Disques Effendi : 20 Ans et 150 Disques Plus Tard

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Pour les amateurs de jazz de chez nous, Effendi est la marque de commerce d’une étiquette de disques toute québécoise. Les plus futés savent aussi que le même mot (d’origine turque) désigne également un titre honorifique et une composition de McCoy Tyner.

Alain Bédard, fondateur et âme dirigeante de l’entreprise, est un futé qui s’est approprié le terme pour sa griffe. Entrepreneur musical tous azimuts, il mène sa maison de disques depuis vingt ans. Peu à peu, l’étiquette s’est imposée comme la première enseigne du jazz contemporain au Québec. Son catalogue de plus de 150 titres — chiffre impressionnant pour un ­indépendant spécialisé — en est la preuve : peu de groupes étrangers y figurent, mais des ­invités spéciaux s’ajoutent parfois à des formations de chez nous pour quelques pièces. Cinq titres ont déferlé sur le marché depuis l’été dernier et un sixième, par le flûtiste François Richard, vient d’arriver dans les rayons en début d’année (voir critiques, page suivante).

Pourtant, la production de disques n’est pas le seul fer-de-lance d’Alain Bédard : il a plus de cordes à son arc que les quatre de sa contrebasse. Musicien professionnel, il prend place derrière le micro aussi, ­dirigeant son propre ensemble, le quartette Auguste, ou participant à un autre de sa conception, le Jazz Lab. Organisateur de concerts, il a mis sur pied en 2001 l’événement Jazz en Rafale comme tribune promotionnelle de ses artistes et d’autres de la relève. À cette fin, il a créé Jazz Services, un OSBL distinct de l’étiquette qui assure la ­diffusion de spectacles inscrits au ­programme. Promoteur, il a ficelé une entente avec Naxos pour la distribution internationale de son catalogue. Agent de tournées, enfin, il a percé le marché mondial en bouclant des tournées pour ses poulains aux quatre coins du globe, jusqu’en ­lointaine Corée en passant par plusieurs métropoles européennes, la Grosse Pomme et l’ensemble du Canada.

Parcours

Rencontré récemment, Alain Bédard fait le point. « Au milieu des années 1990, le jazz de chez nous était mal représenté sur disque. Il y avait Justin Time, qui s’était tourné vers les artistes internationaux, puis d’autres petites compagnies comme Amplitude, Lost Chart Records et DSM qui piétinaient. Je me suis donc lancé dans cette aventure avec le soutien de ma partenaire Carole Therrien (chanteuse de formation classique qui a signé deux disques pour l’étiquette). »

Son périple commence vraiment à la fin des années 1970 alors qu’il hantait la scène de la capitale provinciale, sa ville natale. Il était de la partie au premier spectacle de jazz de l’Hôtel Clarendon, réputé comme haut lieu de la note bleue de Québec, du moins jusqu’au début des années 2000 quand l’établissement suspend sa programmation pour quelques années. Il fait alors la navette entre la Vieille Capitale et Montréal pendant dix ans avant d’élire domicile dans la métropole en 1989. Il suit une première formation d’ingénieur de son et une seconde en musique à l’UQAM, où il décroche un diplôme en interprétation classique. Sa ­carrière est cependant compromise peu après par une chute et une fracture qui l’empêche de jouer. « L’idée de créer l’étiquette m’est venue après l’accident. Sans ça, ­­peut-être que je n’y aurais pas pensé. Nos trois premiers disques sont sortis en 1999 seulement, l’année suivant leur enregistrement. Il a fallu s’armer de patience au début. »

