Amin Maalouf : rencontre avec l’homme « de loin »

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La création de l’opéra L’Amour de loin à Salzbourg en 2000 a été chaleureusement reçue et elle a été suivie de nombreuses productions dans le monde. L’œuvre a aussi marqué le début d’une collaboration remarquablement féconde et qui se poursuit entre la compositrice Kaija Saariaho et le librettiste débutant d’alors Amin Maalouf.

Maalouf s’est depuis associé à Saariaho dans trois autres drames musicaux, tous ayant en commun certaines caractéristiques distinctives : des personnages féminins forts, illustrant une forme fertile et sans rancœur du féminisme; un mysticisme énigmatique et fin; une perception habituellement bienveillante et finalement positive de l’œuvre de la providence; et une curiosité subtile et en même temps obstinée au sujet du paradoxe de l’interrelation et en même temps de l’aliénation entre les cultures, les sexes, l’Est et l’Ouest.

Kaija Saariaho avec Peter Sellars et Amin Maalouf, Salzburg, 1999.

Kaija Saariaho avec Peter Sellars et Amin Maalouf, Salzburg, 1999.

Né au Liban dans une famille catholique et éduqué dans de grandes institutions des Jésuites, Maalouf a par sa vie même jeté des ponts entre les divisions culturelles et géographiques. Affable, d’entretien aisé, aimant rire et plaire, Maalouf a tour à tour été universitaire, journaliste, romancier et maintenant librettiste. Établi dans une carrière éminente en France, Maalouf personnifie la grâce et la créativité avec lesquelles des héritages culturels divers et apparemment aux antipodes peuvent être rapprochés et fondus.

Peu après la première de sa production récente au Metropolitan Opera, L’Amour de loin a fait l’objet d’une critique sur mySCENA.org (le 9 décembre 2016) – et, vers la fin de son séjour mémorable de vingt-quatre jours à New York, M. Maalouf nous a généreusement accordé une interview. Il n’avait jamais jusqu’alors été aussi longtemps éloigné de chez lui à Paris et de son travail d’écriture. « Mais j’adore New York », a-t-il tenu à préciser.

Voici quelques extraits de notre conversation au sujet de sa relation de travail avec la compositrice finlandaise Kaija Saariaho. L’intégrale de l’entrevue, que l’on peut trouver en ligne à bit.ly/AminMaalouf (Anglais), comprend en outre des réflexions sur son travail, sa vision du monde et son émergence depuis le début du nouveau millénaire comme un acteur majeur du développement de l’opéra moderne.

CG : Parlons d’abord de votre aventure dans l’écriture pour l’opéra, en commençant par votre livret pour L’Amour de loin. Étiez-vous auparavant un fervent amateur d’opéra ?

AM : Pas vraiment, pour être franc. J’en avais une expérience fort limitée. Je me souviens d’avoir vu Porgy and Bess lors de ma première visite à New York et j’avais vu [un opéra]une fois en Italie, je crois… et peut-être une ou deux fois en France. Mais je ne peux pas dire que j’allais à l’opéra. En fait, lorsque Gérard Mortier [alors directeur général du Festival de Salzbourg]m’a demandé d’écrire le livret [pour L’Amour de loin], je lui ai dit que je n’y connaissais pas grand-chose. Il a alors commencé à m’inviter chaque fois qu’il avait une production dont il était fier. Et il a dit à Kaija [Saariaho] : « Vous devriez lui faire connaître le Lulu [d’Alban Berg] ou ceci ou cela. Puis j’ai commencé à aller très souvent à Salzbourg afin d’essayer de nouer un lien avec l’opéra.

CG : J’ai cru comprendre que Kaija Saariaho a été à l’origine de l’idée d’un opéra au sujet du troubadour du 12e siècle Jaufré Rudel. Votre livret semble toutefois élever l’histoire au niveau de l’allégorie psychologique, voire spirituelle. Était-ce votre intention délibérée ?

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AM : Je pense que oui. Même si ce n’était pas entièrement très conscient. Je crois que la crainte de comparer l’image qu’on peut avoir d’une personne ou même d’une idée – ou d’un pays – avec la réalité est une chose qui était très présente dans mon esprit et je crois que c’est également très présent à notre époque. Nous vivons dans un monde où nous devons constamment composer avec la différence entre le réel et le virtuel. Nous sommes constamment en contact avec des personnes qui se trouvent très loin – alors l’idée d’un amour avec une personne éloignée est aujourd’hui plus réelle, je crois, qu’elle ne l’était au Moyen Âge. J’avais cette idée à l’esprit et je pense qu’elle a nourri mon intérêt pour l’histoire.

CG : L’opéra a maintenant été produit à de nombreuses reprises, n’est-ce pas ?

AM : Jean-Baptiste [Barrière] me disait qu’il y avait eu onze productions jusqu’ici. Je crois en avoir vu six ou sept. Pas toutes.

CG : Et chacune a été différente, non ? Je vois par exemple qu’à Londres, l’opéra a été chanté en anglais. Avez-vous rédigé ce livret ?

AM : Un traducteur en a fait la traduction, mais j’ai alors découvert quelque chose de fort compliqué. Quand on cesse de penser en français pour penser en anglais, bien des choses doivent être changées. Je n’ai pas récrit le livret, mais j’ai modifié beaucoup de choses. Je crois que Kaija a elle aussi dû apporter plusieurs changements. Car lorsqu’on chante un mot – à moins que le mot dans l’autre langue ne soit presque identique –, il faut aussi changer quelque chose dans la partition. C’est compliqué.

CG : Vous n’avez écrit des opéras qu’avec Kaija Saariaho. Est-ce que vous songeriez à écrire avec un autre compositeur, ou est-ce que l’occasion ne s’est encore jamais présentée ?

AM : C’est vrai, je n’ai jamais écrit pour un autre compositeur. Ce n’est pas à exclure, mais nous avons une excellente relation de travail et c’est pour nous un véritable plaisir de travailler ensemble. J’ai lu des histoires de rapports tendus entre compositeurs et librettistes et je reconnais que notre dynamique est extrêmement inhabituelle.

CG : Vous comprenez donc à quel point vous et Kaija Saariaho êtes chanceux d’être sur la même longueur d’onde.

AM : Absolument. J’ai été béni de pouvoir travailler avec elle et nous sommes devenus de très grands amis, même nos deux familles sont très proches. Vraiment, c’est très, très spécial. Il n’est pas sûr que je pourrais avoir les mêmes rapports avec un autre compositeur.

Traduction : Alain Cavenne


Lisez l’entrevue intégrale à bit.ly/AminMaalouf. On peut voir des reprises de L’Amour de loin dans des présentations du Metropolitan Opera Live in HD dans des cinémas choisis en février.

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A propos de l'auteur

Charles Geyer is a director, producer, composer, playwright, actor, singer, and freelance writer based in New York City. He directed the Evelyn La Quaif Norma for Verismo Opera Association of New Jersey, and the New York premiere of Ray Bradbury’s opera adaptation of Fahrenheit 451. His cabaret musical on the life of silent screen siren Louise Brooks played to acclaim in L.A. He has appeared on Broadway, off-Broadway and regionally. He is an alum of the Commercial Theatre Institute and was on the board of the American National Theatre. He is a graduate of Yale University and attended Harvard's Institute for Advanced Theatre Training. He can be contacted here.

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