Tapestry Opera : rétrospective et perspectives d’avenir

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Rocking Horse Winner. Photo: Tapestry Opera

Le Tapestry Opera célèbre ses 40 ans avec notamment une initiative plutôt inhabituelle pour cette compagnie novatrice de Toronto : une reprise.

« On m’a reproché de l’avoir reprise aussi tôt, déclare le directeur artistique du Tapestry, Michael Mori, au sujet de Rocking Horse Winner, un opéra d’Anna Chatterton (livret) et Gareth Williams (musique) qui revient pour six représentations, du 23 avril au 2 mai. Mais c’est un cas particulier. C’est une opportunité stratégique. »

Basé sur la nouvelle éponyme de D.H. Lawrence, Rocking Horse Winner a récolté de bonnes critiques en 2016, un engouement sur les médias sociaux et un impressionnant soutien de l’industrie sous la forme de neuf nominations aux prix Dora et cinq victoires, dont des prix pour Meilleure production et Meilleure direction, cette distinction ayant été remise à Mori.

« En conséquence, le public en avait plus entendu parler qu’il ne l’avait vu, explique le directeur artistique. Il ne s’agit pas tant de le ramener comme un ‘’plus grand succès’’ que de savoir que beaucoup de spectateurs qui désiraient y assister n’en avaient pas eu la chance. »

Évidemment, la saison 2019-2020 du Tapestry compte aussi des premières, même si la production d’ouverture, TAP:EX Augmented Opera (20-23 novembre), n’est pas tant une pièce au sens strict qu’un mélange entre la haute technologie qui « plonge dans un monde qui nous oblige à augmenter et à questionner la réalité ». À en juger par ses précédentes éditions, le punk rock, la musique classique persane, le théâtre physique, le platinisme et le hip-hop n’en sont pas nécessairement exclus.

Suivra une production (19-23 février) à l’opposé d’une production augmentée : Jacqueline, une exploration de l’art et de la vie de Jacqueline du Pré par la compositrice Luna Pearl Woolf et la librettiste Royce Vavrek pour deux interprètes, la soprano Marnie Breckenridge et le violoncelliste Matt Haimovitz. Fait plus qu’intéressant, Haimovitz, professeur à l’Université McGill, était ami avec la violoncelliste britannique atteinte de sclérose en plaques et son mari Daniel Barenboim.

Songbook, la rétrospective annuelle des moments forts du Tapestry, suivra les 20 et 21 mars, avec le pianiste Christopher Foley et la mezzo-soprano Krisztina Szabó comme mentors en chef. Ces spectacles mettent en vedette les participants au programme du nouveau cours de maître Opéra 101 pour jeunes artistes du Tapestry. « Nous ne sommes peut-être pas toujours en mesure de produire des opéras, mais certaines arias et scènes puissantes et émouvantes de grands artistes canadiens méritent d’être célébrées », dit Mori.

Le 16 juillet, bien après Rocking Horse Winner, la compagnie présentera une autre reprise : un concert au Koerner Hall d’Iron Road, le célèbre opéra de Chan Ka Nin (musique) et Mark Brownell (livret) qui réunit quarante chanteurs et danseurs et un orchestre de quarante musiciens, dont certains instrumentistes chinois traditionnels.

Rocking Horse Winner. Photo: Tapestry Opera

La programmation se caractérise par une grande diversité de styles et de techniques et, comme par le passé, les spectacles se déroulent dans divers lieux, y compris dans certains espaces de type off-off-Broadway. « Le changement de lieu est aussi important dans l’expérience de l’opéra que la recherche d’une salle appropriée à l’œuvre. »

Il mentionne M’dea Undone (2015), une actualisation d’Euripide de John Harris (musique) et Marjorie Chan (livret), comme étant un accord particulièrement réussi entre l’œuvre et le lieu, soit l’ancienne briqueterie Evergreen Bricks Works, un espace industriel semi-restauré en espace public, discrètement orné de graffitis et à portée de voix de la célèbre promenade de la vallée de la rivière Don. « Les sons de la ville qui entraient par le mur ouvert étaient géniaux, affirme Mori. D’autres spectacles fonctionnent mieux dans une ambiance de type boîte noire. Nous aimons la liberté de laisser l’expérience changer en fonction du spectacle. »

Le public du Tapestry est, lui aussi, changeant. Le directeur est reconnaissant de sa base régulière d’abonnés, sans laquelle une démarche artistique expérimentale serait trop risquée à soutenir. Ils jouent aussi un rôle important dans le bouche-à-oreille : « Les abonnés qui partagent leur appréciation sont très utiles. Mais on ne peut pas compter que là-dessus pour grandir. »

