Intelligence artificielle et musique : un état des lieux

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En 2019, le compositeur de films Lucas Cantor terminait la Symphonie n° 8 inachevée de Franz Schubert, datant de 1822, grâce à une intelligence artificielle

L’année dernière, Beethoven X – The AI Project, piloté par un groupe d’historiens de la musique, de musicologues, de compositeurs et d’informaticiens, prenait la relève en achevant la Symphonie n° 10 de Beethoven, à partir d’ébauches fragmentaires laissées par le compositeur et assemblées partiellement par Barry Cooper en 1988. L’Orchestre Beethoven de Bonn donnait la première représentation du projet le 9 octobre dernier en Allemagne.

Les développements en intelligence artificielle ont fait exploser ces dernières années les initiatives de composition musicale par intelligence artificielle. La jeune entreprise Aiva Technologies ouvrait en 2019 la première plateforme de composition musicale par IA, version pour bêta-testeurs vouée à une rapide évolution.

L’IA appliquée à la musique

En 1956, les Américains Lejaren Hiller et Leonard Issacson lançaient Illiac Suite, considérée comme la première composition musicale réalisée par une machine. Inspirée du répertoire de Bach, elle a révolutionné la façon de concevoir la création musicale.

On situe les balbutiements du numérique et de ce qu’on appellera la 4e révolution industrielle dans la décennie 1970-1980. Le numérique, qui prend le pas sur l’automatisation électronique, laisse place à une fusion entre les technologies, floutant peu à peu les limites entre le physique, le biologique et le virtuel.

On peut maintenant voir des artistes se faire cloner des avatars numériques qui génèrent des pièces entières respectant le son et les codes de l’artiste en analysant les différentes particularités de ses œuvres.

Au rayon du mimétisme, l’entreprise d’innovation en intelligence artificielle OpenAI (fondée en 2015 par Elon Musk et d’autres investisseurs) introduisait en 2020 Jukebox, un modèle générant de la musique avec voix en mode audio brut, imitant les genre et style musicaux de différents artistes : « Nous montrons que le modèle combiné à l’échelle peut générer avec cohérence diverses chansons haute-fidélité pendant plusieurs minutes. Nous pouvons conditionner [l’IA] selon l’artiste et le genre pour orienter le style musical et vocal et selon des paroles aléatoires pour que la partie chantée soit mieux contrôlable », peut-on lire dans leur présentation. Un lien nous mène à des échantillons où on peut constater les sons familiers, mais décalés qui en résultent. Un univers musical parallèle ouvre ses portes.

Au-delà du mimétisme

Certains artistes cherchent plutôt à employer cette technologie pour réinventer la manière de produire de la nouvelle musique.

Photo : inculture.microsoft.com

Björk présentait Kórsafn pour l’hôtel de Manhattan Sister City en 2020. Le matériel de base de ce projet était constitué des archives chorales de Björk et de la musique générée par une IA développée par Microsoft. La composition sans cesse renouvelée évoluait en fonction des éléments environnants et de la météo captés par une caméra depuis le toit, qui transmettait le résultat dans les passages de l’hôtel.

Dans le même esprit, Jean-Michel Jarre, pionnier de la musique électro, a récemment lancé Eōn, une application qui génère de la musique à l’infini.

En juin dernier, le compositeur-interprète franco-grec Alexandros Markeas poursuivait l’expérimentation dans le cadre du festival ManiFest à Paris en exploitant les possibilités qu’offre la machine dans sa capacité de faire des choix en répondant aux sons du musicien puis en réagissant aux attentes formulées par le public – façon de tester les possibilités musicales qui adviennent dans le dialogue avec l’IA.

Le Vivier tentait une expérience similaire début octobre à Montréal avec Résonance croisée, dont Arnaud G. Veydarier a parlé dans son article paru dans le numéro de septembre.

Si les artistes et chercheurs utilisent l’intelligence artificielle pour créer, innover et explorer, l’industrie, elle, y verrait plutôt une occasion d’augmenter l’économie de temps et d’argent. Une maison de disques, Snafu Records, utilise déjà des algorithmes pour départager parmi les aspirantes stars celles qui ont le plus gros potentiel en termes de popularité et de vente.

Implications pour l’art et les droits d’auteurs

Dernièrement Damien Riehl (avocat, musicien et codeur) et Noah Rubin (programmeur et musicien) ont créé un algorithme permettant de recenser toutes les mélodies possibles, avec le projet All the Music.

Les entrepreneurs illustrent le principe par une grille où figurent toutes les mélodies, celles déjà prises en rouge, celles n’ayant pas encore trouvé preneur en vert.

Photo: allthemusic.info

Leur prémisse est que les combinaisons possibles des huit notes de la gamme de do majeur sont limitées (et par extension toutes les notes du clavier et leurs modifications). Leur système montre que l’inventaire des mélodies n’est pas infini et qu’il y en a de moins en moins chaque jour. Les possibilités pour un artiste d’être accusé de plagiat s’accroissent donc avec le temps.

Exit le cliché de l’artiste qui crée à partir d’une page blanche. C’est plutôt « un champ de mines mélodiques » où composer s’accompagne toujours du risque de tomber sur une case déjà prise sans le savoir.

En inscrivant toutes les mélodies possibles (plus de 200 milliards) dans le domaine public, le projet vise à rendre impossible le succès d’éventuelles poursuites pour violation de droits d’auteur.

Quid du statut de créateur ?

L’art avance-t-il sur la voie d’une démocratisation de la création ? Le statut prestigieux de l’artiste est-il appelé à être déconstruit, repensé ?

L’importance accordée à l’essence humaine de l’artiste peut provoquer un sentiment d’imposture chez les auditeurs. Reste à voir comment les perceptions s’adapteront à l’usage de plus en plus courant de ces ersatz numériques.

D’ici là, la 3e vague de l’IA est en préparation. Nous vous informerons sans doute dans un prochain numéro des façons dont les puces électroniques implantées dans le cerveau peuvent améliorer l’apprentissage de la musique et amplifier les facultés des musiciens.

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