Eda Holmes : mener le Centaur vers l’échange artistique

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Lorsqu’Eda Holmes a été choisie comme nouvelle directrice artistique et générale du Théâtre Centaur de Montréal, le monde culturel en est resté bouche bée. Alors que le Centaur approche de sa sixième décennie, les membres du conseil d’administration de cette éminente institution anglophone ont finalement reconnu la sagesse d’engager une femme pour le poste.

L’ascension professionnelle des femmes dans le domaine du théâtre s’est produite plus tôt au Québec que dans le reste du Canada, mais pas au Centaur. Il y a eu le précédent établi par Yvette Brind’Amour et Mercedes Palomino, cofondatrices du Théâtre du Rideau Vert en 1949. Un peu plus tôt, Martha Allen avait fondé la troupe bilingue Montreal Repertory Company en 1930. Norma Springford a dirigé la Mountain Playouse de 1950 à 1961, alors que Muriel Gold a dirigé le théâtre du Saidye Bronfman Centre de 1972 à 1980. La reprise du Théâtre du Nouveau Monde par Lorraine Pintal en 1992, d’ailleurs toujours en poste, a marqué une avancée importante. Et la liste continue.

Puis, en 2017, Holmes a repris les rênes du Centaur, un établissement dont le fondateur et le directeur artistique Maurice Podbrey a été une figure remarquable pendant 29 ans. Deux autres directeurs, Gordon McCall et Roy Surette, lui ont succédé. C’est maintenant au tour de Holmes de marquer le Centaur de son empreinte.

« Pour moi, ce qui rend le Centaur intéressant, c’est qu’il est en plein milieu d’une des villes les plus dynamiques et cosmopolites d’Amérique du Nord », dit Holmes en cassant la croûte avant un spectacle chez Biddles dans le Vieux Montréal. « Le Centaur entretient, dans sa tradition, des liens avec des œuvres européennes et sud-africaines ainsi qu’avec des pièces canadiennes, surtout montréalaises, ajoute-t-elle. Je crois que toutes ces choses sont d’excellentes fondations pour construire un théâtre urbain. Mon propre modèle est le Public Theater de New York. J’aimerais façonner le Centaur à l’image de ce genre de théâtre pour Montréal. Avec l’avantage d’une communauté diversifiée, autant par sa langue que par sa culture, il y a des gens de partout ici. C’est un auditoire passionnant à atteindre. » Holmes est elle-même une immigrante. Née à Beaumont au Texas, elle a étudié à Houston.

De toute évidence, ce ne sera pas de tout repos au Centaur. Nous vivons dans des temps agités. Une vague internationale d’allégations d’inconduite sexuelle a bouleversé le monde des arts. « Le mode d’interaction dans le milieu professionnel est en train de changer, et ce, pour le mieux, dit Holmes. Ça va être très difficile. Beaucoup de gens vont probablement être victimes de fausses accusations. Mais il est absolument nécessaire de changer le discours autour de ceux qui comptent. Il faut être jugé important par sa seule présence dans le monde, non pas son sexe. J’ai toujours essayé d’être une personne dans le monde, non une femme dans le monde. Chaque fois qu’on me demande “Comment c’est, être la première femme directrice artistique du Centaur ?”, je réponds que c’est la même chose que pour n’importe quel directeur artistique. Les femmes ont changé. Maintenant, c’est aux hommes de changer. »

Son mari Tim Southam, réalisateur à la télévision et au grand écran et président de la Guilde canadienne des réalisateurs, fait partie de ceux qui tentent d’amener davantage de femmes à occuper des postes de pouvoir au sein de l’industrie, dit-elle. Holmes, qui a quitté son poste de directrice adjointe au Shaw Festival pour venir au Centaur, espère qu’elle a été engagée parce qu’elle est douée pour ce qu’elle fait. Diplômée en mise en scène de l’École nationale de théâtre du Canada, elle a la formation et le parcours pour le prouver. Plusieurs de ses productions, comme The Intelligent Homosexual’s Guide to Capitalism and Socialism, with a Key to the Scriptures de Tony Kusher présentée à l’édition 2015 du Shaw Festival, ont été des succès couronnés par les critiques.

 Une partie de son flair artistique pour le théâtre physique et pour la présentation visuelle peut être attribuée à son expérience professionnelle de danseuse de ballet, une carrière écourtée par une blessure au genou. Elle a dansé avec le Ballet de San Francisco, le Ballet national néerlandais et le Ballet de Francfort. Ce dernier, dirigé par William Forsythe, l’a amenée à connaître la danse-théâtre européenne. Après sa blessure, elle est venue au Canada avec Southam qu’elle avait rencontré à Paris.

Autre coup du sort : puisque le travail de Southam l’amenait de plus en plus à Los Angeles, le couple venait tout juste de faire une offre d’achat sur une propriété en Californie lorsque le Centaur a appelé Holmes pour une entrevue. La perte de L.A. était tout à l’avantage de Montréal. « C’est un immense privilège, dit-elle. Honnêtement, je me considère tous les jours comme chanceuse de me réveiller et de me souvenir que ça, c’est mon travail. » Pour le moment, celui-ci est en partie de la supervision, alors qu’elle encadre la saison mise en place par Surette. Bien qu’elle ait dirigé la production en cours de 39 Steps, une interprétation clownesque du film de Hitchcock, elle ne l’a pas choisie.

Pendant ce temps, des rénovations majeures sont en cours au théâtre pour les préparations du 50e anniversaire du Centaur l’année prochaine. À propos de ses plans pour sa première saison, elle répond : « Je pense que cela commence tout d’abord avec les histoires que nous choisissons de raconter. Et cela demande des artistes que nous engageons pour les illustrer. » Elle souhaite prendre en compte l’équité entre les sexes et la diversité tout en aidant les artistes montréalais à développer leur propre voix et à atteindre de nouveaux publics. « J’aime l’idée de construire un pont liant l’institution existante à la nouvelle génération. Et de trouver des histoires qui pousseront la nouvelle génération à se joindre à nous. Ce qui amène un public varié est un public varié. Des études montrent que les gens sont plus susceptibles de venir à un spectacle s’il y a des personnes comme eux dans la salle, pas seulement sur la scène. Alors, il s’agit de découvrir des manières de faire venir des gens par divers moyens. »

Le bâtiment du théâtre du Centaur a déjà abrité la Bourse de Montréal. Holmes souhaite adopter le mot « échange » comme un principe directeur afin de faire du Centaur un lieu où les idées, les histoires et les expériences sont échangées. Elle fait un clin d’œil. « C’est gravé sur la façade du bâtiment. Ils n’ont même pas à l’ajouter. »

Compagnie de théâtre Centaur www.centaurtheatre.com

 

Traduit par Rachel Jeannotte-Maranda

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