Quant aux acheteurs de billets à l’unité, ils viennent en fonction de l’esthétique du spectacle ou en raison des divers partenaires artistiques avec lesquels la compagnie travaille. « Notre public est composé de gens de théâtre, de mordus d’opéra et de ces 30 % magiques de spectateurs intéressés par le spectacle, intrigués par le marketing ou influencés par les bons commentaires. » Parfois le public est jeune, parfois non. « Nous avons un public incroyablement diversifié, à l’image de Toronto. »

Malgré cette diversité, certains protocoles contemporains unissent les productions du Tapestry, y compris l’absence de présuppositions culturelles présentes dans de nombreux opéras classiques des siècles passés. Cette priorité semble non seulement valable d’un point de vue général, mais adaptée au caractère multiculturel de Toronto.

« Politique est un grand mot, dit-il. Mais je pense qu’il est de notre responsabilité d’être en phase avec les conversations qui ont lieu dans notre ville et dans notre monde. Nous avons un slogan cette année, Tapestry is TO. Ce qui signifie que nous sommes très fiers du genre de conversations et de leadership dont Toronto fait preuve dans le monde en ce moment. »

« Nous ne suivons pas de stratégie politique en soi, mais nous n’avons aucun désir de continuer de répéter l’ancien modèle de misogynie ou le concept de l’altérité qui se retrouve dans certaines œuvres culturellement d’une autre époque ou abusives. »

« Nous nous intéressons à ce que signifie être un citoyen du monde d’un point de vue torontois et à la façon dont nous pouvons le refléter dans l’art. Ainsi, une émission spéciale sur Vienne qui inclut la musique de Mozart, ou une émission spéciale sur Rome, Milan ou Florence qui présente la musique de l’époque, montre que la musique de l’époque est liée d’une certaine manière. Il s’agit plus d’une philosophie créative que d’une philosophie politique, mais nous avons l’intention de faire de même pour Toronto. »

Mori n’est pas indifférent au passé. Nous nous sommes entretenus entre deux répétitions de La Clemenza di Tito de Mozart à l’Opéra McGill (8, 9 et 10 novembre), dont il est le metteur en scène. « Mozart est exceptionnel parce qu’il semble être politiquement motivé par un point de vue majoritaire, contrairement aux opéras de Da Ponte, qui adoptent un point de vue révolutionnaire, explique-t-il. En quelque sorte, c’est de la propagande financée par Prague pour couronner l’empereur romain comme roi de Bohême. »

« Ce qui m’intéressait, à l’approche des élections [fédérales], est de considérer la pièce comme de la propagande et d’ouvrir une conversation plus large sur la façon dont nous percevons le récit que nous raconte tout gouvernement ou parti politique prétendant au pouvoir. La plupart du temps, on nous impose une façon de penser, ce qui était l’un des buts premiers de cet opéra. »

Revenons aux projets du Tapestry. Autre manifestation du nouvel intérêt de la compagnie pour le passé, un projet, appuyé par le Fonds de stratégies numériques du Conseil des Arts du Canada, visant à créer des archives numériques en ligne de l’opéra canadien, en commençant par le catalogue du Tapestry puis en élargissant la portée aux autres compagnies. « Tout l’opéra canadien, de toutes les époques », précise Mori. Le Centre de musique canadienne participe également à cette grande initiative.

Cela ne signifie pas pour autant que la compagnie abandonne ses méthodes progressistes. Parmi les productions en préparation, mentionnons R.U.R. – A Torrent of Light, un opéra intégral de la compositrice Nicole Lizée et du librettiste Nicolas Billon en collaboration avec l’Université de l’École d’art et de design de l’Ontario, une commande conjointe avec l’Opéra de Philadelphie, un partenariat avec le festival Luminato et les créateurs d’Iron Road et un opéra hors murs des compositeurs Brian Current et Liza Balkan.

Il semble qu’en dépit d’une reprise occasionnelle, Tapestry restera une organisation tournée vers l’avenir qui mise sur la présentation de nouveau matériel pour asseoir sa réputation. « Nous réexaminerons la question lorsque dix autres compagnies canadiennes commanderont autant d’œuvres que nous et les présenteront aussi bien ! »

www.tapestryopera.com

Traduction par Mélissa Brien

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A propos de l'auteur

Arthur Kaptainis has been a classical music critic since 1986. His articles have appeared in Classical Voice North America and La Scena Musicale as well as Musical Toronto. Arthur holds an MA in musicology from the University of Toronto. From 2019-2021, Arthur was co-editor of La Scena Musicale.

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