Julie Boulianne : Retour au bercail dans la peau de Cendrillon

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Originaire du Saguenay–Lac-Saint-Jean, la mezzo-soprano Julie Boulianne s’est bâti une carrière d’interprète lyrique de réputation mondiale. Ce mois-ci, elle revient au bercail, à l’Opéra de Montréal, pour ses premières représentations québécoises d’un rôle favori – le rôle principal de l’opéra Cendrillon de Rossini, ou La Cenerentola. Interviewée à la veille de la ­première répétition, l’enthousiasme de la ­cantatrice est palpable.

« C’est très excitant, confie-t-elle. C’est un rôle que j’aime et enfin, je peux l’interpréter chez moi. Je vois cela comme un grand cadeau. »

Cette fébrilité s’accompagne de quelques ­responsabilités. En février, Julie Boulianne a reçu le prix de l’interprète de l’année au gala des prix Opus, devenant ainsi l’ambassadrice ­officielle de la culture musicale du Québec – un rôle qu’elle prend très au sérieux. « Au Québec, il y a des gens extraordinaires qui font des choses extraordinaires en musique, dit-elle. Il est important de le faire savoir et d’encourager ces artistes à briller, ici comme ailleurs. »

Tout comme Boulianne, qui a su s’illustrer sur la scène internationale, couverte d’applaudissements en interprétant le répertoire de Mozart et de Rossini ainsi que des œuvres contemporaines. « Je viens de terminer une production de Pinocchio de Philippe Boesmans, raconte-t-elle. Une première mondiale et un grand succès à la fois. En première partie, j’étais une chanteuse de cabaret ivre et dans la deuxième, un petit garçon mauvais élève. »

Cela peut sembler un peu exagéré pour une artiste connue pour sa discipline, sa rigueur et son érudition. « C’était amusant ! commente-t-elle. J’adore jouer des personnages “méchants”. Je pense qu’ils sont plus intéressants, des esprits plus torturés. »

Ce qui rappelle le sujet de La Cenerentola, plus particulièrement les pièges en puissance du personnage principal dans cet opéra ­sous-titré « La Bonté triomphante ».

« Tous les personnages sont drôles, dit Boulianne, et je pense que la Cendrillon à ­l’italienne peut se montrer comique. J’adore la rendre un peu gauche, un peu maladroite. »

L’écriture du rôle dément toute maladresse, car il témoigne d’une grande virtuosité. Écrit à l’origine pour une « contralto colorature », la Cenerentola, la « Cendrillon » de Rossini, est réputée pour sa musique virtuose et ses pyrotechnies vocales très élaborées. Comment la cantatrice québécoise se ­prépare-t-elle à ce rôle ?

« Si on ne donne pas un sens à une ­coloratura, cela devient ennuyeux, explique Boulianne. Prenez par exemple les duos entre le prince Ramiro et la Cenerentola. Les deux sont très attirés l’un par l’autre, mais ils sont très timides. Il y a donc des envolées, des élans; la voix s’élève, mue par l’excitation, puis redescend, trop timide pour continuer. Il faut pouvoir trouver des contrastes. »

Boulianne poursuit en donnant une vision macroscopique du rôle. « Rossini a donné au rôle une forme particulière. Dans les ensembles, tout le monde autour de la Cenerentola hurle. Personne ne se soucie de ce qu’elle dit. C’est comme ça que la musique est écrite. Mais quand elle se décide à s’affirmer, quand elle veut aller au bal, la musique devient alors plus éclatante. Si vous suivez la trame musicale, vous assistez à une émancipation du personnage. Elle déploie peu à peu ses ailes jusqu’à ce qu’elle soit complètement libre. »

Un autre dénouement dramatique survient lorsque la Cenerentola accorde son pardon à son beau-père et à ses demi-sœurs qui la ­maltraitent depuis des années. Comment ­l’artiste peut-elle donner un sens à cet acte de charité apparemment surhumain ?

