Entrevue avec Ilya Poletaev

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C’est dans l’escalier à l’entrée de l’école Schulich de l’Université McGill que j’attendais de rencontrer l’une des figures de proue de la musique classique à Montréal, Ilya Poletaev. Ce pianiste de renom, connu à travers le monde, gagnant de nombreux prix dont le prestigieux Concours international Jean-Sébastien Bach de Leipzig en 2010 – une première pour un Canadien –, doctorant à Yale, professeur à McGill, et j’en passe, venait me parler de son approche et de ses futurs concerts.

« Deux choses m’intéressent, m’expliquait-il, la poésie et la clarté. Une interprétation n’est pas objective – détachée –, on doit être émotionnellement engagé et spirituellement présent. Et cela dans tout ce qu’on joue : ce peut être une œuvre de musique contemporaine ou romantique, mais il doit toujours y avoir dans un certain sens une voix personnelle. Souvent j’écoute des interprétations et je me dis : c’est magnifique, mais je ne comprends pas ! Il y a quelque chose de pas clair quant à la grammaire de la musique. »

D’origine russe, Ilya Poletaev part vivre en Israël à l’âge de 11 ans, pour ensuite venir s’établir à Toronto à l’âge de 14 ans. Pour ses études doctorales, le talentueux pianiste se déplace vers Yale, au Connecticut, institution où il travaille encore aujourd’hui en tant que lecteur. Après son parcours universitaire, il désire perfectionner son jeu solo. « J’ai senti que je devais développer davantage celui-ci en tant que pianiste moderne, et cela a été mon premier objectif lorsque j’ai terminé mes études. »

Viennent ensuite les concours internationaux. Mentionnons à ce titre de nombreux 1er prix, notamment au Concours international George Enescu (2011), à la Southeastern Historical Keybord Society Harpsichord Competition (2007) et, comme précédemment mentionné, au prestigieux Concours international Jean-Sébastien Bach de Leipzig (2010). En 2011, il est invité à venir enseigner à McGill, à Montréal, ville et lieu d’enseignement qu’il apprécie encore grandement aujourd’hui.

Deux concerts à ne pas manquer avec le Trio de Montréal

Les 5 octobre et 5 novembre prochains, à la Chapelle historique du Bon-Pasteur à Montréal, Ilya Poletaev offrira deux concerts différents avec le Trio de Montréal, partageant ainsi la scène avec le violoniste Axel Strauss et le violoncelliste Yegor Dyachkov, également professeurs à Schulich. Le 5 octobre, ce sera l’occasion d’entendre un programme bien diversifié, soit le Trio en do mineur (opus 1 n°3) de Beethoven, le Trio en do majeur (opus 87) de Brahms ainsi que le Trio en la mineur de Ravel. Lors de la soirée du 5 novembre, l’ensemble, accompagné de certains étudiants et étudiantes, offrira le concert Claude Debussy, musicien français, où seront interprétées les trois dernières sonates de Debussy ainsi que leurs inspirations baroques.

« Nous avons joué ensemble pour la première fois en 2013 et nous avons immédiatement cliqué les uns les autres en tant que trio, raconte Poletaev. Lorsque la question est venue de nommer l’ensemble, nous avons pensé que Trio de Montréal serait tout désigné. » Comme le raconte le pianiste, il s’agit historiquement du troisième ensemble portant ce nom, quoique les deux autres soient désormais inactifs. Avant de choisir ce nom il y a cinq ans, ils ont cru bon d’en discuter avec l’ancien ensemble. « C’est un trio où chacun éprouve énormément d’enthousiasme et nous sommes heureux de jouer ensemble. Je suis extrêmement reconnaissant d’avoir de si fantastiques collègues. »

Un concerto solo le 19 octobre prochain : un concert majeur

C’est sur un piano Érard restauré, datant de 1859, que le pianiste offrira à la salle Bourgie le 19 octobre prochain un récital solo. Au programme, le pianiste interprétera Frescobaldi, Chopin, Froberger, Kuhnau et Liszt.

« L’idée derrière ce programme est de mettre de l’avant certaines œuvres ayant de très forts traits narratifs, explique Poletaev. Toutes les musiques racontent une histoire, bien sûr ! Mais dans ce cas particulier, la narration des œuvres est dans chacun des cas très personnelle quant au ton, à la forme et à la structure. »

À ce titre, l’œuvre Tomba di Giacob des Sonates bibliques de Johann Kuhnau reste particulièrement intéressante. Comme l’explique le pianiste, il s’agit d’un ensemble de dix différentes sonates construites sur les thèmes de récits de l’Ancien Testament, tous d’une richesse incroyable. La forme que prennent ces différentes sonates est particulièrement diversifiée. « Il y a des récitatifs, des fugues, des fantaisies. »

Le piano Érard de 1859 restauré

« Lorsqu’on joue une œuvre romantique sur un piano comme celui-ci, il y a des dimensions nouvelles qui apparaissent, une sonorité différente, confie Poletaev. L’acoustique de l’instrument dicte un nouveau type d’image, de son, de sonorité. Bref, il s’agit littéralement du son d’une époque que l’on pourra découvrir le 19 octobre prochain. Ce piano construit originellement à Londres, puis restauré à Montréal par Claude Thompson au début des années 2000 et inauguré en février 2016 à la salle Bourgie, reste l’un des pianos les plus convoités par les musiciens recherchant le son unique des pianos du XIXe siècle. Car ce n’est un secret pour aucun pianiste : le choix de l’instrument et son époque de production affectent la musique et l’interprétation à plusieurs niveaux. « La mécanique est différente sur un piano du XIXe siècle. Il y a plus de clarté dans l’acoustique, la manière d’utiliser la pédale change, la touche également », explique-t-il.

Un musicien sans barrière

Également, le 27 octobre prochain au Musée McCord de Montréal, Ilya Poletaev exécutera pour la première fois de sa carrière une improvisation complète sur le film muet de 1925 The Phantom of the Opera. « C’est quelque chose que je recherche, confie-t-il. J’aime cette liberté provoquée dans la rencontre entre l’image visuelle et la réponse musicale. »

C’est probablement ce trait qui frappe lorsqu’on discute avec le musicien : bien qu’il bénéficie d’une réputation flamboyante en tant qu’interprète de musique baroque, en aucun moment il ne cède à la tentation de se restreindre, multipliant les projets de musique de toutes les époques. « Pour moi, il est extrêmement important d’être engagé dans plusieurs projets et de ne pas me limiter à une tâche particulière, explique-t-il. Je veux jouer de tous les genres et époques. La musique est un message substantiel et une richesse pour moi, du XVIe siècle au XXIe. Je crois que c’est ce qu’un interprète devrait faire. »

L’entrevue s’est déroulée le 20 septembre 2017. http://music.verhogroup.com/ilya/

5 octobre, Trio de Montréal, 19 h 30, Chapelle historique du Bon-Pasteur, www.ville.montreal.qc.ca/chapellebonpasteur

19 octobre, Récital solo, 19 h 30, salle Bourgie, www.mbam.qc.ca

27 octobre, Musée McCord, Projection spéciale The Phantom of the Opera, 19 h, www.musee-mccord.qc.ca

5 novembre, Hommage à Debussy, Trio de Montréal, 15 h, Chapelle historique du Bon-Pasteur, www.ville.montreal.qc.ca/chapellebonpasteur

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