Off Jazz Festival, Montréal, octobre 2017 (Prise 2)

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Author : (Arnaud G. Veydarier)

Daniel Arthur Trio (Café Résonance. 11/10)

Sans contredit l’un des moments les plus étonnants de cette 18e édition du Festival Off Jazz, le Daniel Arthur Trio a offert une performance de haut calibre qui laisse entrevoir un avenir prometteur à la jeune formation. Accompagné d’une section rythmique composée du bassiste Ethan Cohn et du batteur Éric Maillet, le jeune pianiste a profité de l’occasion pour présenter les pièces de son dernier album Vivid, paru le 7 juillet dernier.

Puisant son inspiration dans des genres musicaux aussi divers que le jazz contemporain et la musique classique, Arthur démontre qu’il a pleinement assimilé l’influence de ses maîtres alors qu’il livre des compositions bien travaillées qui n’étouffent en rien la spontanéité des solistes. Les parties improvisées s’enchaînent parfaitement aux parties écrites, attestant du haut degré de chimie opérant entre les musiciens. Soulignons également le caractère progressif des compositions, qui présentent de longs développements à partir de motifs qui rappellent le jeu de Keith Jarrett tout en témoignant d’un sens aigu de la narration musicale. L’auditeur est ainsi perpétuellement tenu en haleine au fil de morceaux qui culminent progressivement vers des sommets exaltants. Si les musiciens font preuve d’une maîtrise évidente de leur répertoire, se permettant même de glisser des standards de jazz à l’improviste (Les feuilles mortes, Stablemates), il leur a cependant fallu quelques instants avant de vraiment étaler l’étendue de leur savoir-faire. En effet, les premières pièces interprétées par le trio donnent parfois l’impression qu’elles n’atteignent pas le degré d’intensité escompté. Malgré cela, les musiciens reprennent rapidement du poil de la bête et offrent une deuxième partie de concert à la hauteur de leur talent.

 François Bourassa Quartet (Lion d’or, 11/10)

C’est avec un enthousiasme non dissimulé que le public du Lion d’or a pris part au concert de François Bourassa. L’événement marquait d’ailleurs le lancement du nouveau disque de son quartette. Entouré des membres de son quartette, ce pianiste vétéran de la scène montréalaise depuis les années 1980 a présenté six des sept pièces du disque intitulé Number 9 (Effendi, 2017). D’emblée, la chimie entre les membres du groupe est palpable. Dès le début du spectacle, les musiciens donnent au public l’impression d’assister à une jam-session impromptue entre complices de longue date. Les musiciens ouvrent le bal avec Five and Less, en référence à un titre d’album de Miles Davis (Four and More), qui évoque du reste les sonorités éthérées du second quintette du célèbre trompettiste. S’il est évident que le public a affaire à un groupe de musiciens chevronnés et passés maîtres de leur art, il est étonnant de constater l’aisance avec laquelle les musiciens dialoguent entre eux : chacun respecte l’espace de l’autre pour livrer une expérience musicale qui témoigne d’une grande maturité créative. L’éclectisme du langage de Bourassa donne lieu à des moments musicaux très contrastants au cours desquels les musiciens démontrent toute l’étendue de leur savoir-faire. De délicats passages au piano empreints de lyrisme succèdent à de furieuses improvisations du saxophoniste André Leroux, alors que certains moments plongent l’auditeur au cœur d’un épais brouillard impressionniste. Malgré un départ plutôt lent, les pièces s’enchaînent généralement sans accroc ; peu à peu, le concert prend son envol et donne alors une allure de consécration pour ce pianiste qui, une fois de plus, assure sa place au sein de l’élite du jazz montréalais.

Erik Hove Chamber Ensemble (Chapelle historique du Bon-Pasteur,13/10)

C’est dans le cadre intimiste de la Chapelle historique du Bon-Pasteur que le saxophoniste et compositeur Erik Hove présentait les pièces de son plus récent opus, Polygon (Inner Circle Music, 2017). À la barre d’un ensemble de dix musiciens composé à la fois de cordes, de vents et d’instruments traditionnellement associés au jazz, le jeune maestro a offert au public une expérience musicale ambitieuse et hétéroclite, sans être pour autant dénuée de ligne directrice. Si l’univers de Hove se réclame à la fois du jazz et de la musique contemporaine, la proposition musicale, pour sa part, est sans équivoque et assume pleinement ses influences dès les premiers instants : des techniques spectrales de Gérard Grisey aux atmosphères saturées de György Ligeti en passant par les structures polymétriques de Steve Coleman, Hove parvient à frayer son propre chemin sans verser dans la caricature. Bien que l’influence de compositeurs tiers se fait sentir, elle n’atténue en rien l’originalité du langage de Hove. L’emploi varié des ressources instrumentales donne lieu tantôt à d’épaisses masses sonores, tantôt à de surprenantes gerbes polyphoniques, le tout solidement encadré par une section rythmique irréprochable. Par moments, des boucles préenregistrées viennent s’ajouter aux sons acoustiques, rendant plus denses encore les masses sonores déployées par l’ensemble. Bien que Hove avoue en concert que la complexité des pièces représente une difficulté de taille pour les musiciens, tous relèvent le défi avec brio en offrant une performance à la hauteur des attentes, avec une mention spéciale pour les solistes Anna Webber (flûte), Jean René (violon alto) et Hove lui-même. Seule ombre au tableau, les improvisateurs peinent à faire entendre leurs voix, car les arrangements touffus ne laissent pas beaucoup d’espace pour des solos. Somme toute, Hove navigue habilement entre les genres et parvient à rallier l’auditeur à une musique qui, somme toute, reste quand même assez accessible.

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A propos de l'auteur

Arnaud G. Veydarier est actuellement étudiant en musicologie à l’Université de Montréal et nourrit un intérêt prononcé pour le jazz, la musique contemporaine et les liens entre musique et développement urbain. Il est pigiste pour La Scena Musicale depuis septembre 2017.

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