Janina Fialkowska – Regarder vers l’avenir à 70 ans

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« C’est une période où on doit essayer de regarder vers l’avant », dit Janina Fialkowska depuis sa maison en banlieue d’Augsbourg, une ville allemande à quelque 80 kilomètres à l’ouest de Munich où la pianiste canadienne vit depuis 2013. « Je fais de mon mieux pour ne pas ressasser le passé parce que je pense que de grandes choses sont à venir. »

Parmi ces perspectives futures figurent un retour aux concerts en juillet, si les mesures sanitaires le permettent, et la reprise en septembre de son Académie internationale de piano, un mini-festival novateur, également en Bavière. L’Académie présente de jeunes pianistes qu’elle admire et qui pourraient ne pas avoir eu la chance de remporter l’un des nombreux concours où elle a siégé comme jurée. (Xiaoyu Liu, un Montréalais qui a atteint les finales mais non le podium au concours international Arthur Rubinstein en 2017, sera l’un des participants en 2021.)

Quant à la saison 2021-22 en préparation, elle comprendra vraisemblablement un retour à la salle Bourgie à Montréal, sa ville natale, et un autre enregistrement sur l’étiquette ATMA Classique consacré à Chopin, le compositeur auquel elle demeure le plus étroitement associée. « Cela signifie que j’aurai enregistré tous les scherzos et toutes les ballades », souligne-t-elle avec joie.

Néanmoins, l’envie de regarder en arrière doit être forte, puisque Fialkowska vient de fêter ses 70 ans le 7 mai. Et il y a toute une vie musicale à contempler, commencée il y a 66 ans, d’abord par les leçons avec sa mère, puis avec Yvonne Hubert, d’origine belge et qui a formé tant de pianistes de haut niveau au Québec, et plus tard à Paris avec Yvonne Lefébure (laquelle, comme Hubert, avait étudié avec Alfred Cortot).

Ayant absorbé les principes et le raffinement de l’école franco-belgo-québécoise, Fialkowska a poursuivi sa formation à l’école Juilliard de New York sous la native de Kiev Sascha Gorodnitzki. Ce mélange d’influences (sans compter son tempérament inné) a eu pour résultat le style équilibré et naturel qui a tant impressionné Arthur Rubinstein en 1974 lors de la première édition du concours qui porte le nom du pianiste. Encore aujourd’hui, des critiques la considèrent comme la protégée de Rubinstein.

Que ce soit en raison ou en dépit du soutien de l’un des musiciens les plus célèbres de la planète, Fialkowska a connu une carrière remarquable, tant sur scène que sur disque, au Canada comme à l’étranger. Il y eut cependant quelques initiatives hors normes, notamment la création de Piano Six, un programme de tournées qui visait à contrer le déclin des récitals dans les petites villes au Canada et qui explique en bonne partie pourquoi Fialkowska a été décorée de l’Ordre du Canada en 2001 et a reçu le prix du Gouverneur général de la réalisation artistique en musique classique en 2012.

Rappelons également, dans un tout ordre d’idées, le retour de Fialkowska à la scène en 2004 après l’exérèse d’une tumeur cancéreuse dans son bras gauche et la greffe d’un muscle dorsal peu utilisé qui lui a redonné la capacité de lever et abaisser le bras. Durant sa réadaptation, elle a même joué le répertoire pour la main gauche, dont le célèbre Concerto pour la main gauche de Ravel avec, tenez-vous bien, sa main droite. 

« Oui, l’affaire du bras… », dit-elle avec nonchalance à propos de l’épisode.

Cette détermination à ne pas gaspiller une crise a marqué son approche de la pandémie. En tournée en mars 2020, coincée à Saskatoon, elle a dû rentrer en Bavière plutôt morose. Le jardinage a été l’une de ses rares sources de réconfort.

« Nous nous en remettions, Harry et moi, dit-elle, parlant de son mari et gérant Harry Oesterle. Nous pensions tous deux que les activités reprendraient après quelques mois. Peu à peu, nous avons vu que cela durerait beaucoup plus longtemps. Assez curieusement, je ne pouvais me remettre au piano. Cela a duré un bon mois, peut-être six semaines. Plusieurs de mes amis, par exemple Emanuel Ax, ont eu le même sentiment. Puis nous avons compris que cela allait vraiment s’éterniser. Je me souviens que c’était en mai. Je me suis dit, je vais apprendre des morceaux que j’ai toujours voulu jouer sans jamais en avoir eu la chance, entre autres la sonate en si bémol majeur de Schubert. Cela en valait vraiment la peine. Chaque jour, je me mettais au piano avec bonheur. »

S’ajoutent également à son répertoire des œuvres de Weber, Sibelius et, surtout, Brahms. « Pendant des années, j’avais ignoré tous ces incroyables morceaux plus courts, dit-elle en parlant de Brahms. Je me délecte dans cette musique et ils feront partie de mes programmes l’année prochaine. »

Le répertoire de Fialkowska a toujours été un amalgame de musique connue et de pièces plus décalées. Après avoir étudié Chopin, elle a suivi la voie tracée par son nom polonais pour se tourner vers la musique de Lutosławski, Moszkowski, Paderewski et Szymanowski.

Son plus récent enregistrement ATMA, Les sons et parfums…, révèle une affinité avec la musique française postromantique, comme l’illustre le Clair de lune de Debussy. Fialkowska rappelle qu’elle a joué beaucoup de musique canadienne non romantique. « J’ai toujours fait ma part à ce chapitre, dit-elle en riant, et non sans plaisir. »

Inévitablement, la conversation revient à ses 70 ans et à ce que cela peut ou non signifier. Nous avons convenu que ce n’était en rien un terminus, même si Fialkowska se rappelle avoir trouvé que ses parents étaient très âgés lorsqu’ils ont franchi ce cap. Les critiques allemands ont commencé à la qualifier de « grande dame ».

« On fait bien du bruit au sujet de mon soixante-dixième anniversaire, accorde-t-elle, mais je serai bien heureuse quand ce sera terminé. Alors je pourrai mettre tout cela derrière moi et continuer de prétendre que j’ai 46 ans. »

http://www.fialkowska.com

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A propos de l'auteur

Arthur Kaptainis has been a classical music critic since 1986. His articles have appeared in Classical Voice North America and La Scena Musicale as well as Musical Toronto. Arthur holds an MA in musicology from the University of Toronto. From 2019-2021, Arthur was co-editor of La Scena Musicale.

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