît un engouement certain en ce début de XXIe siècle. « Une partition graphique, c’est un jeu de piste, un chemin nouveau qu’il faut découvrir. Chaque compositeur a son propre langage et sa propre esthétique, que l’on retrouve d’une pièce à l’autre. L’instrumentiste doit donc se familiariser avec le langage du compositeur, un musicien qui se spécialise dans les partitions graphiques comprend rapidement dans quelle matière sonore le compositeur se dirige. »

Danielle Palardy Roger, co-directrice de Productions Supermusique - Partitions graphiques

Danielle Palardy Roger, co-directrice de Productions Supermusique

Outiller les musiciens de demain

Depuis bientôt dix ans, à la demande de nombreux étudiants, SuperMusique multiplie les initiatives pour démocratiser l’usage des partitions graphiques, un outil qui peut s’avérer précieux dans le cheminement du compositeur ou de l’interprète. En mettant en place de nombreux ateliers au Gesù, à la Chapelle historique du Bon-Pasteur et à la Sala Rossa, ainsi que des stages et une activité de mentorat à l’Université de Montréal, en partenariat avec le Cercle des étudiants.es compositeurs.rices (CeCo), SuperMusique répond à une demande croissante des créateurs cherchant à élargir leur langage, par simple curiosité ou réel intérêt. « Parmi les jeunes qui ont assisté à nos stages, plusieurs font aujourd’hui partie de SuperMusique », se réjouit Danielle P Roger. L’ouverture des institutions traditionnelles reste pourtant très limitée et la formation des jeunes musiciens se fait le plus souvent en dehors des conservatoires et universités, grâce aux ateliers, mais aussi et surtout par la pratique instrumentale, individuelle ou collective. « Chaque improvisateur explore son propre langage des heures, des jours entiers, que ce soit la virtuosité technique ou timbrale. Il élargit aussi son écoute et son langage individuel à travers la pratique de l’improvisation, ce qui est fondamental. » Rompant avec les schémas traditionnels, compositeurs et instrumentistes trouvent dans cet univers des partitions graphiques et des musiques improvisées un espace de cohabitation où le geste créateur est partagé entre les différents participants. Les compositeurs font confiance aux interprètes, tandis que ces derniers peuvent exprimer leur personnalité et leur créativité.

Les partitions graphiques ne sont pas le seul langage permettant ce partage du geste créateur. Autre exemple, la gestuelle développée par les chefs pour composer de la musique en temps réel, dont le soundpainting est la forme la plus connue. Ce langage inventé et théorisé par Walter Thompson contient actuellement plus de mille gestes permettant au chef de communiquer avec l’orchestre pour créer une véritable peinture sonore. Au sein de SuperMusique, la gestuelle mise en place et s’enrichissant au gré des inventions est constituée de gestes traditionnellement admis dans le soundpainting et d’inventions de Jean Derome, Diane Labrosse, Joane Hétu ou Danielle P. Roger, entre autres. Langage en pleine expansion, il pourrait à lui seul faire l’objet d’un article plus fouillé.

Le concert des Productions Supermusique Canot-Camping Expédition #9 du compositeur et chef Jean Derome vient de remporter le Prix Opus 2019 du concert de l’année, musique actuelle – électroacoustique.

Par leur implication dans la formation des jeunes générations de musiciens et de compositeurs, par la mise en valeur d’un siècle de recherche et d’invention dans le domaine de l’expérimentation sonore et des partitions graphiques ainsi que leur engagement à produire des concerts et passer des commandes, Productions SuperMusique a mis en place un créneau singulier qui répond à un besoin réel de la communauté musicale au Québec et qui est certainement amené à grandir au fil des ans. De quoi piquer la curiosité de tout un chacun… www.supermusique.qc.ca 

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A propos de l'auteur

Benjamin Goron est écrivain, musicologue et critique musical. Titulaire d’un baccalauréat en littérature et d’une maîtrise en musicologie de l’Université Paris-Sorbonne, il a collaboré à plusieurs périodiques et radios en tant que chercheur et critique musical (L’Éducation musicale, Camuz, Radio Ville-Marie, SortiesJazzNights, L'Opéra). Depuis août 2018, il est rédacteur adjoint de La Scena Musicale. Pianiste et trompettiste de formation, il allie musique et littérature dans une double mission de créateur et de passeur de mémoire.

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