Samy Moussa, citoyen du monde

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Samy Moussa appelle depuis la Villa Massimo, anciennement le vaste domaine d’une famille aristocratique de Rome, où il est hébergé en tant que membre de l’Accademia Tedesca ou de la Deutsche Akademie, selon la langue de votre choix.
« Un endroit où vous pouvez travailler, rencontrer des gens et être inspiré, dit-il. J’essaie d’être ici autant que possible. »

Rien d’étonnant. Mais de multiples engagements éloignent le compositeur natif de Montréal de cet avant-poste de la culture allemande dans la ville éternelle, notamment à Berlin où il a vécu pendant sept ans.

« Je sais que vous avez écrit à quelques reprises que je vivais à Munich, même si je n’y habitais plus, dit-il en riant. Mais qui s’en soucie ? »

En effet. Lorsque les musiciens atteignent un certain niveau de notoriété internationale, ils deviennent des citoyens du monde.

Néanmoins, les liens entre Moussa et Munich restent solides. C’est dans cette ville du sud de l’Allemagne qu’il a rencontré un certain Kent Nagano, directeur musical de l’Opéra d’État de Bavière.

Samy Moussa, Photo : Harald Hoffmann / Durand-Salabert-Eschig

Photo : Harald Hoffmann / Durand-Salabert-Eschig

Leur association a débouché sur six commandes de l’OSM, dont A Globe Itself Infolding, l’œuvre qui a volé la vedette lors de l’inauguration en 2014 du grand orgue Pierre-Béique à la Maison symphonique. En 2017, ce fut la Symphonie n° 1 « Concordia », une présentation multimédia de quarante minutes dans le cadre de la célébration du 375e anniversaire de Montréal par l’OSM (présentée à des fins publicitaires comme étant la Symphonie montréalaise). Le Winnipeg Symphony Orchestra a rejoué la partition avec succès, mais sans les effets visuels l’année dernière.

Les Bavarois aussi ont aimé Moussa. Ce n’est pas tant l’administration de l’Opéra de Bavière que les membres de la section des cuivres qui ont encouragé le jeune compositeur à écrire Stasis, une pièce pour huit musiciens qui a été présentée en première à l’église Saint-Michel dans le cadre du prestigieux service annuel au Festival de l’opéra de Munich. L’archidiocèse était l’une des entités commanditaires.

Les Montréalais entendront Stasis, dirigée par Moussa, le 21 février à l’église Saint-Jean-Baptiste de Montréal, à l’occasion du coup d’envoi du festival Montréal/Nouvelles Musiques. Walter Boudreau dirigera l’autre grande œuvre au programme, HoMa de Michel Gonneville.

Stasis est influencée par les sons des cérémonies tibétaines ou du moins par les illustrations qui servent de manuels d’instruction. Les joueurs de cor sont installés dans divers coins d’un espace de résonance (généralement une église) et jouent également des gongs.

Moussa a choisi le titre après avoir écrit la pièce et n’est pas entièrement satisfait de ses connotations. « La stase implique également une forme d’inactivité, mais cela ne veut pas dire qu’elle est complètement statique, dit-il. Il y a un équilibre. C’est très difficile à décrire. Les instruments sont là, ils jouent des notes, mais je ne sais pas si c’est de la musique. Je pense que ça sert peut-être à d’autres fins. »

Suivant sa description, Stasis peut sembler strictement avant-gardiste, mais Moussa est loin d’être un doctrinaire moderniste. « Aussi tonal que toute œuvre de Honegger, Ibert ou Mercure », voilà comment j’ai décrit l’an dernier le Concerto pour quatuor à cordes et orchestre de Moussa, une commande du Quatuor Molinari et de l’Orchestre Métropolitain. Certains auditeurs entendent une touche de Mahler dans Nocturne, une œuvre pour orchestre qui compte parmi ses plus jouées.

Tout ce que Moussa écrit n’est pas à grande échelle. L’Ensemble Made in Canada, un quatuor de pianos, jouera son Orpheus in Nunavut dans le cadre de Montréal/Nouvelles Musiques le 26 février. Il a composé deux opéras de chambre, mais il est surtout reconnu pour son travail orchestral.

Aujourd’hui âgé de 34 ans, Moussa a eu une enfance heureuse à Montréal, sur laquelle il n’a pas envie d’élaborer, estimant que cela n’a aucune incidence sur sa musique. « Il n’y a pas grand-chose à dire », commente-t-il.

Adolescent, il était pratiquement autodidacte et utilisait La Scena Musicale pour choisir les concerts à Montréal qui méritaient d’être écoutés. Il est arrivé à l’Université de Montréal sans aucune formation du Conservatoire, bien qu’il jouât de la clarinette. Son professeur principal de composition fut José Evangelista. Après avoir été refusé par Harvard (« Dieu merci »), Moussa a étudié à la Munich Hochschule avec Pascal Dusapin et Matthias Pintscher, tous deux non tonalistes. En Finlande, il a travaillé avec Magnus Lindberg, à l’époque où ce compositeur était aussi un dur à cuire.

