300 ans et 7 clavecinistes : Soli Graupner Gloria!

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Il est coutume de souligner l’anniversaire de la naissance ou de la mort d’un compositeur, mais plus rare de marquer l’anniversaire d’une publication. En 1718, Christoph Graupner faisait paraître à Darmstadt son premier livre regroupant huit partitas, totalisant 1h30 de musique (sans compter les reprises figurant dans les partitions, abandonnées pour l’occasion). Ce disciple de Johann Kuhnau montre déjà dans ces œuvres une grande maîtrise des divers styles nationaux mais aussi de la technique de son instrument. La salle Bourgie, dans le cadre des concerts Arte Musica, a pu se réjouir d’entendre en première mondiale l’intégrale de ces huit partitas pour clavecin, interprétées par la crème des clavecinistes au Québec : Geneviève Soly, Luc Beauséjour, Johanne Couture, Hank Knox, Mylène Bélanger, Mélisande McNabney et Jean-Willy Kunz.

Geneviève Soly

Geneviève Soly

Soli Graupner Gloria!

Depuis plus de 18 ans, la claveciniste et musicologue Geneviève Soly cumule recherches, concerts, enregistrements pour réhabiliter la mémoire de Christoph Graupner, resté dans l’ombre de Bach ou de Telemann. Son importante production a sans doute souffert d’être restée inaccessible pendant plusieurs décennies après sa mort, cloîtrée dans le château de Darmstadt. L’histoire lui rend peu à peu justice, et un mouvement de réhabilitation de son œuvre gagne peu à peu la sphère de la musique baroque. La grande fête du clavecin en était, jeudi dernier, un exemple admirable. En invitant 6 clavecinistes à s’approprier ce répertoire virtuose et délicat, dans un concert ponctué de présentations très fournies, Geneviève Soly a dû réveiller quelque fantôme du côté de Darmstadt, pour le plaisir d’un public québécois qui découvre la richesse de son écriture.

La formule était tout à fait bien pensée. Programmer un unique compositeur, des pièces méconnues et assez similaires pour une oreille néophyte était plutôt risqué. Pour autant, les explications préliminaires permettaient d’orienter l’oreille sur une écoute plus attentive, et la valse des interprètes nous plongeait à chaque fois dans un univers sonore différent. Nous avons appris au cours de cette soirée à nous familiariser autant avec la musique de Graupner qu’avec nos plus illustres clavecinistes, chacun faisant sonner l’instrument à sa manière, traitant le temps et les respirations de façon singulière. Cet exercice de comparaison est du plus grand intérêt et devrait devenir monnaie courante pour initier un public à une esthétique qui peut sembler lointaine à certains.

Pour qui sait tendre l’oreille, la musique de Graupner est très variée et colorée. Brillance, vivacité, limpidité sont au service d’une écriture savante que les interprètes de cette soirée nous ont permis d’apprécier, même si, à l’exception de Geneviève Soly, ils jouaient ce répertoire pour la première fois en concert. Un feuillet situé dans le programme demandait au public d’élire son œuvre préférée. Aussi, j’ai demandé à deux collègues et connaisseurs de la musique baroque d’élire leur partita ainsi que leur interprète préféré(e). Choix difficile, car tous les interprètes excellaient dans leur approche du répertoire de Graupner. Philippe Gervais, professeur d’histoire de l’art au Conservatoire de musique de Montréal et directeur du Conseil d’administration de la Compagnie baroque Mont-Royal, ainsi que Jean-Pierre Harel, animateur de l’émission Couleurs et mélodies dédiée à la musique baroque sur les ondes de Radio Ville-Marie et fondateur des Concerts de la Chapelle, ont bien voulu se prêter au jeu.

Christoph Graupner, «Allemande» de la Partita no.1 en do majeur, GWV 101

Christoph Graupner, «Allemande» de la Partita no.1 en do majeur, GWV 101

Notre partita préférée

Philippe Gervais : Ma préférée est la Partita no.7 en mi mineur. On y trouve notamment une courante à l’italienne : Graupner, tout comme Bach, excelle dans ce genre. De manière générale, j’aurais souhaité entendre les reprises, sans lesquelles les allemandes et les courantes, en particulier, perdent de leur ampleur.

Benjamin Goron : Ma préférence va à la Partita no.8 en fa majeur. On y retrouve beaucoup de couleurs et de styles différents, mais également tout un éventail de techniques de jeu : accords, arpèges, traits, roulements ou batteries, ce qui donne à cette œuvre une charge dynamique très forte.

Jean-Pierre Harel : J’ai beaucoup aimé la Partita no.1 en do majeur présentée en début de programme. Le caractère distinctif des sept mouvements de cette partita me parait particulièrement marqué. En fait, cette partita qui m’est plus familière grâce à l’enregistrement que Geneviève Soly en a fait en 2002, me donne toujours l’impression d’explorer des horizons multiples tout en demeurant dans un même univers.

Notre interprète préféré(e)

Philippe Gervais : J’ai aimé la sensibilité de Johanne Couture, l’énergie de Mylène Bélanger et de Mélisande McNabney. Mais Geneviève Soly a visiblement une plus grande expérience de ce répertoire. J’ai aimé sa Huitième Partita, avec son menuet à la française et son menuet à l’allemande, en total contraste. Ces petites danses sont certes faciles à jouer, mais par leur charme mélodique et leur verve que Geneviève rend très bien, elles se comparent tout à fait aux menuets du petit livre d’Anna Magdalena Bach.

Benjamin Goron : J’ai été séduit par le jeu de Mylène Bélanger, qui faisait chanter le clavecin d’une manière admirable, à travers un jeu clair, limpide et plein d’assurance. La performance de Mélisande McNabney était sublime. Elle a une gestuelle tout à fait singulière pour accompagner les phrases, des respirations très musicales et une grande sensibilité.

Jean-Pierre Harel : Nous avions à faire à des interprètes de très haut niveau et il m’est difficile d’établir un palmarès. Je dois néanmoins reconnaître que j’ai été singulièrement interpellé par la gigue de la Partita no.7 interprétée par Luc Beauséjour qui giguait littéralement lui-même captif de ce mouvement particulièrement entraînant.

La grande fête du clavecin, et pourquoi pas le début d’une tradition ? Voir ainsi plusieurs clavecinistes partager une même scène était du plus bel effet. On souhaite revoir une telle initiative dans le futur. En attendant, il reste aux absents plusieurs avenues pour connaître la musique et l’histoire de Christoph Graupner. Le site web des Idées Heureuses est une belle introduction au compositeur : www.ideesheureuses.ca. La Société Christoph-Graupner est entièrement dédiée à la vie et l’œuvre du compositeur (site en allemand et anglais) : www.christoph-graupner-gesellschaft.de. Enfin, l’émission Couleurs et mélodies du jeudi 14 mars à 10h, présentée par Jean-Pierre Harel sur Radio Ville-Marie, sera entièrement dédiée à Christoph Graupner. Il ne reste plus qu’à vous mettre au diapason !

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A propos de l'auteur

Benjamin Goron est écrivain, musicologue et critique musical. Titulaire d’un baccalauréat en littérature et d’une maîtrise en musicologie de l’Université Paris-Sorbonne, il a collaboré à plusieurs périodiques et radios en tant que chercheur et critique musical (L’Éducation musicale, Camuz, Radio Ville-Marie, SortiesJazzNights, L'Opéra). Depuis août 2018, il est rédacteur adjoint de La Scena Musicale. Pianiste et trompettiste de formation, il allie musique et littérature dans une double mission de créateur et de passeur de mémoire.

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