Quelques références

Lorsqu’on lui demande de relever des disques marquants dans son catalogue, il en signale trois. « Le premier de Yannick Rieu (Little Zab) est important en raison du prix Félix qu’on lui a accordé. L’album nous a donné une première visibilité. En 2000, la participation de Lee Konitz à l’enregistrement de François Théberge (Music of Konitz) nous a propulsés à l’international. Le projet a eu des suites aussi : d’une part, le groupe a tourné un peu partout en Europe ; d’autre part, un second disque a vu le jour. En 2002, enfin, j’ai eu l’idée de mettre sur pied le Jazz Lab, un groupe qui permettrait à ses membres, huit au total, de se consacrer à la composition et à l’arrangement. »

Pour Bédard, des enjeux personnels justifient l’initiative. Peu avant sa création, il s’était remis à son instrument et voulait faire partie d’un projet musical plus durable. Chose dite, chose faite : l’octette compte six albums à son actif, dont un au nom du saxo Alexandre Côté, et un septième est en chantier, entièrement consacré à des musiques de son pianiste Félix Stüssi. Seize ans plus tard, le Jazz Lab est l’une des deux figures de proue de l’étiquette (l’autre étant le quartette du pianiste François Bourassa). D’un projet à l’autre, il renouvelle son ­personnel, le bassiste demeurant toutefois sa seule constante. Bédard se réjouit des résultats, d’autant plus que la réception a toujours été bonne après leurs concerts, la vente des disques aussi.

De tous ses boulots, son travail d’agent de tournées lui procure une satisfaction particulière. Sans vanité, il déclare pourtant : « J’ai fait le compte récemment du nombre total de tournées que j’ai orchestrées depuis la première en 2001, et j’arrive à 128, une moyenne de sept par an. Pas mal du tout. » À force de travail acharné, il a réussi à convaincre des présentateurs de spectacles de tous genres à inscrire dans leurs ­programmations les groupes qu’il représente, les siens y compris. De tels succès sont la preuve d’un réseautage efficace et il estime que JazzAhead, la grande foire internationale tenue à Brême en Allemagne, lui a été aussi bénéfique que l’aide du gouvernement du Québec, lequel lui a confié la ­responsabilité du kiosque de sa délégation culturelle à ce prestigieux événement.

Pour cette année, de nouveaux projets sont en route, entre autres, un album afro-cubain du pianiste Rafael Zaldivar au printemps et la relance d’un projet antérieur, l’Orchestre de contrebasses. une collaboration internationale liant des musiciens de deux côté de la Grande Mare. En contrepartie, Jazz en Rafale fait relâche ce printemps pour des raisons administratives. Ayant porté l’événement à bout de bras ­pendant les deux dernières années, Bédard compte revenir à la charge en 2019 avec une nouvelle équipe à ses côtés.

En concert: Effendi Jazz Lab Orchestra Quintessence, Théâtre Outremont, 8 février, 20 h, www.effendirecords.com

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A propos de l'auteur

Marc Chénard is a Montreal-based multilingual music journalist specialized in jazz and improvised music. In a career now spanning some 30 years, he has published a wide array of articles and essays, mainly in Canada, some in the United States and several in Europe (France, Belgium, Germany and Austria). He has travelled extensively to cover major festivals in cities as varied as Vancouver and Chicago, Paris and Berlin, Vienna and Copenhagen. He has been the jazz editor and a special features writer for La Scena Musicale since 2002; currently, he also contributes to Point of Departure, an American online journal devoted to creative musics. / / Marc Chénard est un journaliste multilingue de métier de Montréal spécialisé en jazz et en musiques improvisées. En plus de 30 ans de carrière, ses reportages, critiques et essais ont été publiés principalement au Canada, parfois aux États-Unis mais également dans plusieurs pays européens (France, Belgique, Allemagne, Autriche). De plus, il a été invité à couvrir plusieurs festivals étrangers de renom, tant en Amérique (Vancouver, Chicago) que Outre-Atlantique (Paris, Berlin, Vienne et Copenhangue). Depuis 2012, il agit comme rédacteur atitré de la section jazz de La Scena Musicale; en 2013, il entame une collabortion auprès de la publication américaine Point of Departure, celle-ci dédiée aux musiques créatives de notre temps.

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