« Il ne faut pas oublier que la modernité est la seule possibilité en Europe, déclare Moussa à propos du milieu de l’enseignement. Il n’y a pas d’alternative. »

Malgré tout, chacun de ses professeurs avait un enseignement spécifique à offrir. Il a profité du savoir de chacun. Et la récompense « ne fut pas nécessairement esthétique ».

Samy Moussa, Photo : Harald Hoffmann / Durand-Salabert-Eschig

Photo : Harald Hoffmann / Durand-Salabert-Eschig

Moussa a étudié la direction en plus de la composition. Paolo Bellomia lui a offert une formation technique à l’Université de Montréal. « Il possède une vision très claire de ce qu’un chef d’orchestre doit être capable de faire pour réussir », dit Moussa. La méthode ne ressemblait pas tant à l’interprétation traditionnelle qu’à une approche de résolution de problème.

« Après avoir appris quelques symphonies de Beethoven, le Prélude à l’après-midi d’un faune de Debussy, un Boulez, deux ou trois Stravinski – une fois que vous pouvez les faire, techniquement, vous pouvez faire tout le répertoire, car vous possédez les outils pour trouver vos propres solutions », déclare Moussa.

Le célèbre Pierre Boulez a été l’un de ses professeurs de direction en Europe (bien que le Français ait été impressionné aussi par ses capacités de compositeur, puisqu’il lui a commandé une pièce pour orchestre, Crimson, pour le Festival de Lucerne en 2015).

Son travail avec le hr-Sinfonieorchester Frankfurt et l’Ensemble Modern a encore renforcé ses compétences, mais Moussa était soucieux de ne pas être catalogué comme chef d’orchestre de musique contemporaine.

Comme de juste, ses derniers mandats de direction incluaient des piliers du répertoire comme la Messe Nelson de Haydn (jouée dans le cadre du concert religieux à Munich), la Septième Symphonie de Dvořák (avec l’Orchestre Victor-Hugo Franche-Comté de Besançon) et rien de moins que la Symphonie nº 5 de Beethoven avec l’Orchestre symphonique de Québec.

« Travailler avec eux a été vraiment merveilleux, déclare Moussa à propos des musiciens de l’OSQ. Ils étaient tellement flexibles. Ils étaient ouverts et drôles, ils ont adopté mes idées. Ce fut un concert amusant. »

Étrangement, Moussa n’a aucune expérience de direction avec l’OSM. Par contre, il vient de terminer un travail de direction pour une grande étiquette (détails à venir). Et son emploi du temps comme compositeur ne montre aucun signe d’essoufflement. Une importante commande pour avril 2020 est une œuvre de vingt minutes pour le Philharmonique de Vienne, qui sera jumelée à la Quatrième Symphonie de Bruckner et jouée à Vienne et à Barcelone (à la Sagrada Familia).

Cette commande prestigieuse est proprement stupéfiante, mais Moussa tente de garder son sang-froid. « Voyons d’abord si la pièce est bonne, dit-il. Elle n’est pas encore écrite. Et je tiens à réaliser chaque commande que j’accepte. Aucune n’est plus importante que l’autre. Chaque projet est important, car chacun est choisi. Sauf que je réalise ce que cela représente. Je sais que le morceau sera bien joué, et le projet est magnifique. Je suis un grand admirateur de Bruckner. J’aime sa musique, c’est probablement mon compositeur préféré. »

Résident permanent en Allemagne, Moussa maîtrise l’allemand, le français et l’anglais. Bien qu’il possède seulement un passeport canadien, il semble être installé outre-Atlantique pour de bon.

« J’aime l’Europe, dit Moussa. J’aime beaucoup l’Amérique du Nord aussi, le Canada est évidemment ma maison. Je suis très souvent au Canada, aux États-Unis également. Mais pour y vivre, je ne sais pas. Ma vie est très équilibrée telle qu’elle est. Je pense que revenir ne serait pas la meilleure option pour moi. »

Après un moment de réflexion, il ajoute : « Bien sûr, il y a toujours la possibilité d’aller à un endroit si une bonne raison le justifie. »

Traduction par Mélissa Brien

Moussa dirigera Stasis le 21 février à l’église Saint-Jean-Baptiste de Montréal pour le coup d’envoi du festival Montréal/Nouvelles Musiques. www.smcq.qc.ca/mnm

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A propos de l'auteur

Arthur Kaptainis has been a classical music critic since 1986. His articles have appeared in Classical Voice North America and La Scena Musicale as well as Musical Toronto. Arthur holds an MA in musicology from the University of Toronto. From 2019-2021, Arthur was co-editor of La Scena Musicale.

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