Jazzamboka en concert : plus jazz que jazz

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par Arnaud G. Veydarier

Né de la rencontre entre les musiques traditionnelles de l’Afrique de l’Ouest et l’harmonie tonale européenne, le jazz est aujourd’hui reconnu à travers le monde comme une des manifestations artistiques et sociales les plus importantes du siècle dernier. Plus qu’une simple étincelle de départ, ce phénomène de rencontre et d’échange s’inscrit profondément dans l’ADN du jazz et demeure au cours de son histoire la véritable force motrice derrière ses nombreux développements. C’est précisément cette dynamique que l’on retrouve au coeur de la démarche du quintette montréalais Jazzamboka, dont la musique incarne la rencontre des univers que sont le jazz nord-américain et la musique traditionnelle congolaise. De passage à la Maison de la culture Maisonneuve le jeudi 15 février, les musiciens du groupe ont livré une prestation électrisante au cours de laquelle ils ont présenté des compositions originales tirées de leur album éponyme, paru en 2016 (Jazzamboka, LLCD-019).

Comme le calme avant la tempête, la soirée s’ouvre dans une atmosphère intimiste alors que le multi-instrumentiste Julien Filion – qui passe du saxophone alto, soprano, à la flûte traversière – et le claviériste Félix Leblanc s’adonnent aux premiers échanges : les mélodies sont langoureuses et les accords luxuriants, invitant le public à pénétrer tout en douceur dans un univers musical envoûtant. Au terme d’un préambule senti, l’atmosphère se réchauffe promptement au son d’une rutilante section rythmique composée d’Elli Miller-Maboungou au ngoma (percussions traditionnelles congolaises), de Noel Mpiaza à la batterie et d’Émile Farley à la basse électrique. Les soudains changements de rythme et de tempo parsèment le répertoire de Jazzamboka et sous-tendent des structures formelles complexes, souvent imprévisibles. À l’inverse, certains passages présentent de longs crescendos au cours desquels un soliste hisse l’ensemble du groupe à de fulgurants sommets d’intensité. Cette capacité à surprendre sans cesse et à tenir en haleine le public tout au long de pièces qui dépassent souvent la barre des dix minutes témoigne non seulement du talent des musiciens, mais aussi de la qualité structurelle des compositions.

La redoutable précision du jeu de Miller-Maboungou et de Mpiaza – dont la symbiose est quasi parfaite – constitue un des aspects centraux derrière le succès de la recette Jazzamboka. Alors que Mpiaza pose les fondations rythmiques à la batterie, Miller-Maboungou vient étoffer le tout au ngoma, l’interaction se déroulant parfois selon une dynamique d’opposition, parfois selon un rapport de complémentarité. Aux influences funk se mêlent des métriques irrégulières et de téméraires syncopes exécutées avec brio par le tandem, insufflant aux pièces une vivacité qui ne tarit pas tout au long de la soirée. Interrogé à ce propos, le claviériste Félix Leblanc insiste sur la nature singulière du rôle de la section rythmique de Jazzamboka : elle constitue la clef de voute d’un projet musical caractérisé avant tout par une dualité constante entre le rythme et l’harmonie. Cette opposition se manifeste jusque dans la disposition des musiciens sur scène, Mpiaza et Leblanc se faisant face aux deux extrémités dans ce qui apparait au spectateur comme une véritable joute. Fillion et Leblanc dispensent quant à eux les mélodies et l’harmonie au moyen d’une palette de sonorités à prédominance jazz, se permettant tout de même certains écarts, dont de savoureuses incursions dans le hip-hop. Les musiciens improvisent généralement avec aisance tout en cadrant parfaitement avec l’atmosphère et le caractère de chaque pièce, révélant au passage une excellente maîtrise de leur répertoire.

Si les musiciens ont l’habitude de clore leurs prestations en scandant « this is not jazz, this is Jazzamboka », il est intéressant de constater que leur démarche musicale renvoie en quelque sorte aux racines mêmes du jazz en reproduisant, plus d’un siècle plus tard, la rencontre entre l’harmonie européenne et les musiques subsahariennes. Loin d’être un simple amalgame d’influences, Jazzamboka développe un langage musical nouveau qui incorpore et fait la synthèse de cet héritage tout en proposant une musique résolument moderne, tournée vers l’avenir. Avec ce concert, les musiciens démontrent qu’ils ont développé une certaine maturité, tant sur le plan individuel qu’au niveau collectif : les interactions sont contrôlées, la complicité est manifeste, les compositions sont abouties et la chimie avec le public est instantanée. Les musiciens entameront cet automne une série de concerts à travers le monde qui les mènera notamment en Suisse, en Corée du Sud et en Hollande. Pour l’heure, ils présenteront de nouveau leur musique le 5 avril à la Maison de la culture du Plateau-Mont-Royal. (www.jazzamboka.com)

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A propos de l'auteur

* Marc Chénard est rédacteur responsable de la section jazz du magazine depuis 2000. Il est journaliste de carrière spécialisé en jazz et en musiques improvisées depuis 35 ans. Ses écrits ont été publiés en anglais, français et allemand dans sept différents pays. *Marc Chénard has been the jazz editor of this publication since year 2000. He is a dedicated writer in the fields of jazz and improvised music for about 35 years. His writings have appeared in English, French and German in seven different countries.

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