Marie-Nathalie Lacoursière, la danse baroque dans tous ses états

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Alors que la musique baroque connaît une floraison et un rayonnement sans précédent au Québec, comme en témoigne notre précédent numéro, la danse baroque fait toujours figure de curiosité dans le paysage artistique. Il est pourtant édifiant de noter que musique et danse baroques sont intimement liées : non seulement une large partie de la production musicale de l’époque était destinée à être dansée, mais ces danses, qui ont fait l’objet de chorégraphies fixées sur le papier, sont le plus souvent associées à une musique précise. Fort heureusement pour nous, il existe au Québec une spécialiste des danses baroques, de leur gestuelle, de leur langage écrit.

Lors de ses études en musique à l’Université Laval, au début des années 1990, Marie-Nathalie Lacoursière a eu la curiosité de suivre un cours de danse Renaissance avec la claveciniste Jocelyne Lépine. Elle y prend vite goût et multiplie les stages hors du pays, notamment auprès de Wendy Hilton aux États-Unis ou de Francine Lancelot en France. Les danses baroques et de la Renaissance connaissent un véritable engouement dans les années 1990. Alors que les États-Unis exhument de vieux manuscrits et convoquent chercheurs et musicologues, la France multiplie les productions dans des cadres remplis d’histoire, aidée en cela par l’existence de prestigieux orchestres baroques comme les Arts Florissants ou La Grande Écurie et la Chambre du Roy. Marie-Nathalie se souvient : « Au Québec, je me retrouvais isolée. Alors j’ai beaucoup lu, appris, et je faisais des stages à l’étranger tous les ans. Je continue d’en faire aujourd’hui. » Au début des années 1990, Marie-Nathalie commence sa carrière de danseuse baroque en Ontario et au Québec : « J’ai fait mon premier concert professionnel avec Les Idées heureuses en 1994 à l’église Erskine and American, aujourd’hui la salle Bourgie. C’est l’une des premières fois qu’on voyait un événement en danse baroque ici, et l’église était bondée. Il y avait même des gens debout à l’arrière. »

«Les Indes Galantes ou les automates de Topkapi» avec le Toronto Masque Theatre en 2015. Photo : Ian Donaldson

Un retour aux sources : la danse au plus près du pouvoir divin

Puisque tout restait à faire au Québec et dans le reste du Canada, Marie-Nathalie Lacoursière plonge à corps perdu dans toutes les dimensions de la danse baroque et ne tarde pas à faire sa place en tant que danseuse, mais aussi chorégraphe et directrice artistique. Il faut dire qu’au XVIIe siècle, à l’époque du roi Louis XIV, la danse n’est pas seulement un loisir, c’est une véritable institution. Le roi lui-même est un danseur hors pair et les membres de la cour se doivent de maîtriser courante, sarabande, gigue et chaconne sur le bout des pieds ! En 1661, dans un souci d’exigence et d’excellence, Louis XIV fonde l’Académie royale de danse, ancêtre du ballet de l’Opéra de Paris. C’est le début de la professionnalisation du métier de danseur. Trois cent cinquante ans plus tard, il reste encore beaucoup à faire pour dépoussiérer cet âge d’or de la danse, et Marie-Nathalie Lacoursière ne manque pas d’occasions de le faire. Entre 2002 et 2017, elle est directrice associée du Toronto Masque Theatre et monte toute l’œuvre de Purcell, faisant souvent dialoguer le langage baroque avec des œuvres contemporaines : « Il ne faut pas oublier le public. Tout en restant fidèle à ce qu’on fait, il faut que le public puisse comprendre ce qu’on veut dire. Nous sommes différents des sociétés de l’époque, il faut en tenir compte. »

En 2007, Marie-Nathalie rejoint le Nouvel Opéra à titre de codirectrice artistique. Elle fonde les Jardins chorégraphiques et monte de nombreuses chorégraphies, dont la plus récente a permis d’exhumer une pastorale oubliée depuis plus de trois siècles, Nicandro e Fileno : « On sait qu’il y avait des divertissements à l’époque. J’ai repris l’idée et j’ai décidé de mettre de la danse dans cette œuvre, en inventant pour cela le personnage de Cupidon. Pour la chorégraphie, j’ai travaillé avec les documents d’époque, en les transformant. » Mais que sont donc ces mystérieux « documents d’époque » ?

Arlequine, dans le spectacle «Musique et danse en Nouvelle-France» avec Les Idées Heureuses en 2010. Photo : Sébastien Ventura

De la danse… à lire

Avant 1700, on retrouve des ouvrages où les parties de danse sont expliquées dans un texte vis-à-vis de la partition musicale. Il faut donc avoir une grande connaissance préalable des pas et une bonne intuition pour faire correspondre danse et musique et traduire en gestes ce que le chorégraphe a voulu dire en mots. Dès 1700, Raoul-Auger Feuillet publie Chorégraphie, ou l’art de décrire la danse par caractères, figures et signes démonstratifs. On y retrouve les préceptes et la notation conçue par le maître de ballet à la cour de Louis XIV, Pierre Beauchamp. La notation Feuillet-Beauchamp permet de lire de nombreuses danses de l’époque et constitue donc un point de départ très important pour les chorégraphes actuels. Si cette notation ne s’est pas imposée universellement, Marie-Nathalie Lacoursière insiste sur l’importance d’apprendre aux danseurs et chorégraphes actuels à la lire, afin d’accéder à cette richesse du langage écrit de la danse et de pouvoir la comprendre pour mieux la réinventer.

La notation Feuillet-Beauchamp, extrait de l’ouvrage de Raoul-Auger Feuillet paru en 1700. Photo : Benjamin Goron

Pour l’heure, l’agenda de Marie-Nathalie Lacoursière est bien chargé. Après avoir récemment monté en novembre des chorégraphies médiévales avec l’Ensemble Scholastica, le spectacle La Sprezzatura avec Les Boréades et The Fairy Queen avec l’Université de Montréal, elle sera en demande dans les prochains mois. Elle collaborera avec le chorégraphe belge Lieven Baert en février, avant un spectacle de commedia dell’arte avec le Toronto Consort au printemps, puis elle signera une mise en scène pour l’Opéra de Boston, sans oublier le Festival Montréal Baroque au début de l’été… Comme quoi, la danse baroque a de l’avenir au Québec ! www.lenouvelopera.com

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A propos de l'auteur

Benjamin Goron est écrivain, musicologue et critique musical. Titulaire d’un baccalauréat en littérature et d’une maîtrise en musicologie de l’Université Paris-Sorbonne, il a collaboré à plusieurs périodiques et radios en tant que chercheur et critique musical (L’Éducation musicale, Camuz, Radio Ville-Marie, SortiesJazzNights, L'Opéra). Depuis août 2018, il est rédacteur adjoint de La Scena Musicale. Pianiste et trompettiste de formation, il allie musique et littérature dans une double mission de créateur et de passeur de mémoire.

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