Un Fantôme de l’Opéra vraiment opératique

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Baryténor. C’est le mot curieux et ambigu qu’emploie Hugo Laporte pour décrire le registre de voix du rôle-titre du Fantôme de l’Opéra, la production francophone dont la première aura lieu le 8 janvier au Théâtre Saint-Denis.« D’après ce que j’ai compris, les chanteurs de Broadway se trouvent souvent dans ce registre et se qualifient eux-mêmes de barytons ou de ténors selon le timbre de leur voix », dit-il depuis le Salon Vert du Meridian Hall à Toronto. La partie du « fantôme » (nommé Erik, bien qu’on ne le nomme jamais ainsi) exige deux la aigus. C’est la note élevée également requise dans le Figaro de Rossini. En plus de deux douzaines de sol dièse/la bémol. « Vous devez être à l’aise dans cette gamme », commente Laporte. Le natif de Québec n’est pas seulement à l’aise dans cette gamme, mais également dans un remarquable éventail de répertoire. À Toronto, il jouait le procureur dans l’hommage semi-lyrique à Pink Floyd de Julien Bilodeau, Another Brick in the Wall. En avril prochain, il chantera avec l’Orchestre symphonique de Québec sous la direction de Bernard Labadie dans la Messe en do de Beethoven. En avril dernier, il interprétait Dichterliebe de Schumann avec le pianiste Jean-François Mailloux − quelques mois avant déjouer Riff dans West Side Story pour l’Orchestre de la Francophonie sous la direction de Jean-Philippe Tremblay.

Mes objectifs sont de bien chanter et de bien jouer. De la bonne musique, avec de bons musiciens et de bons chanteurs. Voilà ce que je veux vraiment faire.

Laporte fera ses grands débuts à La Scala en mars dans le rôle du Cappadocien dans Salomé de Richard Strauss. Ce rôle de soutien se trouve être classé, avec quelques autres, dans le registre de basse. Mais soyons clairs : Hugo Laporte est un baryton. Et c’est en tant que baryton qu’il a remporté le prix La Scala au concours de chant Hans Gabor Belvedere en Autriche et le grand prix du Concours OSM Manuvie 2014 à Montréal. Parcourir le calendrier de Laporte, c’est être subjugué par les allées et venues intercontinentales d’un jeune chanteur de nos jours. Les escales comprennent Ratisbonne, Nuremberg, Bologne, Moscou et Minsk ainsi que Rimouski, Sherbrooke et Saint-Eustache. En octobre, Laporte s’est rendu au Théâtre d’opéra et dedans de Shenzhen en Chine pour des concerts organisés par les Jeunes ambassadeurs lyriques. Hugo Laporte, 28 ans, est-il deux ou trois chanteurs ? Peut-être quatre ou cinq ?« Je suis certain que j’utilise toujours la même technique, répond-il. Ce n’est qu’une question de coloration de la voix. »La musique pop, typiquement amplifiée, admet et nécessite parfois des effets étrangers à l’opéra, où le son est censé être entièrement soutenu. Un de ces deux la aigus est en falsetto. Mais étrangement, les effets utilisés dans Le Fantôme de l’Opéra peuvent être comparés aux sonorités de mezza voce qui émergent parfois dans les mélodies françaises. « Il n’y a pas d’autres moyens de le faire, dit Laporte, que je chante des mélodies ou le Fantôme. »

Hugo Laporte, portant le masque. Photo: OSA images

Le lien avec les mélodies est doublement approprié dans le cas de la représentation montréalaise en français. En dépit de son origine comme roman-feuilleton français, la comédie musicale d’Andrew Lloyd Webber avec livret de Charles Hart de 1986 (pour ne rien dire de ses prédécesseurs cinématographiques) a conquis le monde théâtral anglophone. Un certain zeste lyrique n’est pas de trop, compte tenu du cadre de l’histoire qui est celui du Palais Garnier et des caves de l’Opéra de Paris. Erik, qui se cache sous le bâtiment (et dont les sombres apparitions entraînent des rumeurs de fantôme) peut difficilement ignorer la projection des voix permise par l’Opéra. Après tout, il a coaché anonymement Christine en tant qu’« ange de la musique ». Dans le roman, il demande que sa protégée obtienne le rôle de Marguerite dans le Faust de Gounod. Sinon… Ce Fantôme produit par Spectra Musique est présenté officiellement comme une « version concert en français », mais il y aura autant à voir qu’à entendre. Le metteur en scène Étienne Cousineau est responsable d’une distribution de vingt musiciens. L’orchestre en compte quarante. Attendez-vous à des costumes, de la fumée, une caverne dans laquelle le fantôme se retire et, oui, un lustre. Quant à Laporte, il portera le traditionnel demi-masque moulé qui cache la célèbre défiguration du personnage. « Les mouvements faciaux s’en trouvent un peu limités puisqu’il est collé au visage », mais ce n’est pas un problème pour un chanteur habitué à l’opéra. Comme à l’accoutumée dans le théâtre musical, les représentations se déroulent sans répit chaque jour. Les dix représentations à Montréal (du 8 au 12 janvier et du23 au 26 janvier) seront suivies par cinq représentations au Grand Théâtre à Québec (du 17 au 19 janvier). Si ces dates semblent insuffisantes pour quinze représentations, c’est que deux représentations sont données certains jours. « Je suis reconnaissant d’avoir un micro », dit Laporte en riant. En réalité, le rôle n’a rien d’effrayant pour un chanteur expérimenté. « C’est le rôle principal et un rôle incroyable, mais ce n’est pas un rôle énorme, déclare Laporte. Il y a beaucoup de scènes à chanter, mais ce n’est pas comme s’il était nécessaire de chanter du début à la fin.» Quand les représentations seront terminées, Laporte redeviendra un baryton. Un baryton lyrique, pour être plus précis. « Mozart est un peu grave, dit-il à propos du registre lyrique qui lui convient. J’aime Rossini, Donizetti, Verdi. »Et les mélodies. Même si cette forme musicale n’est pas aussi lucrative que l’opéra, elle a ses avantages artistiques. Le chanteur a plus de liberté d’expression. « On vient à l’opéra pour voir le personnage, dit Laporte. Quand on assiste à un récital, c’est pour entendre le chanteur. »« Dans un récital, je peux ajouter de la couleur et m’exprimer à ma manière. C’est ce que j’aime. On n’a pas l’embarras du costume. Et aucun réalisateur pour me dire quoi faire ou quand le faire. »Les deux types de chant représentent des « mondes différents », mais ils peuvent être complémentaires. L’expérience du jeu sur scène aide le chanteur à animer une chanson. Laporte donne en exemple le« Waldesgespräch » tiré du cycle Liederkreis de Schumann, dans lequel le chasseur malchanceux et Lorelei doivent tous deux être représentés de manière saisissante dans un air durant un peu moins de deux minutes. « Il faut le faire et mettre ses masques. »