« C’est tout à fait logique à mes yeux, ­commente Boulianne. Je ne pense pas qu’elle le fasse pour eux. Elle le fait pour elle-même. Le pardon est ce qu’il y a de plus puissant, l’unique chose qui vous rendra vraiment ­heureux. C’est peut-être un peu égoïste, mais il arrive un moment dans la vie où il faut lâcher prise. Le pardon la rend libre. »

Comme Boulianne a eu l’occasion d’interpréter une autre version opératique de ­l’histoire de cette héroïne, la Cendrillon de Massenet, nous lui avons demandé de ­comparer ses expériences.

« L’œuvre de Massenet, dit-elle, est un tout autre voyage, un univers différent. C’est ­indéniablement plus romantique et plus ­dramatique. À un moment donné, elle veut même se suicider ! Avec Massenet, on s’adonne moins au plaisir. Les parties drôles appartiennent vraiment à la belle-mère et aux demi-sœurs. »

Pourtant, Boulianne – une artiste d’une grande souplesse d’esprit et hautement ­créative – a exploré un éventail d’approches dramaturgiques de l’opéra de Rossini, y ­compris celles frôlant la tragédie.

« J’ai interprété une version dans laquelle la Cenerentola meurt, se souvient Boulianne. Toute l’aria finale parlait de sa mort. C’était à Limoges. »

Peut-on supposer qu’à l’aube de la première répétition, Boulianne ne sait trop encore quelle orientation le chef d’orchestre José Miguel Pérez Sierra et le metteur en scène Joan Font souhaitent qu’elle donne à son rôle ?

« Tout à fait », accorde Boulianne. Elle ajoute avec un clin d’œil : « Mais j’ai, comme dit l’expression française, plusieurs cordes à mon arc. Les idées ne me manquent pas. »

Le fait qu’elle ait étudié les sciences à ­l’université avant de s’engager dans une carrière musicale éclaire d’un jour nouveau les qualités dont elle fait preuve, comme la précocité intellectuelle, l’esprit analytique et la volonté ­d’expérimenter. « Je crois fermement que la musique est apparentée à la science, confie-t-elle. Deux choses qui demandent beaucoup ­d’attention, de concentration. Si vous voulez jouer un concerto, vous devez vous concentrer. C’est la même chose avec la science : il faut se concentrer et être dans le moment présent. »

Michel Beaulac, directeur artistique de l’Opéra de Montréal, affirme que La Cenerentola met en vedette une « distribution idéale ». Boulianne est d’accord. « C’est une distribution de haut calibre ! J’en suis très heureuse », ajoutant, non sans une allusion à la science : « J’ai déjà interprété La Cenerentola avec le ténor Juan José de Léon, aussi l’alchimie entre nous est parfaite. »

Pour Boulianne, une seule ombre vient assombrir la joie d’interpréter cette Cenerentola. « Mon emploi du temps pour l’année à venir sera occupé par un répertoire français nettement plus romantique – Werther, Les Contes d’Hoffmann et La Damnation de Faust. Ce n’est donc pas seulement un retour chez moi, c’est peut-être aussi la dernière fois que j’interprète ce rôle. » Elle marque une pause, puis reprend : « J’attends donc avec impatience la première répétition de demain. Je vais essayer de profiter de chaque instant ! »

Traduction par Lina Scarpellini

La Cenerentola sera présentée par l’Opéra de
Montréal les 11, 14, 16 et 18 novembre à 19 h 30.
www.operademontreal.com

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A propos de l'auteur

Charles Geyer is a director, producer, composer, playwright, actor, singer, and freelance writer based in New York City. He directed the Evelyn La Quaif Norma for Verismo Opera Association of New Jersey, and the New York premiere of Ray Bradbury’s opera adaptation of Fahrenheit 451. His cabaret musical on the life of silent screen siren Louise Brooks played to acclaim in L.A. He has appeared on Broadway, off-Broadway and regionally. He is an alum of the Commercial Theatre Institute and was on the board of the American National Theatre. He is a graduate of Yale University and attended Harvard's Institute for Advanced Theatre Training. He can be contacted here.

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