Photo: Catherine Charron-Drolet

Laporte n’a pas l’intention de poursuivre un type de carrière aux dépens d’un autre. « Je ne pense pas avoir de but précis », dit-il. Entend-il le chant de sirène de l’Europe ? De nombreux Canadiens ont fait leur carrière à l’étranger, y compris un baryton qu’il considère comme son mentor, Jean-François Lapointe. « J’aime les cultures européennes, dit-il. Et l’acoustique est bien meilleure [dans les petites salles européennes]. J’aurais tendance à préférer aller en Europe. Avec l’âge, la voix mûrit. C’est bien de passer des petites salles aux salles plus grandes. »La Scala appelle. Laporte rêve-t-il d’ajouter l’Opéra d’État de Vienne ou le Met à son curriculum ? « Personnellement, je ne ressens pas le besoin de chanter dans des maisons célèbres, dit-il. Mes objectifs sont de bien chanter et de bien jouer. De la bonne musique, avec de bons musiciens et de bons chanteurs. Voilà ce que je veux vraiment faire. »

Traduction par Andréanne Venne

Anne-Marine Suire: sur l’utilisation de microphones

Par Adrian Rodriguez

Photo: Caroline Elizabeth Wyatt

L’été dernier, plusieurs Montréalais ont découvert le son cristallin de la soprano colorature française Anne-Marine Suire dans une production de West Side Story par l’Orchestre de la Francophonie. Cette diplômée en chant classique de l’Université de Montréal est de retour en ville pour interpréter le rôle de Christine dans Le Fantôme de l’Opéra.

Elle révèle avoir une histoire quelque peu troublée avec la comédie musicale. En 2016, elle devait chanter la première de la version française au Théâtre Mogador à Paris, mais le spectacle fut annulé en raison d’un incendie qui se déclencha juste avant les répétitions, obligeant le théâtre à fermer pendant six mois pour faire des travaux.

Pourquoi les chanteurs classiques se produisent-ils plus fréquemment dans les comédies musicales de nos jours ? « Je pense qu’il y a une très mince ligne de démarcation entre chanter dans des comédies musicales lyriques comme Le Fantôme de l’Opéra et West Side Story et chanter de l’opéra », répond Suire.

Ce qui différencie les comédies musicales, c’est l’utilisation de microphones. Sinon, l’approche technique du chant dans les comédies musicales est très similaire à celle du lied ou des mélodies françaises.

De même, le microphone peut être utilisé comme un outil artistique. « Il y a des passages dans le Fantôme, dit-elle, où j’utilise une petite voix douce qui ne porterait pas dans une grande salle, mais qui fonctionne parfaitement dans ce cas. Cela me permet de montrer de la vulnérabilité et une large palette de couleurs. »

« Qu’on ne s’y méprenne pas : nous sommes amplifiés, mais cela ne va pas transformer dramatiquement nos voix en ce qu’elles ne sont pas. Ce qui entre dans le micro, c’est ce que le public reçoit, y compris les erreurs. »

Une technique solide est nécessaire, ajoute Suire, également pour faire face à l’horaire de travail chargé qu’elle et ses collègues subiront. Ils donneront quinze spectacles en dix-sept jours, entre Québec et Montréal.

« Je vais passer la plupart de mes après-midi en silence, sirotant ma tasse de thé seule dans ma chambre d’hôtel. »

Traduction par Mélissa Brien

Le Fantôme de l’Opéra sera présenté au Théâtre Saint-Denis à Montréal du 8 au 12 et du 23 au 26 janvier et au Grand Théâtre de Québec du 17 au 19 janvier. www.spectramusique.com

 

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A propos de l'auteur

Arthur Kaptainis has been a classical music critic since 1986. His articles have appeared in Classical Voice North America and La Scena Musicale as well as Musical Toronto. Arthur holds an MA in musicology from the University of Toronto. From 2019-2021, Arthur was co-editor of La Scena Musicale.

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